Prédication du 23 mai 2021

Culte de Pentecôte

de Dominique Hernandez

La diversité de Pentecôte

Lecture : Actes 2, 1-11

Lecture biblique

Actes 2, 1-11

1 Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu.
2 Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis.
3 Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s’en posa sur chacun d’eux.
4 Ils furent tous remplis d’Esprit saint et se mirent à parler en d’autres langues, selon ce que l’Esprit leur donnait d’énoncer.

5 Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem.
6 Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue.
7 Etonnés, stupéfaits, ils disaient : Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont, d’Asie,
10 de Phrygie, de Pamphylie, d’Egypte, de Libye cyrénaïque, citoyens romains,
11 Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons dire dans notre langue les œuvres grandioses de Dieu !

Prédication

Quelle conjonction étonnante que ce récit de Pentecôte du livre des Actes, lu, entendu, alors que depuis quelques jours à peine, couvre-feu repoussé, commerces et terrasses ouvertes invitent à sortir, et peut-être offrent la possibilité de parler, de se parler, parler à des connaissances ou parler peut-être à des inconnus. Et ainsi, entendre parler de multiples langues, même si les touristes ne sont pas revenus, une grande diversité de langues se donne à entendre dans les rues de Paris. Alors certes, en ce jour de Pentecôte, nous ne pensons pas devenir tous polyglottes. Mais après un an de relations humaines rendues plus difficiles par les distances, les confinements, les différentes mesures sanitaires, nous voici à nouveau avec cette légèreté d’être et d’être avec d’autres en pouvant se rencontrer et se parler. 

Une expérience est souvent reproduite à l’école biblique et en catéchisme quand il s’agit de parler de l’Esprit Saint aux enfants. Il s’agit de leur demander d’expirer profondément, de vider leurs poumons autant que possible, et ensuite d’essayer de prononcer un ou deux mots. Ce qui n’est pas possible. Pas d’air dans les poumons, pas de souffle, pas de parole ! Il est ainsi plus facile de faire comprendre aux enfants que l’Esprit, littéralement le souffle traduction du grec pneuma, l’Esprit/Souffle permet la communication ; il est puissance, énergie de communication d’une Parole puisque telle est la manière biblique d’exprimer ce qui de Dieu vient toucher, saisir, transformer l’être humain.
L’association du souffle et de la parole est particulièrement mise en évidence dans le récit du livre des Actes.
L’Esprit y est doublement symbolisé par la mention du vent violent et des langues de feu se posant sur chacun des apôtres. L’advenue de l’Esprit pousse les disciples à sortir du lieu où ils se tenaient pour parler à la foule qui s’est rassemblée en entendant ce grand bruit.
Ce vent se dit en grec pnoè, un mot de la même famille que pneuma, construits tous les deux à partir du même verbe signifiant souffler et respirer. L’image de l’Esprit de Dieu comme vent est familière aux lecteurs de la Bible hébraïque. C’est le souffle/vent qui planait sur la surface de l’eau au commencement du livre de la Genèse. En hébreu c’est le mot vent qui désigne l’Esprit de Dieu C’est le souffle/vent qui mobilise et fait parler les prophètes. C’est le souffle/vent qui passe sur les ossements desséchés pour reconstituer un peuple dans la grande vision du prophète Ezéchiel. C’est le souffle/vent qui est promis dans le livre du prophète Joël, cité par l’apôtre Pierre s’adressant à la foule juste à la suite du récit que nous avons lu : 

Après cela, je répandrai mon souffle sur tous :
vos fils et vos filles deviendront prophètes,
vos anciens auront des rêves,
et vos jeunes gens des visions.
Oui sur mes serviteurs, hommes et femmes,
en ces jours-là je répandrai mon Esprit
et ils parleront en prophètes.

Dans les évangiles, Jésus est entièrement inspiré par l’Esprit/Souffle, symbolisé par une colombe descendant sur lui le jour de son baptême et c’est cet Esprit qu’il promet à ses disciples, que ce soit dans l’évangile de Jean ou dans le récit de l’Ascension de l’évangile de Luc, repris au début du livre des Actes. L’Esprit/Souffle est cette force vitale qui met les disciples en mouvement pour le témoignage de l’Évangile, et qui les entraîne à parler, à exprimer les merveilles de Dieu écrit Luc, l’œuvre belle et bonne de Création, de résurrection pour chacun et pour tous.

Je vous propose de de nous arrêter sur trois points particuliers mis en avant par le récit de Luc au sujet de la parole.

A Jérusalem, dans le judaïsme, la fête de Pentecôte représente, outre la fête du don de la Loi, la fête des moissons, fête des récoltes grâce auxquelles la vie du peuple est assurée. Elle recèle en cela une véritable dimension spirituelle de remerciement à Dieu pour la vie et même la vie sauvée. Les récoltes éloignent la peur de manquer de nourriture, la peur de la famine et de son cortège de misères, de souffrances et de morts. La Pentecôte recèle ainsi une puissance d’encouragement, de courage reçu pour vivre.
Lorsque Luc écrit, vers les années 80, le Temple est détruit et les rassemblements des juifs venus des diverses contrées où ils sont établis ne sont plus d’actualité. Mais ce récit raffermit le cœur des chrétiens eux-mêmes en situation précaire : il rappelle que le don de l’Esprit représente une source de courage dans l’adversité, dans les épreuves à supporter et à traverser. Alors les disciples peuvent parler contre la peur. 

Contre la peur de la famine et du manque des moyens de vivre,
contre la peur de la dispersion et de la persécution,
contre la peur d’une existence insensée,
contre la peur des oppressions et des humiliations,
contre la peur des classements et des déclassements,
contre la peur des intégrismes et des fanatismes,
contre la peur de l’avenir. 

Les paroles des disciples sont des paroles qui font vivre, des mots qui font vivre comme l’écrivait le poète Éluard.
Parce que le Dieu qui donne son Esprit est un Dieu qui ne parle pas par catastrophes ou calamités. Le langage de Dieu ne passe pas par la peur ni par la menace. Dieu qui donne son Esprit est Dieu présent dans nos esprits, pour le salut, pour la bénédiction.

Le récit de Luc fait comprendre encore autre chose, avec l’image de ces langues de feu qui se posent sur chacun des disciples rassemblés. Dans la plupart des représentations, comme celle proposée dans L’Amitié du mois de mai, ces langues de feu sont représentées par de petites flammes, une sur la tête de chaque disciple. Le symbole du feu est présent dans la Bible hébraïque lorsqu’il s’agit de mettre en scène une théophanie, une manifestation de Dieu. C’est par exemple la colonne de feu qui précède le peuple dans le désert la nuit ; ou le char de feu enlevant le prophète Élie. Ou encore nous pouvons lire ceci dans le livre du prophète Jérémie (23,29) : Ma parole n’est-elle pas comme un feu – déclaration du Seigneur ? Le feu comme symbole de la Parole de Dieu est repris par Luc dans le récit des disciples sur le chemin d’Emmaüs qui se disent l’un à l’autre : notre cœur ne brûlait-il pas en nous lorsqu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait le sens des Écritures ?
Le don de l’Esprit à chaque disciple, une langue de feu sur chacun, individuellement, signifie que Dieu parle à chacun personnellement. Dieu parle à chacun dans sa propre langue, avec sa culture, ses représentations, son imaginaire, ses héritages, ses ombres et ses lumières, son histoire et même ses émotions. Dieu parle à chacun dans la singularité de l’être, avec la composition, les articulations de tout ce qui le constitue. En cela cette parole n’est pas parole générale, mais toujours parole personnelle, adressée, parole qui va s’incarner d’une manière unique. Toutes ces manières uniques parle de diversité.
Hier, samedi, lors de la messe à Notre Dame d’Espérance organisé par les deux groupes Église verte de nos deux paroisses, il était question de Pentecôte et de biodiversité, parce que c’était la journée de la biodiversité. Aujourd’hui la diversité est celle des manières dont la Parole s’inscrit dans les existences humaines, la diversité des manières dont les croyants sont transformés par le souffle de l’Esprit, la diversité des chemins qu’ils peuvent emprunter dans cette nouvelle orientation. Ce qui nous touche et nous saisit : la Parole, ce qui monte en nous et nous anime : l’Esprit,  cela ne nous uniformise pas, cela ne nous réduit pas dans un seul modèle. Au contraire, Parole et Esprit nous déploient dans une grande diversité, sans que cette diversité puisse être hiérarchisée, sans que les uns ou les autres puissent être disqualifiés, sans qu’une norme puisse prévoir ou contrôler la justesse de tel chemin ou de tel autre. Cette diversité est un effet de Pentecôte, du don de l’Esprit de Dieu qui vient en nos esprits comme source intérieure de la Parole de Dieu.

Alors forcément, en conséquence, troisième point, les paroles des disciples ne sont pas non plus uniformes. Ces merveilles de Dieu que chacun, Parthe, Mède, Élamite… Crétois ou Arabe entend dans sa langue maternelle, c’est-à-dire la langue qui parle à son cœur, la langue qui est langue de son existence, ces merveilles de Dieu, ce ne sont pas les mêmes. La diversité des langues est une façon de dire la diversité des expressions et la diversité de ce qui a été reçu et compris. Les disciples saisis par l’Esprit ne disent pas tous la même chose.
L’un parlera de la vie sauvée du non-sens ou du désespoir, un autre de la dignité restaurée et reconnue, un autre encore de la libération de la culpabilité ou d’un système d’oppression, encore un autre témoignera de l’amour inconditionnel qui l’a accueilli, recueilli.
Il n’y a pas à chercher ce qu’il faut dire auprès d’un magistère quel qu’il soit. Chacun est capable de parler, puisqu’en lui l’Esprit fait passer, couler, résonner la Parole divine, Parole créatrice, Parole de vie.
Chacun dit à sa manière sa relation à Dieu. Chacun rend compte de sa lecture des Écritures. Chacun retrace son chemin de spiritualité. Chacun exprime ce qu’il comprend de Dieu. Et ces paroles, dans leur diversité existentielle, spirituelle et théologique, aident ceux qui les écoutent ; cela les aident à comprendre qu’eux aussi, tels qu’ils sont et d’où qu’ils viennent, sont au bénéfice de ce Souffle et de cette Parole.

Il arrive parfois que la diversité de Pentecôte, celle des effets de l’Esprit et de la Parole entraînant celle des paroles des disciples, soit incompréhensible, ou inacceptable. Cela peut arriver dans l’orgueil de penser détenir la vérité au sujet de la foi, de la vie spirituelle, de la théologie ou/et dans la peur d’être fragilisé par la différence et la pluralité. L’association de l’orgueil et de la peur produit des réactions de rejet, de jugement, de condamnation de ceux qui croient différemment, pensent différemment, parlent différemment, vivent différemment. Toute l’histoire de l’Église et de chacune des Églises en est tissée. Chaque croyant, dans son histoire, y est confronté et même doit affronter cette question de la diversité des effets de l’Esprit et des paroles des croyants. Et si je dis affronter, c’est qu’il s’agit parfois d’un rude combat, non pas contre l’autre, mais contre l’orgueil et la peur, contre la propension à penser qu’en matière de foi comme ailleurs il s’agit d’avoir raison, contre les plis bien amidonnés, les raideurs intérieurs hérités de l’éducation et de la culture.
L’Esprit souffle là également,

il déplace les évidences et les attentes,
il pousse au mouvement de la pensée, à la dynamique des relations, aux débats et même à la dispute théologique,
il fait apparaître et prendre conscience de la diversité des interprétations des textes bibliques
il ouvre au dialogue et à son approfondissement.

Pentecôte est fête de la diversité heureuse et bénie, et l’Esprit de Dieu qui y est célébré est un esprit de communion, communion par le don, par la Parole et l’Esprit donnés et non par leurs effets, communion en Celui qui donne et non en ceux qui reçoivent. La communion s’enracine au-delà de ce que nous expérimentons, pensons et incarnons, de même que Dieu est au-delà de ce que nous disons de lui. Et c’est ainsi que nous pouvons être rassemblés, sans exiger que tous soient plus ou semblables. C’est ainsi que nous pouvons éprouver de la curiosité et de la joie de la présence des autres différents. L’Église de Pentecôte est l’Église de l’Esprit de reconnaissance, reconnaissance dans les trois sens du terme : 

la découverte/ l’exploration,
la connaissance mutuelle/l’identification mais qui ne doit pas enfermer autrui,
et la gratitude pour la Parole de création et de résurrection adressée à chacun de nous et pour la communion qui nous réunit, la gratitude pour la diversité et la liberté que la diversité suppose et implique, la gratitude pour la confiance qui, malgré tout, nous est donnée.