Prédication du 25 décembre 2021

Culte de Noël

de Dominique Hernandez

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Lecture : Luc 2, 1-20

Lecture biblique

Luc 2, 1-20

1 En ces jours-là parut un décret de César Auguste, en vue du recensement de toute la terre habitée. 
2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. 
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville. 
4 Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, 
5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.

6 Pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait accoucher arriva, 
7 et elle mit au monde son fils premier-né. Elle l’emmaillota et l’installa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle.

8 Il y avait, dans cette même région, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. 
9 L’ange du Seigneur survint devant eux, et la gloire du Seigneur se mit à briller tout autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande crainte. 
10 Mais l’ange leur dit : N’ayez pas peur, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple : 
11 aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. 
12 Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. 
13 Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait :

14 Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et, sur la terre, paix parmi les humains en qui il prend plaisir !

15 Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. 
16 Ils s’y rendirent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né couché dans la mangeoire. 
17 Après l’avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant. 
18 Tous ceux qui les entendirent s’étonnèrent de ce que disaient les bergers. 
19 Marie retenait toutes ces choses et y réfléchissait. 
20 Quant aux bergers, ils s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.

Prédication

Nous pourrions imaginer que les bergers, arrivant au lieu où le nouveau-né est couché dans la mangeoire s’écrient, ou murmurent, ou se disent à eux-mêmes en silence : Eurêka ! j’ai trouvé !
Mais ils ne le diraient pas comme Archimède le mathématicien grec découvrant dans son bain le principe de ce qui sera appelé bien plus tard la poussée d’Archimède, vous savez : tout corps plongé dans un fluide, etc… Archimède dans son bain, c’est quand même une légende, mais reste que le savant de Syracuse a cherché à résoudre un problème qui lui était posé et qu’il a trouvé la solution : eurêka !
Ce n’est pas la solution à un problème que les bergers ont trouvé à Bethléem. Ils ont trouvé ce que l’ange leur avait dit qu’ils trouveraient, là où l’ange leur avait dit qu’ils le trouveraient.
Ils n’ont pas eu à beaucoup chercher, ils sont allés suivant les paroles de l’ange.

Les bergers mènent une vie rude, et on leur mène un peu la vie dure par mépris, par manque de considération. Les bergers sont des gens de peu, voire de rien, leur parole ne compte pas. En bloc, les bergers sont rassemblés dans une catégorie en bas de l’échelle sociale.
Ce sont pourtant eux qui sont, par choix de Luc pour son récit, les premiers bénéficiaires de l’annonce de la bonne nouvelle : aujourd’hui il est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. L’annonce est complétée par un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. 
Quel étrange signe ! Qui d’autres que ces pauvres, ces déclassés pourraient faire crédit à un tel signe : un nourrisson dans une mangeoire ? Un signe tellement petit, tellement modeste, tellement humble. Rien à voir avec la belle étoile qui guide les mages dans l’évangile de Matthieu.
Rien de plus banal qu’un nouveau-né, et un nouveau-né dans une mangeoire, c’est pitié au mieux, c’est à détourner le regard, ou c’est carrément insignifiant. C’est quand même du Sauveur, du Christ, du Seigneur dont parle l’ange ! Mais toute l’armée céleste réunie en chœur ne change rien à la petitesse de ce signe, à sa fragilité.
Que le signe du Sauveur, du Christ soit si discret, si peu évident indique aux lecteurs de l’évangile que les signes du Royaume seront ainsi repérables : sur la paille du monde, à l’écart des foules, sans tambour ni trompette, sans la gloire des puissants de la terre.
Car c’est bien pour aujourd’hui que nous lisons ce vieux récit, non pour prouver quoi que ce soit concernant Jésus, non comme un rapport de faits, non comme une belle histoire à raconter aux enfants. Nous le lisons parce que nous croyons, d’une manière ou d’une autre, que la nuit du monde, aussi profonde soit-elle, est trouée de lumière, d’étoile, d’ange, et que l’obscurité n’est ni l’origine ni l’horizon de ce monde. Nous lisons encore une fois ce récit pour entendre et comprendre une orientation pour nos existences et une interprétation du monde dans lequel nous vivons.
Nous pourrions désespérer un peu de ce que face au déchaînement des violences, des affrontements, des mépris, nous n’ayons pour signes du Christ, pour signes du Royaume, que quelque chose de semblable à un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. Nous pourrions nous dire que si les signes du Christ, signes du Royaume, sont si faibles, si humbles, nous courrons le risque de passer à côté, de ne pas les voir et qu’alors l’obscurité, les ténèbres, la nuit en seront encore plus noirs. 

Mais l’ange dit aux bergers : vous trouverez. 
Vous trouverez : ce n’est pas une énigme, un mystère, ni une chasse au trésor ou un escape game. Ce n’est pas un exercice ni un problème mathématique ou autre pour lequel il faudrait mettre en œuvre des capacités particulières, du savoir, de l’intelligence. Ce signe du Christ n’est donc pas une récompense au terme d’une performance personnelle ou d’une compétition avec d’autres. Ce n’est pas la quête du Graal, et ce n’est pas non plus une surprise qui attend les bergers. Les bergers ont tous les renseignements nécessaires : vous trouverez à Bethléem, un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.
Mais pour le trouver, il faut y aller. D’aucuns auraient pu rester au coin du feu, sous la voute étoilée à veiller sur les troupeaux. Pour trouver le signe, il faut aller à Bethléem et chercher un peu où est ce nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. Pour le trouver il faut se déplacer et chercher, sachant déjà ce qu’est le signe. 

Pour le trouver, il faut en avoir envie, le vouloir, le désirer. En avoir envie comme désir qui touche à la racine et qui tient la vie, le fait d’être vivant, pour plus que travailler, manger, dormir et recommencer. Et au XXI°s, en plus de travailler-manger-dormir, s’ajoute consommer qui est devenu bien autre chose qu’un acte délibéré, autre chose qu’un acte, mais une manière d’être, comme une seconde nature difficile à mettre en question puisqu’elle semble naturelle.
Ce qui fait se lever pour trouver le signe du Christ, du Royaume, c’est l’envie de vie, une vie qui continue à donner envie de vivre et de rester vivant, sur un horizon qui ne soit pas seulement celui des nécessités biologiques et des contraintes imposées.
Il est né un Sauveur : sauveur de l’absurdité et du non-sens, pas des épreuves ; un sauveur du désespoir, pas des efforts ; un sauveur des esclavages intérieurs, pas des tyrans et des dictateurs des peuples. 

Vous trouverez : les bergers devront se lever, se déplacer, même s’ils ne sont pas très loin. Ils n’auront pas à faire un grand voyage, comme les mages de l’évangile de Matthieu. Bethléem ce n’est pas loin, c’est à portée de pas d’hommes dans la nuit, à portée de pas d’humains dans l’obscurité. Nous trouverons le signe du Christ, signe du Royaume, à deux pas, à trois pas, humble et proche, à l’écart et accessible, à notre portée d’humain et de notre désir de vivre, envie de vie, semé en nous, en chacun comme en tous, semence divine de vie vivante. Certes, un, deux ou trois pas peuvent être difficile à faire, surtout quand ce sont des pas de côté, c’est-à-dire une manière de regarder différente, chercher dans la paille dit l’ange, car les bergers n’auraient pas pu trouver l’enfant dans un palais : on ne les aurait pas laissés entrer. 

C’est à Bethléem que les bergers trouveront le signe, à Bethléem la ville de David parce que le Messie, le Christ attendu et venu est de la descendance de David. C’est le lieu où trouver le signe de la bonne nouvelle. Pas question pour nous d’aller à Bethléem bien sûr. Mais Bethléem signifie la maison du pain.
Nous trouverons le signe du Christ, signe du Royaume, là où nous recevrons de la nourriture, des forces, du courage, du réconfort d’âme, une espérance pour le lendemain. Nous le trouverons là où se partage ce qui donne envie de vivre et fait vivre de vie humaine, de vie vivante, pas seulement la subsistance pour le corps, mais l’énergie et le goût d’être vivant et vivant avec d’autres. Partage d’une miche de pain, comme celle que nous partagerons tout à l’heure lors de la Cène, dans une communion de vie donnée, de fraternité, de bénédiction à recevoir avec le pain.
Nous trouverons le signe du Christ, signe du Royaume, là où notre humanité sera nourrie et grandira, là où la capacité à aimer grandira, là où le courage d’être grandira, là où la joie d’être ensemble grandira. Là où la peur diminuera, là où l’épuisement de vivre refluera, là où le désespoir sera réduit, là où les égoïsmes rétréciront.

Nous trouverons un signe qui sera comme un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.
Ce sera comme un commencement, une aube, un frémissement. Pas une manifestation de grandeur ou de puissance, mais une fragilité, une vulnérabilité qui ne s’impose pas et n’impose rien. Un signe comme un appel à notre présence, à notre initiative, à notre imagination, à notre action pour que la fragilité ne soit pas écrasée par une expression de force, une exigence d’assurance, une sommation de compétence. Le signe du Christ, signe du Royaume, c’est une fissure dans un mur, une faible voix dans une cacophonie, un tremblement dans un couvercle de plomb, ou comme une bouée jetée à la mer.
Un nouveau-né a besoin que d’autres prennent soin de lui pour l’emmailloter, le nourrir, le bercer, lui parler. Son impuissance est un appel à l’aide. Mais sa présence fait lever une tendresse, une douceur, une patience qui écartent les déterminismes : le nouveau-né grandira, et l’on ne sait pas quel homme, quel Christ il deviendra. Cette impuissance affranchit de la gloire pour désigner l’humilité, elle libère de la puissance pour ouvrir des possibles. Un nouveau-né comme signe déroute de l’exigence d’assurance, de force ou de compétition qui pèse sur les humains, il décale de l’impératif de prouver, de justifier, de devoir se faire soi-même par soi-même un nom ou une place.
D’ailleurs, la place de ce nouveau-né est dans une mangeoire écrit Luc, parce qu’il n’y avait pas de place pour lui dans la salle commune. Il est déposé hors de l’organisation de la société de l’empire romain et de ses commerces en tous genres, également hors des systèmes religieux, déposé hors des normes, à la marge. Il est déposé comme une nourriture, pain de vie d’une abondance qui ne doit rien aux comptes qui tiennent souvent lieu d’ordre du monde.

Ce n’est plus l’empire romain qui dicte la loi, mais d’autres empire pas forcément géographiques et politiques. Les César Auguste et Quirinius d’aujourd’hui portent d’autres noms. Mais ce qui est imposé aux humains ne leur apporte ni la paix ni la joie d’être vivant avec d’autres. Et l’espérance peine souvent à surmonter ce qui veut l’étouffer.
Un signe comme un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire semble bien dérisoire dans ce monde qui compte et tient aux comptes.
Mais le signe de la Bonne Nouvelle, le signe du salut, du royaume n’est pas autrement car c’est ainsi qu’il est signe qu’en vérité, l’avenir n’est pas écrit, même si César Auguste et ses multiples successeurs s’évertuent à faire croire le contraire. Ceux qui sont les maîtres du monde ne peuvent laisser croire que le monde pourrait être autrement que ce qu’ils en font.
Le nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire est le signe que si ; il est toujours, encore aujourd’hui la possibilité, l’invitation, l’offre, l’appel d’un monde nouveau.
Nouveau-né de Bethléem, crucifié du Golgotha, Ressuscité de Pâques.
Nous trouverons des signes, modestes, humbles, fragiles et ils ne peuvent être autrement.
Nous trouverons le goût de la vie qui naît et ressuscite, le goût du pain et de la communion, l’envie de vie, d’être vivant qui repose en chacun, graine de christ qui ne grandit pas en orgueil mais en service, en partage, en don.

C’est Noël, un jour pour aller encore chercher et trouver les signes de la Bonne Nouvelle, qui seront comme un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire à Bethléem. Et bien sûr, ce peut être Noël chaque jour.