Prédication du 27 août 2023

de Dominique Hernandez

Je fais un rêve

Lectures bibliques

Amos 5, 21-24

21 Je déteste vos fêtes, je les rejette, je ne veux plus sentir vos assemblées solennelles.
22 Quand vous me présentez vos holocaustes et vos offrandes, je ne les agrée pas ; vos sacrifices de paix et vos bêtes grasses, je ne les regarde pas.
23 Eloigne de moi le tumulte de tes chants ! Je n’écoute pas le son de tes luths,
24 mais que l’équité coule comme de l’eau, et la justice comme un torrent intarissable.

Esaïe 40, 3-5

3 Quelqu’un crie : Dans le désert, frayez le chemin de l’Éternel ! Aplanissez une route pour notre Dieu dans la plaine aride !
4 Que toute vallée soit élevée, que toute montagne et toute colline soient abaissées ! Que les reliefs se changent en terrain plat et les escarpements en vallons !
5 Alors la gloire de l’Éternel se dévoilera, et tous la verront ensemble — c’est la bouche de l’Éternel qui parle.

Prédication

Au mois de juillet, nous avons lu quatre textes bibliques faisant état de rêves et de visions. Alors avant le mois de septembre, pour terminer l’été, pour ouvrir la série de juillet, je vous propose de méditer ces deux textes bibliques très brefs parce qu’ils soutiennent un rêve. Demain le 28 août 2023, cela fera 60 ans que le pasteur baptiste Martin Luther King a prononcé à Washington son célèbre discours : I have a dream, je fais un rêve. Martin Luther King recevra l’année suivante le prix Nobel de la paix pour son action déterminée et non-violente contre la ségrégation raciale aux États-Unis.

Amos et Esaïe ont inspiré Martin Luther King, il cite dans son discours les deux extraits lus aujourd’hui. Les deux prophètes proclament ce pour quoi le pasteur a lutté avec persévérance : la justice et la liberté. La justice et la liberté sont les deux piliers de son rêve, parce que c’est un rêve tout à fait éveillé.
Nos rêves du sommeil nous échappent : nous ne les contrôlons pas, nous ne savons pas toujours ce qu’ils signifient, ni qu’en faire, ils n’ont pas toujours un impact sur notre existence. Des rêves éveillés, certains servent à fuir une réalité insatisfaisante, mais d’autres, et le rêve de Martin Luther King est de ceux-là, d’autres engagent, orientent, portent, transforment. Le combat pour la justice, la lutte pour la liberté sont ainsi exprimés, proclamés, et partagés et retentissent de cette manière pour d’autres temps, d’autres lieux, d’autres situations que celles où la déclaration prophétique d’Amos et d’Esaïe les a exprimés. Car le rêve du pasteur baptiste est lui-même une parole prophétique, nourrie de celles des Écritures hébraïques comme de l’Évangile de justice et de liberté.

La justice et la liberté vont ensemble ; par toutes leurs facettes elles se répondent l’une à l’autre.
La libération annoncée par Ésaïe, libération de l’exil à Babylone, l’est avec l’image d’un aplanissement des reliefs, montagnes, collines, escarpements, qui fait place à la gloire de l’Éternel. Cette image est une référence directe aux grandes processions religieuses, royales et militaires des Babyloniens qui, pour les rendre aussi majestueuses que possible, obligeaient les prisonniers et les esclaves à ouvrir de larges avenues sur tous les terrains, à construire de grandes rampes pour faciliter le passage des cortèges. Les Israélites déportés ont vu cela, ont travaillé à cela. Mais voici que la parole du prophète subverti l’usage babylonien. La corvée de l’esclavage devient l’œuvre d’un peuple libéré pour la manifestation du Dieu libérateur.
Et ce n’est pas tout, car c’est un petit peuple qui va sortir d’exil et le grand empire perse va rester le grand empire perse. C’est-à-dire que la gloire de Dieu n’a rien de commun avec la gloire babylonienne, avec les processions imposantes, les rituels majestueux, les déploiements de force et de faste. La gloire de Dieu, c’est cette sortie d’exil d’un petit peuple, comme ce sera un nouveau-né dans une mangeoire, comme ce sera, paradoxe suprême, un homme crucifié sur une croix. La gloire de Dieu n’est pas affaire de pouvoir ni de richesse, elle ne réside pas dans l’éclat ou le prestige. La gloire de Dieu c’est d’aimer, c’est de faire vivre de vie vivante, de donner, de faire passer, de communiquer ce qui est vie vivante. Alors ce qui la manifeste le plus justement, ce n’est pas l’édification d’un temple superbe où l’or abonde, ce n’est pas une institution religieuse avec ses structures plus ou moins influentes et un nombre plus ou moins important de fidèles. Ce qui manifeste la gloire de Dieu, c’est une vie libérée de ce qui la réduit, de ce qui l’empêche d’être vie ; c’est une existence humaine reconnue dans sa pleine humanité, dans son entière dignité inconditionnelle car la dignité ne se mérite pas, elle est intrinsèque à l’humanité. Lorsque Jésus de Nazareth guérit une personne malade ou exorcise une personne possédée par un esprit impur, il libère cette personne et lui rend sa juste place et sa dignité d’être humain, il lui restitue la liberté de conscience et de parole dont elle avait été privée. La libération de ce qui opprime, écrase, rétrécit l’humanité de l’humain manifeste la gloire de Dieu. Alors les vallées, montagnes, collines, reliefs et escarpements de la prophétie d’Esaïe ne doivent rien à la topographie d’un lieu, mais tout aux structures d’une société qui permet aux uns de vivre à l’air pur et au soleil des sommets quand d’autres sont confinés dans le brouillard des fonds de vallées. Aux prises avec les lois de discrimination raciale en vigueur aux États-Unis, Martin Luther King a entendu la voix qui crie, une voix à laquelle la tradition des Écritures donne le nom d’Ésaïe, une voix reprise par celle du pasteur baptiste et par bien d’autres avant et après lui. La parole qui proclame la libération évite de se replier dans le fatalisme, l’amertume, le ressentiment. Elle est mobilisatrice : il s’agit de se mettre à l’ouvrage. Elle est réconfortante et réjouissante, elle vitalise, comme la Parole de Dieu est vivifiante.

L’équité, le droit et la justice réclamés par Amos, c’est aussi la libération de ceux qui sont opprimés par un système religieux et économique qui les met à terre et même plus bas que terre pour que des profits de pouvoir et de richesses abondent pour quelques-uns. Liberté et justice vont ensemble. Amos affirme que la responsabilité de l’être humain devant Dieu ne tient pas à sa pratique religieuse mais à sa pratique relationnelle avec autrui. Droit et justice comme une eau vive, vive car il s’agit bien d’un comportement, pas une qualité ni un caractère et pas seulement un concept : une conduite quotidienne dans la vie quotidienne qui est nourrie par une pratique religieuse de méditation, de prière, de culte. La justice est cette pratique qui considère autrui comme un être humain d’égale dignité, c’est cette action qui va préserver l’entière dignité d’autrui. Soutenu par le droit et la justice, il est possible de déborder, de dépasser l’esprit de domination qui gouverne tant de structures humaines et les relations qu’elles induisent, comme il est possible de dépasser l’esprit de vengeance ou de revanche. Martin Luther King disait dans une de ses prédications qu’il y a dans notre monde des choses auxquelles les hommes de bonne volonté doivent être mal adaptés. Parmi ces choses, l’injustice se tient au premier rang, avec le manque de liberté. Pour le pasteur américain, la justice, c’est d’être un bon prochain. Cette conviction de foi de ce qu’est la justice entre les personnes, dans une société, s’enracine dans la compréhension de la justice de Dieu comme salut. La justice de Dieu, c’est de sauver et de rendre l’humain à la vie, c’est de le faire passer de la mort à la vie. C’est pourquoi Jésus le Christ est la justice de Dieu, puissance pour une vie en plénitude, une vie meilleure dans le sens où elle est transformée et transformatrice à son tour pour d’autres.
Dans l’Amérique des années 50 et 60, le pasteur Martin Luther King manifeste à quel point le christianisme est social, toujours, forcément, social. D’ailleurs avant lui, le pasteur Wilfred Monod écrivait que l’expression « christianisme social » est en elle-même un pléonasme. De même que le pasteur Philippe Kabongo MBaya, actuel président du Mouvement du christianisme social, a coutume de dire que le christianisme tout court est trop court : il est toujours christianisme social.

Le rêve du pasteur baptiste est issu de sa foi, de sa méditation des Écritures, de sa prière. Ce n’est pas un rêve de dormeur, c’est un rêve d’éveillé, de réveillé au sens de ressuscité. Ce qui l’a fait ainsi rêver, ce qui fait ainsi rêver tant d’hommes et de femmes, ce qui nous fait rêver c’est la lecture et l’interprétation de la Bible et c’est aussi de regarder autour de soi et un peu plus loin, c’est d’écouter les cris, les pleurs, les silences, les appels des hommes et des femmes du temps qui est le nôtre. C’est de lire avec la foi avec les grands mouvements et élans du monde et le rêve de Martin Luther King puisait également dans la déclaration d’indépendance des États-Unis et dans la déclaration d’émancipation promulguée par Abraham Lincoln.
Nous ne sommes pas destinés à nous soumettre aux situations et à ce qui les provoque. Nous pouvons penser, réfléchir, voir plus loin, et du point de vue qu’Amos et Ésaïe et Jésus-Christ rappellent avec force, le point de vue du Dieu auquel les Écritures rendent témoignages : le droit, la justice, la liberté. En n’importe quelle circonstance nous pouvons choisir le droit, la justice et la liberté même si parfois, il n’est pas facile de reconnaître exactement ce qu’est dans une situation donnée la voie de la justice et de la liberté. Cela oblige à réfléchir, à revenir aux Écriture, à prier, à partager avec d’autres.
Vivre en espérance c’est témoigner même en des temps difficiles ou hostiles de ce qui fait vivre de vie vivante : la justice, l’amour, la libération, la compassion, Dieu. Dans les temps de sécheresse, s’abreuver au torrent intarissable de la justice ; dans les escarpements des sociétés, aplanir les pics d’oppression. Et malgré le chaos généré par l’ignorance et la méchanceté, le conformisme et le mensonge, l’indifférence et la cupidité, l’inconscience et la violence, se tenir du côté de la liberté et de la justice

même quand elles ne sont pas mises en pratique,
même lorsqu’elles ne sont pas complètement réalisées en nous-mêmes,
parce que nous savons déjà ce qu’elles signifient. Nous le savons avec Amos, Ésaïe, et avec Jean le Baptiste, et avec Jésus de Nazareth.

Dans son discours de remise du doctorat honoris causa de l’Institut protestant de théologie au professeur James Cone, théologien afro-américain, le professeur Raphaël Picon, alors doyen de la faculté de Paris, a dit : Dieu nous conduit au monde pour y déchiffrer l’action libératrice et transformatrice de Dieu et pour servir cette justice de Dieu que le Christ incarne ; celle de la libération de l’oppression.
Toutes les luttes pour la justice et la liberté n’aboutissent pas toujours, certaines sont écrasées sous une impitoyable répression. L’ACAT, l’association des chrétiens pour l’abolition de la torture et contre la peine de mort, rend régulièrement compte parmi celles et ceux qu’elle soutient dans le monde entier de celles et ceux qui sont relâchés, retrouvés, et de celle et ceux qui sont tués, qui disparaissent. Même précaire et limité, un progrès de justice est un progrès, une lueur d’espoir et de confiance. Le présent du Royaume de Dieu se tient là, dans les engagements personnels et collectif pour le droit, la justice, la liberté, là où la gloire de Dieu est manifestée, même pour une seule personne, même si beaucoup l’ignorent ou passent à côté sans s’en rendre compte. Quoiqu’il arrive, parce que Jésus le Christ, justice, salut, amour de Dieu, est déjà venu, parce que le Christ vient, parce qu’en nous et pour nous le salut est donné, nous pouvons vivre ici et maintenant pour le Royaume de Dieu et sa justice, même en des temps et dans des lieux d’injustice et simplement dans le quotidien.