Prédication du 2 mars 2025
Confirmation de Gilbert
de Dominique Imbert-Hernandez
Élie et la vie
Lecture : 1 Rois 19, 1-18
Introduction
Gilbert a choisi ce texte du Premier livre des Rois pour aujourd’hui. Il avait choisi un plus court extrait, du verset 9 au verset 13. En le travaillant, il m’a d’abord semblé indispensable de commencer au début du chapitre, puis de poursuivre par ce que l’Éternel dit à Élie. Nous lirons donc des versets 1 à 18. Mais avant, quelques mots du contexte.
Elie est un prophète puissant de l’Éternel, seul contre tous ceux qui s’inclinent devant le dieu Baal, à commencer par le roi Akab et par la reine Jézabel avec ses prophètes de cours, avec aussi le peuple qui se laisse impressionner par le plus fort. Puisqu’il faut une démonstration de puissance, Elie ne recule pas : un défi de feu au mont Carmel ! Celui dont le sacrifice sera consumé par un feu divin surgi grâce à ses seules invocations, celui-là aura gagné : il aura manifesté que son dieu est le plus fort. Elie d’un côté, 450 prophètes de Baal de l’autre. Ce sont eux qui commencent et qui échouent : pas la moindre petite étincelle en dépit des cris et des gesticulations. Puis c’est le tour d’Élie, qui commence par noyer sous de l’eau le bois prévu pour le sacrifice. Et lorsqu’Élie prie, une courte prière, le feu tombe du ciel sur le bois trempé et sur la viande du sacrifice et tout est consumé. Alors Elie, non content d’avoir manifesté la puissance de Dieu, manifeste également la sienne en égorgeant les 450 prophètes de Baal. Le feu est tombé du ciel et le sang a coulé à flot.
Lecture biblique
1 Rois 19, 1-18
(Traduction Nouvelle Bible Segond modifiée)
1 Achab raconta à Jézabel tout ce qu’avait fait Elie, et comment il avait tué par l’épée tous les prophètes.
2 Jézabel envoya un messager à Elie, pour lui dire : Que les dieux fassent ceci et qu’ils y ajoutent cela, si demain, à cette heure-ci, je ne fais de ta vie ce que tu as fait de la vie de chacun d’eux !
3 Elie, voyant cela, s’en alla pour sauver sa vie. Il arriva à Bersabée, qui appartient à Juda, et il laissa là son serviteur.
4 Quant à lui, il alla dans le désert, à une journée de marche ; il s’assit sous un genêt et demanda la mort en disant : Cela suffit ! Maintenant, Éternel, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères.
5 Il se coucha et s’endormit sous un genêt. Soudain, un messager le toucha et lui dit : Lève-toi, mange !
6 Il regarda : il y avait à côté de lui une galette cuite sur des pierres chaudes et une cruche d’eau. Il mangea et but, puis se recoucha.
7 Le messager de l’Éternel vint une seconde fois, le toucha et dit : Lève-toi, mange, car le chemin serait trop long pour toi.
8 Il se leva, mangea et but ; avec la force que lui donna cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb.
9 Là-bas, il entra dans la grotte et y passa la nuit. Soudain la parole de l’Éternel lui parvint, qui lui disait : Que fais-tu ici, Elie ?
10 Il répondit : J’ai montré une passion jalouse pour l’Éternel, le Dieu des Armées ; car les Israélites ont abandonné ton alliance, ils ont rasé tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis resté, seul, et ils cherchent à me prendre la vie !
11 Il reprit : Sors et tiens-toi dans la montagne, devant l’Éternel. Or l’Éternel passait. Un grand vent, violent, arrachait les montagnes et brisait les rochers devant l’Éternel : l’Éternel n’était pas dans le vent. Après le vent, ce fut un tremblement de terre : l’Éternel n’était pas dans le tremblement de terre.
12 Après le tremblement de terre, un feu : l’Éternel n’était pas dans le feu. Enfin, après le feu, une voix de fin silence.
13 Quand Elie l’entendit, il s’enveloppa le visage de son manteau, sortit et se tint à l’entrée de la grotte.
Soudain une voix lui dit : Que fais-tu ici, Elie ?
14 Il répondit : J’ai montré une passion jalouse pour l’Éternel, le Dieu des Armées ; car les Israélites ont abandonné ton alliance, ils ont rasé tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis resté, seul, et ils cherchent à me prendre la vie !
15 L’Éternel lui dit : Va, reprends ton chemin par le désert jusqu’à Damas ; quand tu seras arrivé, tu conféreras l’onction à Hazaël pour qu’il soit roi sur Aram.
16 Tu conféreras l’onction à Jéhu, fils de Nimshi, pour qu’il soit roi sur Israël ; et tu conféreras l’onction à Elisée, fils de Shaphath, d’Abel-Mehola, pour qu’il soit prophète à ta place.
17 Celui qui échappera à l’épée d’Hazaël, Jéhu le fera mourir ; et celui qui échappera à l’épée de Jéhu, Elisée le fera mourir.
18 Mais je laisserai en Israël sept mille hommes, tous les genoux qui n’ont pas fléchi devant le Baal, toutes les bouches qui ne l’ont pas embrassé.
Prédication
De ce vaste récit, je garderai trois thématiques, trois seulement parmi toutes celles qu’il recèle, une pour chacune des parties du texte tel que la mise en page le propose. Il sera d’abord question de la vie nourrie, puis de la vie intérieure, enfin de la vie après l’échec.
Élie est à bout de souffle, épuisé par l’hostilité dont le poursuit la reine Jézabel malgré sa démonstration de puissance au mont Carmel. Il n’a cessé de parler et d’agir afin que roi, reine et peuple se détournent de Baal, se convertissent et reviennent vers l’Éternel. Il y a mis toute sa force, toute son énergie, toute sa foi. Et le voici assis sous un genêt, fragilisé, exténué, découragé, lui le géant de la foi, à demander la mort – seulement que celle-ci n’advienne pas par la haine de Jézabel, mais par la pitié de l’Éternel. Tout ce qu’il a fait n’a pas abouti, c’est un échec. Bien sûr, les lecteurs du livre des Rois ont bien remarqué que l’Éternel n’avait pas demandé à Élie de massacrer les prophètes de Baal, que c’est cette initiative du prophète qui a suscitée l’ire de Jézabel. Et nous, nous savons bien aujourd’hui que la violence n’appelle que la violence et nous croyons que si Dieu a besoin de témoins, de prophètes, d’hommes et de femmes pour porter sa parole, il n’a pas besoin d’exécuteurs, ni de vengeurs, ni de soldats armés pour défendre ou imposer qu’il est Dieu.
Je ne suis pas meilleur que mes pères. Un autre échec, encore plus fondamental pour Élie que celui de n’avoir pas réussi à ramener le peuple vers l’Éternel. C’est cela, plus que l’échec de sa mission de prophète qui lui fait désirer la mort : n’avoir pas été meilleur que ses pères.
Élie avait une mission et une ambition.
La mission lui a été donnée par l’Éternel, celle de ramener le roi, la reine et peuple de leur idolâtrie, une idolâtrie qui à travers celle du dieu Baal est révélée dans le récit biblique comme étant celle du pouvoir et de l’argent, une idolâtrie qui conduit toujours, toujours aux rapports de force, à favoriser les intérêts personnels, à l’exploitation des humains, à leur domination, au déni de leurs droits et de la justice, à une fuite en avant hors de ce qui fait l’humain et l’humanité.
Rien n’a changé aujourd’hui n’est-ce pas ? Même si l’idole ne porte plus le nom de Baal.
L’ambition est celle d’Élie lui-même : être meilleur que ses pères. Ce n’est pas l’Éternel qui le lui a demandé. Mais l’ambition d’Élie s’est nouée, s’est tissée dans sa mission. Car il y a eu d’autres prophètes avant lui, ceux qu’il désigne comme ses pères, qui n’ont pas pu empêcher le peuple de se détourner de l’Éternel. Et surtout il y a eu Moïse lui-même, la figure majeure, celui qui a fait sortir le peuple d’Égypte et qui l’a conduit vers la terre promise, sans avoir pu empêcher ce peuple de grogner, de récriminer, de se rebeller contre l’Éternel, de se forger une idole en forme de veau d’or, Moïse qui n’est pas entré en terre promise.
Même un grand prophète n’est pas un prophète parfait.
N’avoir pas été meilleur que ses pères, c’est l’échec qui dévitalise Élie. L’échec de la mission est doublé, dépassé, débordé par l’échec de l’ambition. Car le jugement qu’Élie porte sur lui-même est d’être insuffisant, incapable, raté, vidé de sens, malgré tout ce qu’il a fait. Sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue parce que tout ce qu’il a fait -et il a accompli des choses impressionnantes !- ce qu’il a fait n’a pas fait de lui ce qu’il voulait être. Élie se compare et comme ce n’est pas à son avantage, il démissionne, de sa vocation et de sa vie. De ce qui remplissait sa vie, il ne reste quasiment rien.
Mais est-ce qu’une vie doit être remplie ? Est-ce que la vie ne vaut que d’être remplie ?
Lève-toi et mange. Par deux fois un messager intervient. Une galette, une cruche d’eau. Lève-toi et mange car le chemin serait trop long pour toi. Du pain, de l’eau, le nécessaire pour la vie, pour continuer. Élie est nourri. Ce n’est pas la première fois. Il a été nourri de pain et de viande par des corbeaux lors d’une longue période de sécheresse, puis de galettes de farine et d’huile par une veuve de Sarepta, et là, de galette et d’eau par un messager de l’Éternel. Toujours le nécessaire pour vivre, pas plus, et toujours à travers les corbeaux, la veuve de Sarepta et le messager, par Dieu lui-même. De quoi se dire qu’une vie bien nourrie est plus importante qu’une vie bien remplie.
Nous ne sommes pas faits de ce que nous faisons, ni de nos échecs, mais de ce qui nous nourrit.
De quoi sommes-nous nourris au temps de sécheresse ? au désert ? au temps du découragement, de l’épuisement ?
De quoi sommes-nous nourris qui nous donne des forces pour avancer encore ?
Allons-nous avaler n’importe quoi ?
Quelle nourriture vient de Dieu, d’une manière ou d’une autre, pour que nous puissions être relevés de nos effondrements ?
L’Éternel ne renvoie pas Élie, il ne le juge pas insuffisant, ni raté, ni incompétent, ni inutile. Il le nourrit car il y a encore du chemin, il y a encore à vivre. Il y a un « encore » pour Élie, un encore qui ne tient pas à lui, mais à la fidélité de l’Éternel qui le nourrit. C’est cela vivre : être nourri par le Dieu Vivant. C’est cela la vie qui est vie : non d’être bien remplie mais d’être bien nourrie.
Élie marche jusqu’à l’Horeb, la montagne de l’Éternel, celle où Moïse a reçu les Dix paroles de vie. Il entre dans une grotte. Aller sur la montagne, lieu de la rencontre avec Dieu, dans une grotte, lieu enveloppant et à l’écart de l’environnement, le récit donne à voir Élie dans sa vie intérieure. Il nous aide à comprendre quelque chose de la vie intérieure, pas seulement d’Élie, mais peut-être aussi de la nôtre.
Il y a la solitude, il y a l’Éternel, il y a un dialogue qui sonne comme une prise de conscience aidée par une sorte de pédagogie divine pour le prophète.
Que fais-tu ici Élie ? D’une part la question n’est pas jugement et encore moins condamnation du prophète qui a échoué. D’autre part elle est entrée en matière qui laisse à Élie la liberté et la place de sa réponse, de sa réflexion sur sa situation et de sa propre parole. Le Dieu dont témoignent les Écritures est un questionneur (dernier culte KT).
Si Élie ne demande plus la mort, il se plaint. Il se plaint de ces Israélites idolâtres, qui cherchent à le tuer, lui, le seul resté fidèle. Élie seul contre tous, tous ceux qui ont rompu l’alliance. Ce qui lui reste de sa mission et de son ambition, cette fidélité farouche est quelque peu teintée d’orgueil. Mais Dieu a toujours fait avec ce que les humains sont, en leur donnant de quoi réfléchir, de quoi être travaillé intérieurement. Alors Dieu se lance dans une série de manifestations formidables : vent violent, tremblement de terre, feu. C’est bien Dieu qui le fait, mais il n’y est pas, ce n’est pas lui. Vent violent, tremblement de terre, feu, c’est pourtant ce qu’Élie attendait de Dieu, c’est à la mesure de l’Éternel qu’Élie a lui-même invoqué sur le mont Carmel. Ces manifestations extraordinaires, remplies de puissance jusqu’à la violence, dépassant tout ce qu’on n’a jamais vu, tout ce qui sature les sens comme Élie l’a fait au Carmel et qui laisse les spectateurs sidérés, vaincus à défaut d’être convaincus,
ce n’est pas cela qui nourrit, qui approfondit, qui élargit la vie intérieure.
Dieu vient dans une voix de fin silence, merveilleuse traduction de l’hébreu par Emmanuel Lévinas qui rend justement compte que la présence de Dieu n’est pas perceptible par nos sens : ouïe, vue, toucher, odorat, goût… Seule la poésie est capable d’en dire quelque chose, puisqu’il faut quand même bien en parler. La quasi-totalité des traductions font appel à un sens en évoquant un son ou une brise, un murmure ou un souffle. Ailleurs d’autres parlent de feu, de lumière, de chaleur,
Qu’est-ce que la voix du silence ? Parce que le silence est autre chose que l’absence de sons et de bruits, absence dont nos oreilles nous rendent compte. Qu’est-ce qu’un fin silence quand le silence lui-même est déjà insaisissable ?
Dieu vient absolument autrement que ce à quoi le prophète s’attendait, sans effet spéciaux, sans pyrotechnique, mais pourtant Élie reconnaît sa venue, renonçant à ce qu’il sait, à ce qu’il attend, à ce qu’il croit au sujet de l’Éternel. Notre vie intérieure n’est pas restreinte à ce qui est sensible, elle est capable d’un au-delà de ce que nos sens et même notre pensée nous permettent. Elle maintient une vigilance à une autre forme d’altérité que celle de ce qui nous environne et dont nous faisons l’expérience avec nos sens. Car elle est cette disposition intérieure que nous ne remplissons pas de nous-mêmes, de nos perceptions, de nos convictions, de nos connaissances. Elle laisse un espace à Dieu, un silence pour Dieu, une ouverture que nous ne saturons pas de nos attentes de merveilleux et de spectaculaire ni de nos projections sur Dieu.
La venue de Dieu qui rencontre l’humain dans son intériorité ne garantit pas non plus, toujours pas, la perfection de l’humain. Élie se plaint encore du peuple idolâtre et met en avant sa fidélité avec le même orgueil spirituel, avatar un peu dérisoire de son ambition perdue. A défaut d’avoir été meilleur que ses pères, il reste le seul fidèle…
Ce qui revient à reconnaître être dans une impasse, d’où le sort l’Éternel qui lui confie encore une mission. Élie n’a pas réussi à convertir roi, reine et peuple, mais l’Éternel indique une autre manière. Il s’agit de s’y prendre autrement pour mettre fin à l’injustice. L’échec n’est pas l’occasion d’une punition, mais d’une nouvelle manière d’agir.
Il y a une vie après l’échec, même l’échec d’une mission confiée par Dieu, l’échec de la libération de l’idolâtrie, l’échec du retour du peuple dans l’Alliance, l’échec du rétablissement de la justice. Les prophètes de la Bible ont tous un rôle politique auprès des rois de leur temps pour rappeler et exiger que les rois soient au service de la justice selon la Parole de Dieu. Ils n’ont pas toujours réussi. Ce n’est pourtant pas la fin du monde. Car ce que fait Dieu qui rencontre le prophète, et l’humain, c’est d’ouvrir du sens, ici : Tu feras autrement, et à plus long terme, et cela aboutira peut-être bien après toi. Élie ne verra pas l’accomplissement du plan présenté par l’Éternel, c’est Élisée son successeur qui oindra les deux rois choisis par Dieu. A travers le récit, nous sommes appelés à l’imagination, à la réflexion stratégique pour la justice, à l’élaboration à long terme pour la paix qui accompagne la justice,
et nous sommes appelés au partage de la tâche.
Car l’autre chose que fait l’Éternel, c’est d’ouvrir les yeux du prophète aveuglé par son orgueil : non, il n’est pas seul à être resté fidèle. Il y en a 7000 autres, ce n’est pas rien tout de même, et pour nous, tant d’autres qui ont fait leur propre expérience de Dieu et dont la diversité est une richesse et une chance pour la justice et pour l’humanité.
Dans la lutte contre l’idolâtrie et l’injustice, il n’est pas question de se résigner, quand bien même l’une et l’autre prospèrent. Jean de Patmos, ne dit pas autre chose dans le livre de l’Apocalypse. Il s’agit de persévérer, de se poser toujours à nouveau dans l’essentiel, de veiller à la vie intérieure par laquelle nous ne sommes pas réduits à nous-mêmes mais reliés à la transcendance et à d’autres qui s’y relient aussi. Notre espérance ne se tient pas dans nos compétences mais dans la fidélité de l’Éternel.
Avec Élie nous comprenons que nous pouvons continuer autrement lorsque nous avons échoué et que d’autres sont aussi à l’œuvre même si c’est d’une manière différente des nôtres. Dieu inspire sans relâche. La voix de fin silence résonne en bien des personnes, pas sur des foules à impressionner, mais en des personnes qui se mettent en marche, en action, en parole, qui se retrouvent à plusieurs pour rappeler à de plus puissants qu’eux ce qu’est l’idolâtrie et ce qu’est la justice.
Mais en aucune manière, la justice ne peut advenir de l’exercice d’une violence contre autrui. Elle advient par l’écoute de la Parole de vie, par la disponibilité à la voix de fin silence qui vivifie et inspire celles et ceux qui l’accueillent.