Prédication du 26 septembre 2021
de Valérie Lobry
« Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde »
Lectures : Deutéronome 4, 32-33 et 39-40 et Matthieu 28, 16-20
Lectures bibliques
Deutéronome 4, 32-33 et 39-40
32 Interroge les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre, et d’une extrémité du ciel à l’autre : y eut-il jamais si grand événement, et a-t-on jamais ouï chose semblable ?
33 Fut-il jamais un peuple qui entende la voix de Dieu parlant du milieu du feu, comme tu l’as entendue, et qui soit demeuré vivant ?
39 Sache donc en ce jour, et retiens dans ton cœur que l’Eternel est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre, et qu’il n’y en a point d’autre.
40 Et observe ses lois et ses commandements que je te prescris aujourd’hui, afin que tu sois heureux, toi et tes enfants après toi, et que tu prolonges désormais tes jours dans le pays que l’Eternel, ton Dieu, te donne.
Matthieu 28, 16-20
16 Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait désignée.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent devant lui. Mais quelques-uns eurent des doutes.
18 Jésus, s’étant approché, leur parla ainsi : tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre.
19 « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
20 et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».
Prédication
Ce texte, c’est l’histoire d’un deuil.
Un deuil comme vous en avez tous vécu. Un homme, une femme qui vous était particulièrement chère meurt. Parfois avant de mourir, l’être cher vous a dit adieu, en vous disant « ne t’inquiète pas, quoi qu’il arrive je veillerai toujours sur toi ». Et après sa mort, cette personne aimée qu’on voit apparaître de manière étrange, pendant des jours, des semaines, des années.
Cette personne aimée avec laquelle on se surprend à parler, parfois tout haut, dont on perçoit parfois l’odeur en ouvrant un livre ou un foulard, dont on pressent presque les réactions, les conseils, la compagnie en fermant les yeux. Cette absence qui s’installe brutalement et vous rappelle à tout moment le manque qui vous fait cruellement souffrir.
C’est cela qu’on appelle « faire son deuil ». Et pendant cette période de deuil, dont la durée peut varier de plusieurs jours à plusieurs années, c’est un peu comme si la vie éternelle de cet être cher s’installait dans la durée, aussi longtemps que nous pensons à lui, que nous parlons de lui, que nous rêvons de lui. Les liens qui nous attachaient à lui, le souvenir de sa vie, de son action, de sa personnalité lui survivent plus ou moins longtemps, parfois même une ou deux générations…
Sauf que le deuil dont nous parle ce texte concerne Jésus-Christ. Et qu’à partir des 11 apôtres de l’époque, son souvenir, son enseignement, son message, sa prédication n’ont cessé de se développer pour nous accompagner encore, nous et plusieurs milliards d’individus dans le monde, depuis 2000 ans.
L’impact inouï de Jésus-Christ, qui dépasse celui de tous les autres hommes sur terre, c’est ce qu’on pourrait appeler la présence de son absence dans nos vies depuis 2000 ans.
Reprenons la chronologie des événements :
L’histoire de Jésus telle que la bible nous la raconte se résume à quelques courtes années (2 ou 3) pendant lesquelles il enseigne et il prêche, entouré de ses disciples. A la fin de cette période l’histoire s’accélère à partir de son arrivée à Jérusalem, avec la semaine de la Passion, qui aboutira au procès et à la crucifixion de Jésus. Le dimanche de Pâques, le corps de Jésus disparaît du tombeau où il était enseveli, puis il apparaît successivement à plusieurs personnes, dans plusieurs lieux, pendant les jours et les semaines qui suivent, confirmant ainsi sa résurrection annoncée.
La scène que nous venons de lire clôture l’évangile de Matthieu par une dernière apparition de Jésus, devant ses disciples réunis, avant sa disparition physique définitive. Et ces 4 très courts versets représentent bien son dernier message, ses dernières consignes à ses proches. Dès le lendemain Jésus ne sera plus présent, et l’Esprit pas tout à fait encore. On imagine bien les onze disciples qui sont là, sonnés, désemparés, derniers témoins de sa vie et de sa résurrection et pourtant pas encore conscients de la mission écrasante qui leur est confiée.
Le texte précise d’ailleurs que certains ont des doutes. Doutes sur cette résurrection ? doutes sur leur chemin futur ensemble ou séparément ? Peut-être certains d’entre eux songent-ils à reprendre leur vie d’avant le Christ, prêts à oublier l’aventure qu’ils ont vécue ? Et certains autres sont déjà sur la route pour continuer l’œuvre de Jésus, pressentant l’importance que tout cela peut représenter, et se demandant vaguement comment ils vont s’organiser ?
En tout état de cause, et alors qu’ils se sentent écrasés de tristesse, comme nous tous pendant le deuil, les dernières paroles du Christ à ses disciples sonnent comme un réveil, un « wake up call » comme disent les anglo-saxons.
Au temps dont les disciples ont besoin pour accepter ce vide, Jésus oppose un programme d’actions immédiat. Au chagrin et au manque, il répond par une ambition qui dépasse de loin tout ce qu’ils ont pu espérer de son vivant, tout simplement une entreprise qui changera le monde, et la vie de toutes les générations futures.
Pour aller plus loin dans l’analyse, je voudrais reprendre avec vous ce matin ces deux phrases vertigineuses et exaltantes, qui sont le point de départ de notre vie de chrétiens depuis vingt siècles. Deux phrases : une injonction et une promesse :
« Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».
Au fond vers quoi Jésus a-t-il voulu les envoyer ? et dans quel but ? avait-il prévu tout ce qui s’est passé par la suite, tout ce qui nous anime aujourd’hui, 2000 ans après ? Avait-il une idée précise de l’influence d’un messie dans la vie des générations suivantes ?
Pour moi, il y a deux points qui sont vraiment importants dans ces deux phrases : d’abord cette proposition inouïe de Jésus, en rupture avec toutes les religions qui existaient jusqu’alors ;
Et puis il y a les conséquences de cette révolution du christianisme pour vous et moi, aujourd’hui, au XXIème siècle. Car au fond ce qui nous réunit ce matin dans ce temple, c’est le résultat de ces deux phrases prononcées par un homme il y a deux mille ans.
1. Alors qu’est-ce que Jésus-Christ leur demande, ce matin-là, dans cette dernière apparition en Galilée ?
Beaucoup de chrétiens considèrent que cette phrase est la première pierre de l’Eglise avec un grand E : un dispositif bien organisé, dans lequel on est clairement identifié comme dedans ou dehors, avec des rites, des temples, des règles, des dogmes, et aussi une sorte de hiérarchie qui s’établira très vite entre ceux qui savent, ou enseignent, et ceux qui reçoivent.
Mais il y a une autre interprétation que je voudrais vous proposer ce matin, une véritable révolution, ou plutôt 3 révolutions !
D’abord parce qu’avec cet impératif « Allez, faites de toutes les nations des disciples ! » Jésus envoie ses 11 compagnons bien au-delà de la Galilée, bien au-delà du peuple juif. Si toutes, absolument toutes les nations sont concernées par le Christ, alors c’est que personne n’est exclu, qu’on n’est pas dedans ou dehors. Ni la couleur de peau, ni l’ethnie, ni la nationalité, le sexe, ni l’origine ou le niveau social ne sont un frein pour être accueilli, alors que c’est le cas dans toutes les religions de l’antiquité, avec des règles précises qui s’appliquaient selon les classes sociales ou les peuples. Plus encore, il engage les disciples à ne pas avoir peur de la différence, peur des étrangers, peur de quitter sa région et sa sécurité. Un message universel qui s’adresse à tous, avec un Dieu unique non personnifié, c’est la première révolution.
Puis il leur demande de faire des disciples et de les baptiser. Il ne s’agit pas d’enrôler, d’embrigader, de contraindre. Il ne s’agit même pas de bâtir un temple, ou un autel, il n’a jamais parlé d’église ; non, il s’agit de permettre à d’autres de rencontrer Jésus-Christ comme eux-mêmes l’ont rencontré, et d’annoncer la grâce de Dieu par un geste simplissime dans son exécution et dans sa signification : le baptême. Un geste qu’on peut faire n’importe où, en pleine nature ou dans sa maison, qui ne nécessite que quelques gouttes d’eau, mais dont la signification immédiate de renaissance, de purification et de passage à une nouvelle vie est tellement évidente ! Un geste qui transforme la vie mais qui ne demande aucune contrepartie à celui qui le reçoit.
Nous nous considérons souvent comme presque propriétaires de Dieu, dépositaires exclusifs de sa parole et de ses commandements, ce qui nous permet d’établir des dogmes, des rites et des lois. Mais en réalité, non seulement Dieu ne nous appartient pas, mais nous ne pouvons pas non plus retenir Jésus-Christ ou contrôler l’Esprit !
Ainsi, les mots de Jésus ne sont pas un mode d’emploi qui serait valable dans un pays ou dans une époque seule, ou pour des personnes averties seulement, ce sont des conseils ultra simples qui transcendent les époques et les traditions et donc parlent aussi bien aux hommes de Galilée du 1er siècle qu’aux Français que nous sommes 20 siècles plus tard. Appelons cela une sorte d’universalisme de la grâce, qui nous pousse à agir, ici et maintenant. 2ème révolution.
La 3ème révolution annoncée par ce texte, c’est l’incroyable confiance qu’elle annonce entre Dieu, Jésus-Christ, et les hommes. Jésus va disparaître, et désormais c’est la parole prêchée et le témoignage des disciples qui vont remplacer le fait de l’avoir vu vivant. C’est une responsabilité considérable que leur donne Jésus, car à partir de ce moment-là les générations qui vont suivre n’auront pas vu Jésus, n’auront pas écouté son enseignement. Ce sont bien les apôtres, et ceux qui les suivent, qui vont passer le relais, de génération en génération, pour que cette bonne nouvelle soit entendue jusqu’à nous.
Ce sont bien ceux-là, les premiers disciples, suivis de Paul et des premiers chrétiens, qui vont prendre leur bâton de pèlerin, partir sur les routes, en Grèce, en Italie, en Samarie, pour enseigner à leur tour, prêcher la parole du Christ. Ce sont eux qui vont écrire l’évangile, tout au long du 1er siècle, qui vont assembler patiemment ces récits de façon à ce que la Parole, ce précieux enseignement arrive jusqu’à nous.
Ce sont eux qui vont perpétuer les deux sacrements institués par le Christ lui-même pendant sa vie : le baptême et la communion. C’est même ainsi que les apôtres convaincront le plus facilement d’autres hommes : partager le pain et le vin autour d’un repas pris en commun, ce geste qui deviendra vite le symbole des chrétiens dans le monde entier. Ce n’est pas un geste religieux, c’est un geste de partage universel.
Et donc cette troisième révolution, ce n’est pas que les hommes deviennent Dieu à leur tour, mais que Dieu leur donne, sans aucune réserve ni contrepartie, la responsabilité de le représenter sur terre, sans hiérarchie. Et en instituant ce relais, Jésus fait de tous les hommes des prêtres ou des pasteurs, sans autre compte à rendre qu’à Dieu.
2. Qu’est-ce que ça signifie pour nous ?
Et bien cela signifie que depuis les premiers apôtres, depuis Paul, Luc et les autres qui ont écrit les évangiles, nous sommes tous, de génération en génération, des passeurs de Christ, des passeurs d’humanité.
La voix de Jésus s’est tue, mais comme l’écrit le pasteur Gérard Delteil « d’autres voix se sont élevées, en écho avec sa propre parole. Non pas pour répéter, reproduire, ce qu’il a dit, -qui le pourrait d’ailleurs-, mais pour que résonne ce que sa parole a suscité, pour que se déploie le monde nouveau qu’il a ouvert. Ce n’est jamais sans lui qu’ils vont parler, et pourtant c’est bien leur parole à eux, leurs accents à eux, à chacun, chacune d’entre eux et d’entre vous qui vont se faire entendre. Sans lui, et pourtant avec lui, grâce à lui. »
Ce rapport désormais égalitaire avec Jésus implique une totale confiance de sa part, et une totale responsabilité de notre part. Une responsabilité et une action. Nous n’attendons plus un Dieu qui commande et qui gronde, mais un Dieu qui nous aide, comprend nos erreurs et encourage notre action, constamment, sans réserve.
Dans toutes les religions du monde, même chrétienne, même protestante, Dieu est toujours là, où qu’on aille, omniprésent, oppressant, incontournable. Celui qui sait tout, qui contrôle tout, auquel rien n’échappe. Or pour Jésus, ce Dieu-là, c’est le faux dieu. Car le Dieu véritable, c’est celui qui veut prendre du recul, non parce qu’il aurait cessé de nous aimer, mais au contraire parce qu’il veut nous faire confiance et nous exercer à l’usage d’une liberté responsable. Et cette liberté-là devient compatible avec le doute, que nous connaissons tous, le doute qui devient un moteur et plus jamais une culpabilité.
C’est dans ce rapport interpersonnel que nous créons avec Dieu, sans aucune intervention d’une église, d’un contrôleur de conscience quelconque, que nous puisons le courage pour l’action. Car s’il est avec nous jusqu’à la fin du monde, ça implique cette relation intime, constante, personnelle. Ça implique que nous puissions lui parler mais aussi lui demander des comptes, lui exprimer notre colère et notre découragement. Ça implique qu’il soit toujours là pour nous pousser à l’action dans la même direction, celle de notre prochain, celle de l’annonce de la grâce et de la fraternité.
C’est dans la diversité des hommes, de leurs manières de penser, de vivre et de croire, que nous retrouvons cet universalisme qui est le cœur de l’enseignement de Jésus-Christ.
Comme les apôtres il y a 2000 ans, nous ne faisons pas le deuil de Jésus-Christ. Nous faisons le deuil d’une vie avant lui, d’une vie sans lui. Une vie dans laquelle les hommes subissaient la volonté d’un Dieu qu’ils ne comprenaient pas, dans laquelle ils n’étaient jamais à la hauteur de ce qu’il attendait, le Dieu du Deutéronome, du premier texte que nous avons lu ce matin. Cette vie-là s’est finie avec Jésus-Christ. D’un deuil, d’une douloureuse absence, il a réussi à faire une vraie présence depuis 2000 ans. Selon les personnes, selon les moments, selon l’heure du jour ou de la nuit, il est une écoute, un pas dans nos pas, un cheminement commun, une parole, presque un souffle parfois, mais même ce souffle-là fait que décidément, non, nous ne sommes pas seuls.