Prédication du 25 décembre 2020

Culte de Noël

de Dominique Hernandez

Que fait Noël ?

Lecture : Luc 2, 1-20

Lecture biblique

Luc 2, 1-20

1 En ces jours-là parut un décret de César Auguste, en vue du recensement de toute la terre habitée.
2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville.
4 Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David,
5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.

6 Pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait accoucher arriva,
7 et elle mit au monde son fils premier-né. Elle l’emmaillota et l’installa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle.

8 Il y avait, dans cette même région, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux.
9 L’ange du Seigneur survint devant eux, et la gloire du Seigneur se mit à briller tout autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande crainte.
10 Mais l’ange leur dit : N’ayez pas peur, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple :
11 aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur.
12 Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.
13 Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait :

14 Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et, sur la terre, paix parmi les humains en qui il prend plaisir !

15 Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.
16 Ils s’y rendirent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
17 Après l’avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant.
18 Tous ceux qui les entendirent s’étonnèrent de ce que disaient les bergers.
19 Marie retenait toutes ces choses et y réfléchissait.
20 Quant aux bergers, ils s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.

Prédication

Qu’est-ce que cela fait Noël ?
Parce que Noël ce n’est pas un anniversaire pour un an de plus, ni une commémoration festive de la naissance de Jésus, un événement du passé quelque part entre -4 et +4.
Noël n’est pas un passé, Noël est un présent. Alors qu’est-ce que cela fait ? De quoi est fait ce présent de Noël ?
Pour chercher une réponse à cette question, l’évangile de Luc nous invite à suivre les bergers. Ce sont quand même les bergers qui occupent la plus grande partie du récit, bien plus que Joseph, Marie et le nouveau-né !
Alors qu’est-ce que Noël leur fait ? Qu’arrive-t-il aux bergers dans ce Noël qui leur arrive ? Oui car ce n’est pas nous qui sommes arrivés à Noël, c’est Noël qui nous arrive, et pas seulement le 25 décembre de chaque année.
Luc nous invite à nous interpréter en bergers. Pas avec des costumes pour une scénette de Noël, mais interpréter ce qui arrive aux bergers pour l’interpréter à notre tour, c’est-à-dire vivre Noël, le présent de Noël.
Quelque chose arrive aux bergers. Et ce n’est pas un ange. L’ange n’est qu’un élément de la mise en scène de Luc pour raconter ce qui arrive à Noël, ce que fait Noël. Ce qui nous arrive, ce n’est certes pas l’armée céleste rassemblée sur la verrière du temple !

Donc les bergers gardaient leurs troupeaux dans les champs, une garde, une veille de nuit. Rien que de très normal, habituel, quotidien, routinier, ordinaire, banal. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les bergers sont dérangés et que cette normalité vole en éclat. C’est déjà un premier élément de réponse : Noël n’est pas normal. Noël, c’est dérangeant. Toutes les traditions autour de Noël, même les plus anciennes et vénérables ne peuvent gommer ou apprivoiser ce dérangement. Noël, c’est du « pas normal » par excellence.
Dans l’empilement de ce que nous n’interrogeons pas ou plus, parce que cela semble évident, parce que cela est hérité, parce que cela s’impose,

dans la succession des obligations, des injonctions, des devoirs, des contraintes,
dans l’accumulation des informations vraies et fausses,  Noël fait irruption, Noël est l’irruption de la question de l’essentiel, symbolisé par l’ange de Dieu dans le récit avec une question en forme d’annonce d’une bonne nouvelle : il vous est né un Sauveur. Et ce Sauveur est un petit enfant couché dans une mangeoire, ni dans un palais royal, ni dans la demeure du grand-prêtre ! Ébranlement maximum, bouleversement de tout un imaginaire, de tous les systèmes de représentation, de tous les systèmes de pouvoir avides de force, de puissance et d’intérêts spécifiques. Noël est une contestation : le Sauveur est un nouveau-né dans une mangeoire, les premiers à en être avertis sont d’humbles bergers.

Deuxième élément pour comprendre ce que fait Noël, c’est qu’après avoir entendu l’annonce et le concert des anges, les bergers ne restent pas où ils étaient.
Allons jusqu’à Bethléem se disent-ils les uns autres. Il faut, à ce moment, regretter que les traducteurs de la Bible aient, la plupart du temps, transformé en un Allons ce qui, en grec, est littéralement un Traversons. Le verbe aller avec le préfixe à travers, dia en grec, cela signifie traverser. Les bergers sont mis en mouvement et ce mouvement est une traversée. Ils sont mis en route, une route à travers quoi ? et vers quoi ? A travers la nuit, à travers les champs, à travers la ville de Bethléem pour trouver Joseph, Marie et le nouveau-né.
Et bien plus que cela, les bergers traversent leurs habitudes de bergers, ils traversent la peur qu’ils ont ressenti, ils traversent la mauvaise réputation qui leur colle à la peau, ils traversent le « qu’en dira-t-on de ces bergers qui ont laissé leurs troupeaux », ils traversent la méfiance que leurs paroles pourraient susciter auprès des habitants de la ville.
Et ils traversent vers une rencontre, non seulement la rencontre de l’enfant, mais également la rencontre de ceux à qui ils annoncent ce qu’ils ont vu et entendu. Ainsi ils traversent vers la parole, parler avec et parler de.

Une mise en route qui est une traversée. C’est ce que fait Noël. C’est ce qui arrive à Noël, parce que Noël est un élan, une dynamique, parce que Noël est un bouleversement de la normalité, de l’habitude, de la routine, de l’ordinaire. Les Écritures en livrent au moins deux précédents.
La première mise en route, le premier à être mis en route, c’est Abraham. Va, quitte ton pays ton lieu d’origine et, la maison de ton père, va, et même, va vers toi, avec cette double dimension du chemin : chemin de terre et chemin intérieur. Abraham a quitté son lieu, son origine, la terre et les liens du sang, il va au-delà de son destin vers une destinée. Il quitte ce qui est, là, pour un appel, vers une promesse, vers un possible.
Aussi bien la généalogie de Luc que celle de Matthieu inscrivent Jésus comme fils d’Abraham, Jésus qui ne cesse de marcher, de se remettre en route, comme un nomade qui n’a pas une pierre où poser sa tête.
Noël nous fait lever de là où nous sommes, de là où nous en sommes des statu quo, des ancrages, des équilibres, des stabilités, des assurances. Noël nous met en quête, non d’une identité, car celle-ci est donnée, comme Abram devient Abraham, comme les bergers deviennent comme des anges en parlant de ce qu’il ont vu et entendu. Nous n’avons pas à nous soucier de qui nous sommes et des méandres de nos routes passées. La quête est celle du Sauveur ou plus exactement celle des lieux où il attend d’être rencontré, visité, les lieux où la vie a besoin d’être accueillie, reconnue, soignée, accompagnée.
L’autre précédent dans les Écritures, c’est celui de la traversée, la traversée de la mer pour quitter l’Égypte, quitter l’esclavage et la servitude pour entrer dans le service de l’Éternel. Les hébreux sont ceux qui traversent. L’étymologie du mot « hébreu », c’est un verbe signifiant traverser. Après le passage à travers la mer, il y a eu des peurs, des murmures, des cris, même des regrets du temps de l’esclavage. Traverser la mer, finalement, cela a été facile quand il s’agit ensuite de traverser le désert, les tentations, le manque, la faim, l’hostilité. Tout ce que Jésus le Christ traversera lui aussi, jusqu’à passer la mort. Pâques, Pâque juive et Pâques chrétienne, traversée, passage, ne pas en rester là, être porté plus loin.
Noël porte aussi cette dynamique, qui fait que les bergers se hâtent vers le nouveau qui est né, le nouveau venu au monde, encore frêle et fragile, mais bien présent.
Noël est cette impulsion vers ce qui vit, vers ce qui advient de vivant, vers ce qui vivifie et renouvelle la vie. Et quand il fait sombre, quand il fait mauvais, quand il fait peur, quand il fait accablant, et que vient l’énergie qui nous rend capables de traverser, c’est Noël. Noël, c’est le courage de ne pas se résigner et qui fait qu’on tient à ce qui fait vivre et même à ce qui fait vivre ensemble, car être vivant c’est vivre avec d’autres. Ce en quoi Noël est un présent à offrir ici et aujourd’hui, en ce temps troublé qui est le nôtre.

Et c’est l’autre grande traversée des bergers que l’évangile de Luc nous invite à interpréter. De l’isolement à la rencontre, du silence de la nuit à la parole partagée. Cette traversée n’est pas évidente pour les bergers qui sont éloignés des autres habitants de la contrée, non seulement parce qu’ils restent dans les champs auprès de leurs troupeaux, mais parce que leurs occupations de bergers les empêchent de participer aux rassemblements communs, aux fêtes religieuses en particulier. parce qu’ils sont requis en permanence par leur veille auprès des bêtes, ils ne peuvent pas accomplir les rites prescrits au moment où ils doivent l’être, ils sont tenus pour de mauvais croyants. Parce qu’ils ne respectent pas les prescriptions de la Loi, ils sont tenus à l’écart. Ils ne sont même pas considérés comme des témoins fiables : leur parole ne vaut pas celle d’un autre habitant du pays.
Pourtant les bergers parlent, et leur parole suscite l’étonnement : ni incrédulité, ni mépris, ni méfiance. C’est positif un étonnement, sans préjuger de ce qu’il deviendra, même s’il disparait sous d’autres préoccupations, même s’il dérive en hypothèses plus ou moins fantaisistes. Un étonnement, c’est comme un petit dérangement, un modeste ébranlement, la possibilité d’une mise en route …
Les bergers parlent, ils offrent ainsi la possibilité d’un échange de paroles, ce qui se dit en français un dialogue. Le mot est composé de logos, parole en grec et la préposition dia, la préposition de la traversée. Le dialogue, c’est la parole, les paroles qui traversent de l’un à l’autre et qui traversent, pour peu qu’on l’accepte et qu’y dispose, les écarts entre les uns et les autres, les différences de générations, de culture, de foi, non pour les réduire mais pour les féconder. Le dialogue, ce sont les paroles qui peuvent traverser les préjugés et la méfiance. Le dialogue, ce n’est pour faire du bruit et ajouter à la cacophonie, ni pour imposer quoi que ce soit à l’autre ; ce sont des paroles-passerelles, des paroles-ponts, des paroles pour la relation. Le dialogue est une manière de se rendre présent et de se laisser rejoindre, paroles incarnées, et la vie en est élargie, approfondie, fécondée, renouvelée, relevée.
C’est cela Noël : une mise en route vers autrui avec une parole incarnée, qui rend compte de la vie reçue par celui ou celle qui parle, parole offerte en partage, pour un partage, parole donnée en reconnaissance de celui à qui l’on parle et en reconnaissance envers celui qui fait parler.
Jésus de Nazareth est confessé par l’évangile de Jean comme la Parole faite chair, manière de dire que la parole divine traverse tout écart dans l’espérance d’être reçue, accueillie en chaque être humain qui se relie ainsi à l’éternité de bonté que nous nommons Dieu.

Il vous est né un Sauveur : la parole de l’ange est répercutée, transmise par les paroles des bergers. Ces paroles sont denses de cet essentiel pour la vie, le sens donné et reçu : vous n’êtes pas perdus, abandonnés à vous-mêmes, à vos peurs ou à votre imagination ou à des chimères. Vous n’êtes pas incapables ni indignes. Ce qui vous arrive, ce qui arrive pour vous, à travers les nuits, les silences, les isolements et les impasses, c’est la vie, la vie en puissance, un nouveau qui naît pour vous et en vous. C’est la Bonne Nouvelle de Noël, c’est la joie de Noël, c’est ce que fait Noël. Réjouissons-nous !

Amen