Prédication du 2 novembre 2025
de Catherine Axelrad
Culte de la Réformation
Lecture : Romains 5, 1-11
Introduction
Certains se demandent peut-être pourquoi on parle de fête de la Réformation et pas de fête de la Réforme ; je pense que si on a conservé le mot allemand c’est pour deux raisons : c’est d’abord en hommage au premier réformateur, Martin Luther, qui vivait en Saxe, territoire de langue allemande ; mais c’est surtout parce qu’en français, contrairement au mot réforme qui a l’air d’impliquer une action terminée, le mot réformation évoque une action en train de se faire, une réforme en permanent devenir, et c’est exactement de ça qu’il s’agit, d’une église réformée mais toujours à réformer. Juste quelques éléments pour resituer le début de l’aventure. Au début du 16è siècle, malgré quelques précurseurs dont je parlerai tout à l’heure, en Europe tous les chrétiens sont catholiques. Ils vivent dans la peur de l’enfer, entretenue par une Eglise toute puissante ; une église très riche mais qui a besoin d’encore plus d’argent pour construire St Pierre de Rome, et qui donc profite de cette peur pour vendre ces petits papiers dont vous avez tous entendu parler, qui sont appelés des indulgences car ils vous évitent des années de purgatoire. Et j’ai une bonne nouvelle pour celles et ceux d’entre vous qui souhaiteraient s’en procurer aujourd’hui, vous verrez sur le site de la radio catholique francophone que c’est encore possible ! Ce site mentionne quand même, très brièvement, une certaine « querelle des indulgences » qui aurait eu lieu au 16ème siècle. Nous fêtons en effet ce matin le souvenir de cette petite querelle et surtout de ses conséquences. Car voilà que Martin Luther, un petit moine augustinien, théologien tourmenté par le péché et par la peur du jugement divin, est doublement tourmenté ; cette pratique des indulgences l’indigne, mais surtout il se rend compte que la peur de l’enfer et l’amour du Christ sont des éléments contradictoires – soit on pratique une religion pour ne pas être puni après sa mort, soit on le fait par amour et par joie – mais si on le fait pour ne pas aller en enfer plus tard où sont passés l’amour et la joie ? Et plus ça va – surtout après être allé en pèlerinage à Rome – plus il se dit que son Eglise se conduit de manière peu chrétienne. Il écrira dans « De la liberté du Chrétien » une phrase très claire au sujet de la relation du clergé avec les fidèles. Ceux-ci les ont pris dans les filets et ils les ont mis à mal avec les armes de leurs traditions, alors qu’ils devaient les affranchir et les guérir en leur enseignant la foi et la liberté. Mais déjà en 1515 il a étudié la lettre de Paul aux Romains et y a trouvé des raisons d’espérer. Et donc il paraît que le 1er novembre 1517, il y a donc 508 ans et un jour, quand les fidèles sont arrivés devant l’église du château de Wittenberg, pour y aller à la messe de la Toussaint et surtout, à cette occasion, pour adorer les nombreuses reliques de saints que possédait le château, ils ont trouvé la porte couverte de 95 papiers où Luther avait écrit ses fameuses 95 thèses. C’est le début de ce grand mouvement chrétien qu’on appelle la réforme et grâce auquel sommes ici aujourd’hui. C’est donc cela dont je vais parler, à partir d’un des passages de la Lettre aux Romains qui ont aidé Luther à comprendre qu’une autre approche théologique était possible.
Lecture biblique
Romains 5, 1-11
1 Etant donc justifiés en vertu de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ ;
2 c’est par son entremise que nous avons eu, par la foi, accès à cette grâce dans laquelle nous nous tenons, et que nous mettons notre fierté dans l’espérance de la gloire de Dieu.
3 Bien plus, nous mettons notre fierté dans les détresses, sachant que la détresse produit l’endurance,
4 l’endurance une fidélité éprouvée, et une fidélité éprouvée l’espérance.
5 Or l’espérance ne rend pas honteux, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans notre cœur par l’Esprit saint qui nous a été donné.
6 En effet, lorsque nous étions encore sans force, le Christ, en son temps, est mort pour des impies.
7 A peine mourrait-on pour un juste ; peut-être quelqu’un aurait-il le courage de mourir pour un homme bon.
8 Or voici comment Dieu, lui, met en évidence son amour pour nous : le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs.
9 A bien plus forte raison, maintenant que nous sommes justifiés par son sang, serons-nous donc sauvés de la colère par son entremise !
10 Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu au moyen de la mort de son Fils, à bien plus forte raison, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie.
11 Bien plus, nous mettons notre fierté en Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons obtenu la réconciliation.
Prédication
Attention, en fêtant la réformation nous ne fêtons pas la St Luther, nous ne voulons pas devenir idolâtres à notre tour ni bien sûr relancer une guerre de religion. Et en vérité Luther n’était pas du tout le premier à remettre en cause le fonctionnement et la théologie de l’église au nom de l’évangile. Outre les nombreux anonymes oubliés, on peut citer Pierre Valdo, laïc prônant une église égalitaire, chassé de Lyon au 12è siècle, et ses adeptes massacrés en 1455 ; John Wyclif, prêtre anglais du 14ème siècle qui le premier a mis en cause le caractère magique des sacrements et les a réinterpétés comme des actes purement symboliques, Wyclif qui a affirmé que Dieu reconnaît tous les humains comme ses enfants, qu’ils soient baptisés ou non ; Wyclif, bravant l’interdiction ecclésiale pour traduire la Bible en anglais, mort avant d’être excommunié mais dont le concile de Constance a décidé que ses restes seraient déterrés pour les brûler, et bien sûr Jan Huss, lui-même invité à Constance pour y présenter les thèses de Wyclif et brûlé sur place en 1415, donc 102 ans avant ce geste de Luther en 1517. Mais la pensée de ceux que l’on a fait taire vit encore dans les églises qu’ils ont fondés, Pierre Valdo dans notre église sœur italienne la Chiesa valdese (mais aussi dans l’association d’entraide lyonnaise qui porte aujourd’hui son nom), Jan Huss dans la communauté des Frères moraves qui dès le 15ème siècle revendique la liberté de prêcher et s’oppose à la richesse du clergé, et à leur suite tous les réformateurs qui, en s’ouvrant au souffle de l’esprit, ont permis aux chrétiens de respirer plus librement.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, Luther commence par critiquer le système des indulgences – mais très vite il comprend que ce système n’est que la conséquence – une des nombreuses conséquences – d’une théologie absurde, une théologie où l’homme serait sauvé par ses propres forces, en devenant parfait par lui-même – et justement, Luther ne se sent pas parfait du tout, il se sent même extrêmement pécheur et a donc le sentiment d’un manque d’authenticité qui le fait souffrir. Et dans sa recherche désespérée d’authenticité, voilà qu’il reçoit – d’abord comme une révélation, puis sans doute comme un baume apaisant – voilà qu’il redécouvre ces mots de Paul : justifiés par la foi et par le sang du Christ ; sauvés de la colère de Dieu ; en paix avec Dieu, réconciliés avec lui. Et il ne s’agit pas d’une réconciliation conditionnelle, achetée sur un bout de papier ou obtenue après confession et pénitence jusqu’à la prochaine fois, il s’agit d’un acquittement définitif qu’il explicitera dans le traité « De la Liberté du chrétien »: le chrétien est libre dans le sens qu’il est renvoyé libre du tribunal, sa dette a été remise. Luther fait l’expérience profonde d’une véritable réconciliation, c’est une révolution spirituelle : la réconciliation ne s’opère pas à cause de ce que nous faisons pour Dieu mais à cause de ce que Dieu fait pour nous. Ce que l’homme fait pour Dieu n’est rien, c’est ce que Dieu fait pour nous et en nous qui est au cœur de la foi. Cela n’empêche pas les œuvres de fraternité, au contraire ; Luther précisera que « La foi en Christ ne nous affranchit pas des œuvres mais de l’opinion que l’on en a : la sotte présomption que de chercher la justification par leur moyen». En d’autres termes, quand nous cherchons à être fidèles au message de fraternité de l’évangile, ce n’est pas pour notre propre justification, qui nous est donnée par la foi ; c’est parce que, comme Paul, nous avons été saisis par le Christ, nous le cherchons et nous désirons le suivre.
Et cette découverte, que Luther est obligé de creuser et de développer, pour répondre aux inquisiteurs envoyés par Rome, cette découverte va rapidement en entraîner d’autres, encore plus compromettantes car si nous sommes tous pécheurs et tous pardonnés, sur quoi repose le pouvoir de cette Eglise en forme de pyramide ? Et pourquoi ne pas reconnaître que tout en étant sainte par la présence de l’Esprit, cette institution humaine est également par nature, comme toute institution humaine (et cela depuis le début, comme on le voit au chapitre 5 des Actes des Apôtres, avec la mise à mort d’Ananias et Saphira), cette institution humaine est aussi pécheresse que les humains qui la composent ? Bien sûr ce sera aussi le cas de toutes les Eglises protestantes à venir, les références ne manquent pas à ces moments où nos institutions humaines ont rejeté ou même brûlé au nom de la foi ; mais la conscience du danger, formulée par l’expression ecclesia reformata, semper reformanda (église réformée, toujours à réformer), cette prise de conscience a au moins conduit nos églises à se doter d’un fonctionnement aussi démocratique, aussi juste que possible. Et pourquoi ne pas traduire le texte biblique en une langue que tous peuvent comprendre, au lieu d’en réserver la lecture aux clercs qui comprennent le latin ? Comme l’a joliment dit un jour le pasteur James Woody, « notre esprit n’est pas débranché dès lors que nous nous intéressons aux questions spirituelles ». Bien sûr, en protestantisme comme ailleurs, la tentation du dogme est toujours présente, on trouve encore aujourd’hui dans beaucoup d’Eglises, y compris protestantes, la pratique d’une lecture littérale du texte biblique. Mais en ouvrant le chemin d’une autre lecture de la Bible, la Réforme en a aussi rendu possible une lecture intelligente, une lecture qui interprète les textes, qui tient compte des circonstances historiques dans lesquelles ils ont été écrits, ou traduits, et nous sommes heureux qu’aujourd’hui cette lecture soit également pratiquée par de nombreux catholiques. Cette lecture nous permet d’entendre dans ces pages anciennes une voix qui nous parle aujourd’hui et qui parle à notre cœur autant qu’à notre intellect. Et cette voix nous appelle à vivre avec le Christ, on pourrait dire aussi vivre en Christ ou surtout vivre avec Christ en nous. Jésus disait « vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libre ». La vérité est bien difficile à connaître, mais si nous sommes ici nous en confessons au moins une : en Christ Dieu se fait présent au monde parmi les humains. Cette vérité nous rend libres car pour nous, après la Réforme, elle ne passe plus par les dogmes mais par notre conscience. « Ce sont nos consciences, dit Luther, ce sont nos consciences que la foi rachète, qu’elle redresse et qu’elle sauve. » Or Schleiermacher a dit que « le protestantisme ne devait pas être considéré comme une purification du christianisme mais comme un abandon des mésusages qui s’y sont insinués » – à vrai dire cette affirmation me pose problème : elle se comprend si l’on parle par exemple du célibat des prêtres – mais quand ces « mésusages », ces mauvais usages consistent aussi en une conception erronée des sacrements, et vont jusqu’à permettre qu’ils soient utilisés comme instruments de contrôle des corps et des âmes, je pense qu’on peut tout à fait louer l’intention purificatrice des réformateurs.
Mais si nous essayons d’être tout à fait honnêtes avec nous-mêmes, et je crois que la fête de la Réformation est un très bon moment pour le faire (sinon quand ?) , cette affirmation que seule la foi sauve pourrait poser problème aujourd’hui. Tout d’abord parce que nous, en tous cas ici, nous ne donnons plus au verbe sauver le sens qu’il a eu pendant les siècles passés. Il ne s’agit pas d’échapper aux flammes de l’enfer, ni même d’acquérir l’assurance d’une survie de l’âme après la mort. Il me semble qu’il s’agit d’abord d’accepter notre condition humaine, avec ses joies et ses souffrances, de découvrir sa dimension spirituelle et de nous permettre ainsi de trouver un sens à notre vie. A cet égard, oui, la foi peut nous sauver (même si les œuvres aident aussi, beaucoup d’entre nous le savent et le mettent en pratique) mais comme je l’ai dit en ouverture du culte, chacune, chacun de nous se positionne à sa manière à l’égard de cette recherche que nous appelons la foi – recherche plus ou moins ardente selon les époques et les évènements de notre vie, recherche plus ou moins fructueuse ou infructueuse, mais toujours personnelle – et donc le fait que la Réforme accorde cette place fondamentale à la foi pourrait être un obstacle si… si nous n’étions pas déjà unis, ici comme au dehors, par le profond désir de vivre notre recherche dans la plus grande authenticité possible. Car je crois profondément qu’aujourd’hui, comme hier avec notre cher Sébastien Castellion, la réformation est avant tout une recherche d’authenticité, une recherche qui nous unit et dans laquelle nous sommes accompagnés par le souffle de l’Esprit. L’Esprit, souffle saint dont les Réformateurs ont reconnu la puissance ; l’Esprit indépendant de toute institution humaine, l’Esprit qui souffle où il veut et nous accompagne lorsque, comme ce matin, nous cherchons Dieu ensemble ; l’Esprit qui nous permet d’aimer le mystère de Dieu présent en Christ parmi les humains, l’Esprit par lequel nous nous savons alors réconciliés et aimés ; l’Esprit qui nous permet de nous tenir droits, libres en Christ pour aimer et servir.
