Prédication du 29 octobre 2017

de Céline Bulourde

Être en paix avec Dieu

Lecture : Romains 5, 1-11

À première vue Paul peut faire peur car il utilise un vocabulaire qui n’est pas évident à intégrer dans nos vies. Cela dit, je crois fermement que toute la richesse du texte biblique, c’est aussi de nous déplacer et de nous offrir l’occasion de voir les choses d’un angle nouveau. Alors en ce jour de la Réformation, prenons le temps de nous laisser, une nouvelle fois, interpeller par le texte biblique ! Et celui-ci nous déplace plutôt bien ! Paul définit ici ce dont il a succinctement parlé au chapitre 3 de la même épître : « C’est la justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient, car il n’y a pas de différence : tous ont péché, sont privés de la gloire de Dieu, mais sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus-Christ ».

Être en paix avec Dieu ?

C’est tout de même quelque chose ! Vous avez peut-être remarqué lors de la lecture, que Paul utilise la formule « nous sommes en paix »: la paix est déjà là aujourd’hui, ce n’est pas quelque chose que l’on espère dans un avenir lointain. C’est une formidable nouvelle que nous annonce Paul, dès le début de ce passage ! Bon, très bien, très bien me direz-vous. Mais cette affirmation ne nous interroge-t-elle pas quand nous nous débattons dans nos prières ? Quand le silence de Dieu nous paraît si pesant ? Il est indéniable que nous ne nous sentons pas toujours en paix avec Dieu, loin de là.

Vous l’aurez remarqué, ce verset m’interroge et c’est pourquoi je vous propose de vous arrêter quelques instants ici. Lorsque nous lisons le chapitre en entier, nous voyons qu’à la suite directe de ce texte, Paul établit une comparaison entre Adam et Jésus : le premier a entraîné la chute et le second a racheté l’humanité. Il est important d’avoir cet élément en tête lorsque nous lisons notre texte puisque Paul évoque, comme il le fait dans toutes ces lettres, un temps passé: où nous étions « ennemis » et un temps présent où nous sommes « réconciliés ». Ce qui interroge l’apôtre dans le passage de ce chapitre que nous lisons aujourd’hui, c’est le don ultime que Dieu fait en se réconciliant avec l’homme à travers la mort de Jésus et ce que cela implique pour le chrétien quand il réfléchit à son identité.

Nous entendons dans ce passage  un vocabulaire relationnel : en paix avec, réconciliés, réconciliation. Paul nous parle de notre relation avec Dieu ; il nous propose une nouvelle façon de penser celle-ci à la suite de la mort de Jésus ; une relation avec. En la personne de Jésus-Christ et à travers l’Esprit, Dieu vient dans nos vies, il vient avec nous affronter nos épreuves.

Quelle est cette paix dont nous parle Paul ? Celle qu’il évoque au début sa lettre quand il salue les romains auxquels il va s’adresser ? La formule « à vous la grâce et la paix de la part de dieu notre Père et du seigneur Jésus-Christ » se retrouve dans la plupart des épîtres et est un dérivé d’une formule classique de rédaction d’une lettre dans l’Antiquité. C’est également celle, vous l’avez entendu, que nous disons chaque dimanche matin en début de culte ! Est-ce la paix « shalom » qui est évoquée dans les écrits de l’Ancien Testament ? Celle-ci comporte de nombreux sens ; elle peut signifier l’absence de guerre entre deux nations mais aussi l’intégrité, la plénitude, le caractère complet des choses, le bonheur… Elle représente le don divin ultime. Paul est évidemment de culture juive, il a en tête tous ces sens et c’est pourquoi, dans notre passage, il indique que selon lui, le salut chrétien consiste avant tout en une paix (ou une réconciliation) avec Dieu. Et cette paix n’est possible que par le don gratuit, premier de la grâce de Dieu et la réponse de l’homme à celle-ci.

Mais comment être en paix aujourd’hui avec Dieu, nous-même ou les autres quand nous sommes témoins de la violence, des contradictions, de l’instabilité ? Face à ces épreuves, Paul nous assure d’une chose : l’amour de Dieu et la grâce qui nous est offerte de par cet amour ne faiblit pas et nous remet en route avec espérance.

L’épreuve forme l’espérance ? Qu’est-ce que cela veut dire pour nous aujourd’hui ?

« Bien plus, nous mettons notre fierté dans nos détresses, sachant que la détresse produit l’endurance, l’endurance la fidélité éprouvée, et une fidélité éprouvée l’espérance. Or l’espérance ne rend pas honteux, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.».

Lorsque nous lisons ce passage, nous pouvons penser à ce que l’on dit aux personnes qui traversent des épreuves dans leurs relations. On conseille souvent de s’accrocher, de ne pas laisser un moment de doute rompre la relation que nous avons. On considère généralement qu’un couple (ou toute autre relation) est plus « solide » lorsque il a « survécu » à des épreuves. Ici, lorsque Paul nous parle de détresses, de quoi nous parle-t-il exactement ? Des détresses que nous ressentons face aux autres hommes, face à Dieu, face à nous-même ? Nous avons tous rencontré et nous rencontrerons toujours des épreuves dans nos vies. Face aux autres hommes qui utilisent la violence des mots ou physique pour imposer une vérité que seuls eux auraient. Face à nous-même quand nous nous trouvons en proie à une situation qui nous semble inextricable. Et face à Dieu lorsque nos cris semblent résonner dans le vide. Mais devant cela, nous avons cette relation avec. Loin d’être un Dieu lointain qui ne regarderai que de temps en temps vers nous, nous avons la réalité de cette présence avec nous. Qui espère et qui aime avec nous. L’espérance qu’annonce Paul c’est ce qui nous permet de nous mettre en mouvement vers l’avenir. Cette foi en dépit de la violence humaine, de l’instabilité, malgré tout ; c’est l’amour de Dieu et son espérance envers nous, c’est Dieu avec nous qui nous la suscite et la renforce face aux épreuves.

« Il est mort pour nous »

La place de Jésus dans ce texte est primordiale. Vous le savez peut-être déjà mais Paul n’évoque quasiment pas la vie de Jésus. Il ne parle que de celui-ci en tant que Jésus-Christ, en tant que messie. Car c’est la Croix et les implications de cet évènement qui représente le message central des épîtres pauliniennes. Pour reprendre une expression populaire : il y a un avant et un après la Croix. Nous pourrions parler longtemps de toute l’histoire qu’a eue, dans l’Église, la mort de Jésus-Christ « pour nous »: Rançon au diable ou sacrifice pour la satisfaction de Dieu.

Face à cette idée de sacrifice expiatoire, lorsque je lis ce passage, il me vient surtout ce qui nous est dit dans l’évangile de Jean : l’amour total, ultime de Dieu qui se manifeste dans la personne de Jésus malgré notre faiblesse. Et j’entends ici ce que nous confessons dans ce temple : nous croyons en l’amour plus fort que la mort.

La dimension libératrice de l’évangile et de la foi de Luther pour nous aujourd’hui.

Paul évoque tout au long de sa lettre aux Romains différents temps : il commence dans les premiers chapitres à parler de la situation passée, il passe au temps présent lors du chapitre 5 pour ensuite évoquer l’avenir jusqu’à la fin de la lettre. Il s’adresse bien entendu à des interlocuteurs romains, au premier siècle de notre ère mais la force de son message a traversé les âges et nous parvient aujourd’hui. En tant que protestant, nous lisons cette lettre avec la figure de Luther en arrière-plan. Celui-ci a commencé sa démarche réformatrice à la suite de la lecture de cette épître, en se découvrant justifié gratuitement, non pas par ses nombreuses œuvres mais par sa foi que Dieu suscite par sa grâce. Nous connaissons la suite de l’histoire et aujourd’hui nous commémorons cet événement.

La portée de la thèse de Luther est aussi due à la dimension libératrice de l’évangile et de la foi qu’elle entendait. L’époque était loin d’être paisible, la peur était omniprésente pour tout le monde. Entre maladies, guerres et menaces de purgatoire, il y avait de quoi se faire beaucoup de soucis. Dans ce contexte, proclamer que l’amour et le pardon de Dieu ne dépend plus de mes actions mais de l’œuvre accomplie une fois pour toutes par le Christ change énormément de choses !

Aujourd’hui, comment vivons-nous ce message de liberté ?

Lorsque Paul nous dit « nous sommes en paix avec Dieu » : que faisons-nous de ce message ? Je vous propose en conclusion ces quelques pistes :

– Être en paix avec Dieu, c’est aussi être en paix avec soi-même. C’est ne plus se sentir obligé de se justifier sans arrêt comme nous en avons pris l’habitude dans nos vies. Antoine Nouis remarque dans son commentaire que lorsque nous justifions nos choix de relations, nos études, notre carrière, etc… nous sommes dans un monde d’autojustification : nous avons besoin de montrer que nous méritons ce que nous avons, que nous avons raison de faire ce que nous faisons. Le message libérateur de l’Évangile, c’est que nous n’avons plus besoin de nous justifier, nous sommes justifiés en Jésus-Christ et bel et bien libérés.

Cela implique que nous n’avons pas à être toujours au top du top de la foi pour être au mieux avec Dieu ! Nous vacillons, nous avons nos détresses mais la grâce que nous recevons est bien plus forte.

– Cette liberté nous pouvons la vivre aussi en devenant un élément de contestation, en devenant en quelque sorte des « lanceurs d’alerte ». Car la grâce nous délivre mais elle nous engage aussi à ne pas détourner les yeux de notre prochain. De celui qui se trouve au bord du chemin, des gouvernements qui choisissent d’ériger des murs, de celles et ceux qui frappent à notre porte après avoir fui des situations difficiles.

Osons aller dans le monde avec ce message d’espérance que Paul nous délivre : « Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les autorités, ni le présent, ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs, ni des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, notre Seigneur. » (Rom. 8, 38-39).

Amen.