Prédication du 9 mai 2021
de Philippe Vollot
« Il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez. »
Lecture : Marc 16, 1-8
Lecture biblique
Marc 16, 1-8
1 Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates, pour venir l’embaumer.
2 Le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau de bon matin, au lever du soleil.
3 Elles disaient entre elles : Qui roulera pour nous la pierre de l’entrée du tombeau ?
4 Levant les yeux, elles voient que la pierre, qui était très grande, a été roulée.
5 En entrant dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche ; elles furent effrayées.
6 Il leur dit : Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s’est réveillé, il n’est pas ici ; voici le lieu où on l’avait mis.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.
8 Elles sortirent du tombeau et s’enfuirent tremblantes et stupéfaites. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
Prédication
Imaginons l’infinie détresse vécue par ces femmes face au tombeau vide. Non seulement Jésus de Nazareth est mort sur la croix, mais en plus elles ne peuvent plus voir son corps comme elles l’auraient tant souhaité. Le Jésus qu’elles connaissaient et aimaient a disparu. Où est-il passé ? Où et comment le rejoindre ?
C’est alors que résonnent les paroles du jeune homme vêtu de blanc, ces paroles qui tournent ces femmes aussitôt vers un avenir incertain : « Il n’est point ici, il vous précède en Galilée ». Alors elles s’enfuirent toutes, « car la peur et le trouble les avaient saisies », nous laissant nous-mêmes aujourd’hui face à cette énigme.
Cet étrange message donne à réfléchir. En effet la Galilée, une région du nord d’Israël, est surtout connue à l’époque comme étant le pays des païens. C’est une région que les Juifs évitent, car ils considèrent qu’elle est impure. Cependant, c’est aussi une région que Jésus a parcourue, et qui est donc marquée de sa mémoire.
Or, c’est précisément dans ce pays difficile que les disciples sont invités à se rendre pour rencontrer le Ressuscité. Ainsi, non seulement ces malheureux ont sombré dans le désespoir le soir de la crucifixion, mais en plus il va leur falloir se rendre maintenant dans une contrée inquiétante.
Cependant, à y regarder de plus près, il s’agit bien d’une bonne nouvelle. Certes, la lointaine Galilée, l’étrange Galilée, c’est pour les disciples de Jésus, comme pour nous-mêmes symboliquement, le pays qui se trouve au-delà des paysages familiers. Mais à ses amis d’autrefois comme à nous aujourd’hui, c’est au-delà des horizons connus que le Christ nous donne rendez-vous.
Et peut-être tout d’abord au-delà des horizons de notre passé. Car s’il est un pays que nous croyons bien connaître et qui nous rassure, c’est bien celui-là. Passé heureux qui résonne dans nos mémoires avec nostalgie, passé douloureux avec des blessures qui ne cicatrisent pas.
Passé qui par définition n’existe plus objectivement mais qui, d’une manière ou d’une autre, nous a profondément façonnés, a fait de nous ce que nous sommes, qu’il s’agisse de notre conception de l’existence, de nos désillusions ou de nos préjugés, de notre ouverture ou de notre réserve devant ce que la vie nous apporte d’inattendu. C’est donc au-delà de ce passé que le Christ ressuscité nous attend.
Mais quitter le pays du passé rassurant pour aller vers les contrées du présent et de l’avenir, voilà qui ne va pas forcément de soi, car l’aventure nous donne toujours le vertige. Cependant c’est possible, parce que Jésus-Christ nous y attend, « Il nous précède en Galilée ».
Cela signifie que Jésus n’est pas enfermé derrière nous dans un passé lointain. Il ne s’agit pas ici de nous prononcer sur les modalités de la résurrection sur laquelle le récit de Marc est d’ailleurs remarquablement sobre. Mais il s’agit de comprendre que dans les Evangiles le Christ, après sa mort sur la croix, n’est pas réduit à un cadavre, mais qu’il demeure à jamais le Vivant par excellence.
De même qu’un texte biblique, quel qu’il soit, ne saurait être prisonnier de l’époque à laquelle il a été écrit, de même Jésus de Nazareth n’appartient pas à un passé poussiéreux et englouti par les siècles. Pour le rencontrer, il ne faut pas regarder derrière nous, mais devant nous : Il nous précède. Ce renversement historique de notre regard désigne véritablement pour nous la réalité de sa résurrection.
J’entends encore en ce moment la voix du pasteur Georges Marchal, l’un des grands pasteurs du Foyer de l’Âme, dont plusieurs d’entre nous ont connu le bonheur d’entendre les prédications, nous dire « Jésus marche en tête de notre longue caravane humaine »
Caravane souvent de souffrances comme celles vécues par le Christ, mais aussi et surtout caravane d’invincible espérance vers un monde plus juste et plus fraternel, monde qu’Il nous a invités à construire par ses paroles et par ses actes exemplaires.
Réaliser notre humanité dans sa plénitude, c’est aller tous ensemble vers ce Dieu qui, en Jésus-Christ, nous précède sur les chemins de l’Histoire. Cette route que nous parcourons en commun avec les hommes et les femmes de bonne volonté, unit pour nous la Foi, l’Espérance et l’Amour sous toutes ses formes².
Mais un autre pays familier qui peut être un obstacle à la rencontre du Ressuscité, c’est notre présent.
Non pas que Dieu ne soit pas avec nous ici et maintenant. Mais dans le fond, quelle conscience avons-nous de la présence de Dieu dans nos personnes, dans notre relation à l’autre, dans notre existence, lorsque nous sommes pris dans le tourbillon de la vie, quand l’agitation, la tension de la vie quotidienne, les soucis viennent nous accabler et que nous avons l’impression de ne pas avoir le temps d’accomplir tout ce que nous avons à faire, tout ce que nous avons envie de faire ?
Là aussi, ne faut-il pas aller plus loin, ne faut-il pas creuser plus en profondeur pour avoir une chance de ne pas manquer le rendez-vous ? Oser être disponible, oser nous arrêter, oser faire une pause, et ne pas craindre d’entreprendre un voyage au cœur de soi pour mieux s’ouvrir aux autres. Car là aussi, au-delà des apparences, il est une Galilée dont le Christ ressuscité n’est pas absent.
Enfin, après le passé et le présent, il est un dernier pays duquel il faut sortir si l’on désire vraiment connaître le Ressuscité. Ce pays est celui d’un certain matérialisme qui peut être un obstacle pour celui qui l’érige en critère absolu faisant abstraction des sentiments, des mouvements du cœur et de toute spiritualité. Cette conception des choses peut être une barrière, notamment quand elle se focalise sur la recherche de preuves quant à la résurrection de Jésus de Nazareth.
Ah, comme cela serait facile de croire si l’on pouvait démontrer, preuves matérielles à l’appui, que Jésus est corporellement ressuscité !
Or, je ne pense pas qu’il faille s’accrocher au tombeau vide comme à une réalité matérielle, ou comme à une preuve de la résurrection. Du reste, les Evangiles ne nous disent rien de la résurrection en tant que telle. Ils ne nous disent pas voilà comment Jésus est ressuscité, mais ils nous disent « Jésus est ressuscité ».
C’est finalement par erreur que l’on parle des « récits » de la résurrection, alors que l’on devrait plutôt dire « proclamation » de la résurrection. Du reste, dans ses Epîtres qui, comme vous le savez, ont été rédigées avant les Evangiles, l’apôtre Paul ne parle jamais de tombeau vide. Et il en de même pour Pierre dans les Actes des Apôtres.
Alors, quand le jeune homme en blanc dit « Il n’est pas ici », il veut faire comprendre aux femmes que ce qu’elles cherchent vraiment ne doit pas être un cadavre, mais qu’il faut chercher et trouver Jésus parmi les vivants, dans une contrée étrange sinon étrangère. Le tombeau vide n’est plus alors la source de notre foi, mais sa conséquence car il devient vidé de toute réalité et de tout intérêt.
D’ailleurs, les disciples n’ont jamais eu de preuves incontestables de la résurrection corporelle de Jésus. En effet, ils ne l’ont pas reconnu dans une continuité, mais dans des instantanés, sous les traits d’un jardinier au petit matin, ou au bord d’un lac, ou encore sous les traits d’un pèlerin partageant le pain le soir dans une auberge, ou enfin par Sa présence dans la chambre haute où il avait célébré le dernier repas.
De plus, les évangélistes n’hésitent pas à affirmer que certains disciples doutèrent. Mais précisément une impression, un sentiment, un signe, contrairement à une preuve, renvoient à notre liberté. Car nous pouvons y voir, si nous l’acceptons, ce que Dieu nous donne à entendre.
Car des signes de la présence du Christ ressuscité, il y en a très souvent pour ceux qui sont attentifs à ce qui se passe autour d’eux. D’où vient par exemple à certains la sérénité de la douceur et de la bienveillance envers et contre tout ? D’où vient la capacité de pardonner ? D’où vient la capacité de renaître malgré les épreuves ?
Oui, chaque scène de la vie de Jésus nous dit cette puissance de vie, son acharnement à relever l’être humain, comme acteur de son propre miracle, envers et contre la maladie, les handicaps, les préjugés, la haine, la jalousie. Et aussi envers et contre lui-même quand il le faut.
Certains seraient-ils tout simplement plus forts que leurs semblables, mieux armés pour résister aux tempêtes et aux difficultés de la vie ? On pourrait le croire. Personnellement, je vois plutôt dans de tels signes le miracle du Ressuscité qui nous aide sans cesse à faire toutes choses nouvelles.
Cette parole de Pâques devient alors une promesse pour nous. Plus encore, une force de vie qui nous pousse en avant. « Il nous précède en Galilée », c’est-à-dire dans des lieux à la fois familiers et étranges, où l’on ne pense pas à le chercher ni à le trouver, sur nos lieux de travail ou de vacances, en famille ou entre amis ou entre voisins.
Derrière un visage, c’est peut-être Lui qui nous fait signe. Dans nos nuits de découragement, c’est peut-être Lui qui va nous surprendre. Le Christ de Pâques n’est pas celui qui nous a quittés, mais est celui qui ne cesse de venir, de surgir sans même qu’on l’attende. Alors notre vie s’agrandit de tout ce que Sa présence suscite en nous.
Il nous précède, il est toujours devant nous, comme un chemin ouvert par-delà nos impasses. Il nous montre de nouveaux commencements possibles, là où nous croyions que tout était définitivement perdu. Une espérance tout à la fois fragile et invincible, comme la lueur d’un phare dans la tempête.
Pâques nous dit la vie ouverte sur l’espérance, une espérance à la fois fragile et forte, comme une lumière conquise sur les ténèbres.
Emerveillement de Pâques : la parole du Ressuscité remet toujours la vie debout, et dit à chacun : tu es aimé d’un amour éternel que rien ni personne ne pourra t’enlever. Fort de cette promesse, tu peux repartir, tu peux renaître. Partout cet amour te donnera toujours la capacité de ressurgir, voire de travailler à ton tour à réveiller la vie chez les autres.
Voilà notre vraie vocation de chrétiens : devenir acteurs de Pâques, ouvriers de résurrection.
« Il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez. »
Alors, puisse cette magnifique fête de Pâques que nous avons vécue il y a quelques semaines nous faire avancer plus loin ! Plus loin que le pays de notre passé disparu. Plus loin que l’horizon du pays de notre présent parfois bouché. Plus loin que les limites de notre matérialisme habituel et si confortable.
Assurément, le Christ vivant nous attend au pays de la liberté, au pays d’une vie pleine de sens, pleine de joie, pleine d’amour. La phrase « Il n’est pas ici, Il vous précède en Galilée », fait du christianisme un optimisme inconditionnel et résolu, un élan individuel et collectif.
Je pense en cet instant à l’admirable film de Pasolini l’Evangile selon Saint-Matthieu qui montre en sa magnifique scène finale ce qu’est la résurrection. Face au tombeau vide, dans un élan impétueux, irrésistible, délivrés de la tristesse et de la mort, les femmes qui suivaient Jésus, les disciples, mais aussi des hommes et de femmes du commun, s’élancent et courent avec le sourire aux lèvres pour Le retrouver.
Frères et sœurs, chers amis, nous savons que l’Eternel a donné aux apôtres la vision du Christ ressuscité, le relevant ainsi d’entre les morts pour entrer dans une vie sans limites. Demain, dans un avenir qui n’appartient qu’à Dieu, nous serons à notre tour relevés de nos multiples tombeaux. Oui, aujourd’hui, l’Eternel est à l’œuvre. Lui qui a relevé Jésus d’entre les morts nous relèvera demain.
Mais ce qui nous importe aujourd’hui, c’est que dans vos vies, le Seigneur soit à l’œuvre contre les forces des ténèbres, contre toutes les puissances mortifères.
Oui le Christ nous fait vivre de sa vie dès maintenant. Ce que nous deviendrons appartient à Dieu, mais dès à présent, avec le Ressuscité, nous sommes vivants et le demeurerons pour l’Eternité.
Psaume 8 (les 6 strophes)
Cantique 257 : Dieu des louanges sois béni (les 3 strophes)
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