Prédication du 29 août 2021

de Dominique Hernandez

En grâce et en liberté

Lecture : Romains 8, 1-17

Lecture biblique

Romains 8, 1-17

1 Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. 
2 En effet, la loi de l’Esprit de la vie en Jésus-Christ t’a libéré de la loi du péché et de la mort.

3 Car — chose impossible à la loi, parce que la chair la rendait sans force — Dieu, en envoyant son propre Fils dans une condition semblable à la chair du péché, en rapport avec le péché, a condamné le péché dans la chair, 
4 pour que la justice requise par la loi soit accomplie en nous qui marchons, non selon la chair, mais selon l’Esprit. 
5 En effet, ceux qui sont sous l’emprise de la chair s’accordent aux tendances de la chair, tandis que ceux qui sont sous l’emprise de l’Esprit s’accordent aux tendances de l’Esprit. 

6 Or la chair tend à la mort ; l’Esprit, lui, tend à la vie et à la paix. 
7 Car la chair tend à s’ériger en ennemie de Dieu, parce qu’elle ne se soumet pas à la loi de Dieu : elle en est même incapable. 
8 Ceux qui sont sous l’empire de la chair ne peuvent plaire à Dieu.

9 Quant à vous, vous n’êtes pas sous l’empire de la chair, mais sous celui de l’Esprit, s’il est vrai que l’Esprit de Dieu habite en vous. Et si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. 
10 Or si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’Esprit est vie à cause de la justice. 
11 Et si l’Esprit de celui qui a réveillé Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a réveillé le Christ d’entre les morts fera aussi vivre vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

12 Ainsi donc, mes frères, nous sommes bien débiteurs, mais non pas envers la chair — pas pour vivre selon la chair. 
13 En effet, si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les agissements du corps, vous vivrez. 
14 Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. 
15 En effet, vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage, qui ramène à la crainte, mais vous avez reçu un Esprit d’adoption filiale, par lequel nous crions : Abba ! — Père ! 
16 L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. 
17 Or si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, s’il est vrai que nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui.

Prédication

Depuis des semaines, des mois, il est un mot écrit, crié, revendiqué, clamé, un mot qui rebondit de part en part d’opinions, de convictions, de peurs, de réflexions, dans les rues, les écrans et les journaux, et c’est le mot liberté. C’est aussi un mot qui est brûlé ou éteint dans d’autres pays sous les bombes et la terreur. Un mot dont une manifestation particulière a été commémorée voici quatre jours, lors du 77° anniversaire de la libération de Paris.
Dans l’histoire de la Réforme, la liberté est particulièrement chérie, de liberté de conscience en liberté de culte. Dans l’Institution de la religion chrétienne Jean Calvin lui consacre tout un chapitre intitulé De la liberté chrétienne, un sujet qu’il faut traiter écrit-il, car les uns sous couleur de cette liberté rejettent toute obéissance à Dieu et abandonnent toute licence à leur chair. Les autres contredisent et ne veulent entendre parler de cette liberté par laquelle il pensent que tout ordre, toute modestie et discrétion des choses seraient renversés.
Avant Calvin, Martin Luther a consacré à la notion de liberté un écrit aussi bref que majeur : le traité de la liberté chrétienne ou la liberté du chrétien, où se lisent au premier paragraphe ces phrases essentielles : Un chrétien est un libre seigneur en toute chose et n’est soumis à personne. Un chrétien est un serf corvéable en toute chose et il est soumis à tout le monde. 29 autres paragraphes déploient cette liberté en forme de service.
Mais la source de Martin Luther, nous le savons, c’est l’apôtre Paul, qui écrivait dans la première épitre aux Corinthiens : Libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous (1 Co 9,19).
Paul est l’apôtre de la liberté. Aucun autre auteur du Nouveau Testament n’aborde la notion de liberté comme il le fait à plusieurs reprises, pour les Galates, pour les Corinthiens (2 épitres), pour les Romains ainsi dans l’extrait lu ce matin. Les évangiles pour leur part mettent en récit des liens dénoués, liens de maladie, de honte, de possession par des esprits impurs. Jésus de Nazareth libère en déliant de multiples entraves : Va, laissez-les aller, venir, suis-moi… Y résonne, dans des histoires personnelles et singulières, l’œuvre divine, déployée dans la Bible hébraïque au livre de l’Exode avec le récit de la sortie d’Égypte, libération de la servitude, qui constitue un peuple se comprenant fondamentalement comme libéré.
Si Paul écrit aussi souvent au sujet de la liberté, c’est que la grâce de Dieu est une libération, la libération d’une emprise, d’un empire selon la traduction de la NBS : En effet, la loi de l’Esprit de la vie en Jésus-Christ t’a libéré de la loi du péché, et de la mort.

La liberté selon la Bonne Nouvelle, la liberté évangélique n’est pas un acquis, elle ne se conquiert pas, ne se gagne pas ni par lutte ni par mérite ni par obéissance ni par sacrifice. La liberté dont parlent Paul, Luther et Calvin est un don de grâce, un don de l’amour de Dieu. En ce sens, elle est disposition intérieure de l’être humain, de l’esprit humain saisi par la grâce.
Bien sûr cela ne dévalorise pas la liberté inscrite au fronton des hôtels de ville, cela n’empêche pas de maintenir les libertés de pensée, d’expression, de mouvement, d’association, de choix de vie auxquelles aspirent ceux qui en sont privés. Mais la liberté de l’Évangile peut seulement être reçue, parce que la libération opérée n’est pas libération d’un régime politique, d’un pouvoir économique, d’une pression sociale ou familiale. Elle est libération de l’empire du péché, de l’emprise de la chair écrit Paul, il est question de l’intériorité de l’être humain.
Ce que l’apôtre désigne par péché et chair ne relève pas de conditions extérieures ni même de comportements particuliers auxquels pourraient être opposés une morale spécifique et d’autres comportements.
Le péché et la chair désignent un rapport mal ajusté à soi-même qui implique un rapport tout aussi mal ajusté à autrui et à Dieu. Ce mauvais ajustement, nous pouvons le représenter sous la forme d’un collage. La chair désigne un être humain collé à lui-même, 

c’est-à-dire un être dont le point de vue et l’horizon sont lui-même,
c’est-à-dire qu’il est pour lui-même la préoccupation essentielle et fondamentale. 

Il se peut qu’il n’en soit pas conscient. En conséquence, est tapie en lui une peur profonde pour lui-même, peur de se perdre, peur de n’être pas assez, peur de manquer d’être. Ce collage de lui sur lui-même a aussi des conséquences sur ses relations avec autrui en ce qu’elles seront empesées de cette colle intérieure qui insidieusement ou pas ramène tout à lui, sur lui, pour lui ; également des conséquences sur sa relation à Dieu considéré comme un moyen ou un garant d’être, de son être. Ainsi l’obéissance à la loi pour obtenir un gain pour soi : reconnaissance, bénédiction, grâce, salut. Mais ni le salut ni la grâce, ni la liberté ne s’obtiennent par le moyen de l’obéissance ou de la désobéissance à la loi. L’humain collé à lui-même ne peut comprendre le divin autrement que dans sa propre perspective, qui est lui-même, puisqu’il rabat tout sur lui, en fonction de lui.

Mais, annonce avec force l’apôtre Paul : la loi de l’Esprit de la vie en Jésus-Christ t’a libéré. La grâce t’a libéré, l’amour t’a libéré, nous pourrions dire : t’a décollé de toi-même. Nous ne sommes plus collés à nous-mêmes mais décalés et donc orientés selon une nouvelle perspective, donc pour une autre manière de vivre qui est la vie désirée par Dieu pour nous, pour chacun de nous. Nous sommes libérés de nous-mêmes, du souci, de la préoccupation de nous-mêmes. Nous ne nous trompons plus, nous ne ratons plus cet épanouissement d’être qui nous rends véritablement humains, vivants, heureux. Rappelons-nous toujours que pécher signifie « manquer la cible », faire fausse route quant à notre humanité d’humain.
Nous sommes libérés de la contrainte, de l’obligation de justifier, de plaider, de payer un quelconque prix pour notre existence, pour vivre.
La liberté engagée par cette libération consiste donc en de nouveaux rapports à nous-mêmes, à autrui et à Dieu.
La liberté représente une dé-préoccupation de soi, puisque ce que je suis ne repose plus sur moi mais dans la grâce et l’amour de Dieu. Elle ne dépend ni de conditions extérieures ni de ce que nous sommes comme personnes selon l’origine, la culture, le caractère, les choix de vie. Nous ne sommes déterminés ni par les regards d’autrui, ni par les circonstances, ni même par nos histoires personnelles mais nous sommes appelés à vivre de grâce, en liberté. Fondés non en nous-même mais en Dieu -Paul écrit : ne vivant plus selon la chair mais selon l’Esprit– ce qui nous tient n’est pas un devoir, une somme de devoirs, d’obligations ou d’interdits, mais une réponse, une responsabilité. Une responsabilité en deux volets.

Le premier volet de la responsabilité, c’est l’interprétation. Pas seulement l’interprétation des textes, mais aussi, surtout l’interprétation de notre existence pour laquelle l’interprétation des textes de la Bible est indispensable. Nous sommes libres d’interpréter notre vie et pas selon une morale ni des prescriptions. Nous sommes libres d’interpréter chacun notre manière de vivre et d’aimer la vie dans l’élan de la grâce, de l’Esprit. Il n’y a pas un seul modèle de vie libérée, il n’y a pas d’objectif à atteindre, il n’y a pas de norme à appliquer. Il y a une Parole à écouter, des textes à interpréter, et les textes ne sont pas la Parole, et leur interprétation nécessite une véritable rigueur. Ils nous donnent à connaître une grande diversité de chemins de vie et de foi, de vie dans la foi et particulièrement les témoignages des évangiles en ce qui concerne Jésus de Nazareth, le Christ, humain comme nous ainsi que Paul l’écrit, et dont l’existence libéré n’a été contenu dans aucune règle. Il s’approchait des lépreux, contre toute prescription religieuse, 

il parlait à la samaritaine contre toute prévention ethnique,
il se laissait arrêter par la femme syro-phénicienne contre toute image d’un dieu d’Israël seulement,
il n’a pas reculé devant la croix contre toute peur de la mort. 

Et pour Paul, il n’y a rien de moins religieux que le Christ crucifié et ressuscité. Mais de l’appel entendu, de la liberté éprouvée grâce au Souffle le décollant de l’adhésion à lui-même, Saul est devenu Paul, même son nom ne l’a pas contenu.
C’est une relation de reconnaissance que Paul entretient désormais avec lui-même, il se reconnaît puisqu’il n’est plus collé au Saül pharisien parfait dans l’observance de la loi, zélé défenseur de sa foi et craignant de déchoir de la hauteur d’excellence qu’il s’était efforcé d’atteindre.
C’est une relation de reconnaissance que Paul entretient désormais avec Dieu qui l’a appelé et libéré, reconnaissance et gratitude envers celui qui lui a donné d’être une personne et non plus un ambitieux bien programmé ni un ennemi de tous ce qui n’est pas comme lui.
Jésus de Nazareth a interprété son parcours en reconnaissance, confiance et gratitude envers Dieu, sans souci vis-à-vis de lui-même, sans peur pour lui-même. Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage qui ramène à la peur, écrit Paul. Nous n’avons pas reçu un esprit d’esclavage qui nous ramène à la peur. Mais un esprit d’adoption par lequel nous crions : Abba, Père ! L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. 
Enfant de Dieu, c’est une manière pour Paul de dire humain libéré par la grâce, par l’Esprit de vie. Il y est question d’une origine, être mis à nouveau au monde par grâce, par l’amour, indépendamment de tout ce que nous ne choisissons pas : notre année de naissance, notre lieu de naissance, la culture dans laquelle nous grandissons, le nom que nous portons, notre destinée ne leur est pas subordonnée. Enfants de Dieu, c’est dire aussi la singularité de chacun, car les enfants ne sont pas des clones, ils ne sont pas identiques entre eux pas plus qu’ils ne sont identiques à leurs parents.
Enfants de Dieu, c’est dire aussi une disponibilité à l’avenir, un avenir qui n’est ni reproduction ni prolongation du présent, un avenir ouvert par un Père qui n’est pas une idole, pour une existence qui n’est pas pour la mort mais pour la vie et la paix écrit Paul. Autrement dit une dynamique et notre responsabilité est de l’interpréter, en y déployant notre existence malgré les épreuves, les aléas. Notre vie n’est pas assignée à une place déterminée, pas plus que nous n’avons à nous résigner à ce qui est ou à ce qui est dit. Le Dieu qui libère est un Dieu qui encourage.
Enfants de Dieu, c’est également dire un ensemble, un ensemble que nous ne choisissons pas. Personne n’est enfant unique de Dieu, la liberté n’est pas réservée à un seul ni à quelques-uns. La liberté n’est pas donnée contre autrui.
Jean Calvin, de sa plume incisive, écrit dans son chapitre sur la liberté chrétienne : notre liberté ne nous est pas donnée contre nos prochains imbéciles, auxquels la charité nous soumet et nous fait serviteurs en tout et par tout, mais elle nous est donnée afin qu’ayant paix avec Dieu en nos consciences, nous vivions aussi paisiblement avec les hommes.

Le second volet de la responsabilité, c’est donc l’engagement dans l’humanité. Le don de la liberté nous engage dans des rapports avec les autres qui sont débarrassés de compétition, de domination et d’indifférence. Paul peut alors parler de la loi de Dieu qui n’est en rien restriction de la liberté donnée, mais qui lui confère son ampleur et sa perspective, qui est le champ, le chant de la liberté. Cette loi, qui est l’expression de la volonté de Dieu, Paul la transcrit pour les Galates avec ces mots bien connus de la Bible hébraïque : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et nous savons qu’il importe d’interpréter ces mots pour les interpréter dans une existence.
Les évangiles témoignent de l’engagement de Jésus de Nazareth, le Christ, fils de l’homme et fils de Dieu, engagement comme un don de soi, au service d’autrui. L’engagement se dit en termes de service, d’attentions, à imaginer selon les personnes et les situations. Ne pas nous contenter nous-mêmes, écrit encore Jean Calvin qui avait lu Paul avec attention, mais que chacun contente son prochain. La liberté est embrayée sur la grâce et elle embraye elle-même sur l’amour, l’agapè. Nous sommes mis à nouveau au monde pour aimer. 

La liberté donnée par l’Esprit de vie ne peut nous être retirés, elle ne peut être supprimée. Il se peut que parfois nous l’oubliions. C’est parce que les Galates et les Corinthiens l’oublient que Paul leur écrit. Comme il écrit aux Romains qu’il n’y a pas d’Évangile sans liberté. Nous ne sommes, nous ne serons jamais privés de la liberté donnée par grâce, par l’Esprit. En nous souffle cet Esprit de liberté qui nous décolle de nous-mêmes, un peu mais rien qu’un peu cela suffit. La liberté est offerte, déjà donnée et toujours donnée, car elle est un chemin, un chemin de libération.
Et puisque nous nous retrouvons au Foyer de l’âme après la pause de l’été, continuons, interprétons toujours ensemble afin que l’Église ici soit toujours témoin de liberté pour chacun et pour tous.