Prédication du 13 novembre 2022

de Denis Müller

Je suis le chemin, la vérité et la vie

Lectures bibliques

Ecclésiaste 3, 1-8

1 Il y a un moment pour tout, un temps pour chaque chose sous le ciel :
2 un temps pour mettre au monde et un temps pour mourir ; un temps pour planter et un temps pour arracher ce qui a été planté ;
3 un temps pour tuer et un temps pour guérir ; un temps pour démolir et un temps pour bâtir ;
4 un temps pour pleurer et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter et un temps pour danser ;
5 un temps pour jeter des pierres et un temps pour ramasser des pierres ; un temps pour étreindre et un temps pour s’éloigner de l’étreinte ;
6 un temps pour chercher et un temps pour perdre ; un temps pour garder et un temps pour jeter ;
7 un temps pour déchirer et un temps pour coudre ; un temps pour se taire et un temps pour parler ;
8 un temps pour aimer et un temps pour détester ; un temps de guerre et un temps de paix.

Romains 12, 1-2

1 Je vous encourage donc, mes frères, au nom de toute la magnanimité de Dieu, à offrir votre corps comme un sacrifice vivant, saint et agréé de Dieu ; voilà quel sera pour vous le culte conforme à la Parole. 
2 Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais soyez transfigurés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréé et parfait.

Jean 18, 37-38

37 Pilate lui dit : Toi, tu es donc roi ? Jésus répondit : C’est toi qui dis que je suis roi. Moi, si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité entend ma voix. 
38 Pilate lui dit : Qu’est-ce que la vérité ? Après avoir dit cela, il sortit de nouveau vers les Juifs et leur dit : Moi, je ne trouve aucun motif de condamnation en lui.

Jean 14, 1-11

1 Que votre cœur ne se trouble pas. Mettez votre foi en Dieu, mettez aussi votre foi en moi. 
2 Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. Sinon, vous aurais-je dit que je vais vous préparer une place ? 
3 Si donc je m’en vais vous préparer une place, je reviens vous prendre auprès de moi, pour que là où, moi, je suis, vous soyez, vous aussi. 
4 Et là où, moi, je vais, vous en savez le chemin.

5 Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons pas où tu vas ; comment en saurions-nous le chemin ? 
6 Jésus lui dit : C’est moi qui suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. 
7 Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Et, dès maintenant, vous le connaissez et vous l’avez vu.

8 Philippe lui dit : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. 
9 Jésus lui dit : Il y a si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire, toi : « Montre-nous le Père ! » 
10 Ne crois-tu pas que, moi, je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Les paroles que, moi, je vous dis, je ne les dis pas de ma propre initiative ; c’est le Père qui, demeurant en moi, fait ses œuvres. 
11 Croyez-moi : moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi. Sinon, croyez à cause des œuvres elles-mêmes.

Prédication

§ 1

Nous vivons dans un temps de contre-vérités où les fake news pullulent. Nous vivons dans un temps d’impasse, où toutes les solutions politiques ou économiques semblent bloquées. Nous vivons dans un temps de mort et de guerre, où la vraie Vie est niée et défigurée. Comment nous sortir vivants de toutes ces contradictions ?

C’est la question même de la vérité qui ne va plus de soi. Nous avons souvent l’impression de vivre dans un mensonge inévitable. La vieille caricature de l’idéologue Ponce-Pilate, l’ironique ou le sceptique, semble avoir une fois pour toutes signé la mort toute idée de vérité. Mais qu’est-donc, qu’est-ce donc que la vérité ? Cette interjection est d’autant plus forte que gouverneur romain l’a prononcée face à face avec Jésus, quand ce dernier émet une prétention à la vérité. Quel culot, ce Jésus ? Se prendrait-il pour un roi ? Pilate ne parvient à parler de lui et à lui parler que comme s’il était un de ses rivaux, un imposteur politique. Il n’entend pas la vérité de l’homme Jésus, son message, son témoignage. Il ne se situe pas devant lui dans un climat de vérité.

Or le témoignage de la Bible, sur ce point, est tonique et éclairant.
Nous allons essayer d’en saisir l’essentiel à partir de l’ Évangile de Jean. 

§ 2

Jésus dit cela à ses disciples. Je suis – le fameux ego eimi, c’est moi, et moi seul, qui suis le chemin, non seulement le chemin, mais le chemin qui conduit et à la vérité et à la vie. 

Quatre pistes s’offrent à nous, à nous donner le vertige :

a) Y a-t-il ici une concurrence, un match entre Le Père et le Fils ? (Ego eimi). Et Dieu là-dedans, où est-il ? N’est-ce pas lui qui est, pour le moins, la vérité et la vie ? Il faut reconnaître ici un problème propre à la théologie johannique : l’accent est si fortement placé sur le Christ, sur la christologie d’en haut, que l’homme Jésus semble être à lui tout seul non seulement le chemin vers la vérité, vers le Père, mais cette vérité elle-même et la vie qui va avec. Et reconnaissons-le : dans le protestantisme tout particulièrement, nous avons tendance à faire de Jésus le seul et unique révélateur, comme s’il était Dieu lui-même. Or le texte de Jean est plus subtil. Certes, celui qui a vu Jésus a vu le Père. Mais ce n’est pas à dire que Jésus et le Père soient synonymes. Il y a toujours dans le christianisme une distance constitutive entre le Père et le Fils. Jésus est celui qui conduit au Père. Jésus est le chemin qui mène au Père. Mais il n’est pas le Père. Il est seulement (si on peut dire) le Fils du Père. Autrement dit, si Jésus est la vérité, et pas seulement le chemin qui y conduit, c’est que le père est la vérité du Fils, la vérité au bout du chemin. Le Jésus johannique tient son autorité de son Père, mais il n’est pas LA vérité indépendamment de lui.

b) Ce camino est-il la seule voie ? Qu’en est-il de cette exclusivité chrétienne, par rapport aux autres religions, par rapport à la prétendue « spiritualité laïque » (Luc Ferry) ? Jean Zumstein met en exergue ce point, dans son commentaire. C’est en effet un point central. Mais sur lequel il y bien évidemment discussion entre nous, et pas seulement avec les autres, avec celles et ceux « du dehors » – si tant est qu’il y ait vraiment un dehors et un dedans. Je crois, pour ma part, que la vraie transcendance passe au travers de nous, du dedans et du dehors « de nous ».

Reprenons notre premier point. Si Jésus est le chemin unique et exclusif qui conduit au Père, est-ce que cela fait de Dieu, son Père, un Dieu exclusif de tout autre Dieu ? Est-ce que le Dieu de Jésus de Nazareth est un Dieu jaloux et agressif, dans ce sens qu’il exclurait tous les autres dieux ? Non. Autant je crois que Jésus de Nazareth est une figure unique et, en ce sens-là, distincte de toutes les autres figures religieuses (Bouddha, Mahomet, Vishnu, etc.), autant je crois que son Dieu est le Dieu universel propre à toutes les religions, un Dieu unique et un, unificateur et non pas séparateur. C’est là que nous percevons l’importance de distinguer le Père et Fils. Jésus est le Fils unique de Dieu, comme son révélateur ; mais le Dieu un est le père de tous les croyants, comme on le voit dans la prière du « Notre Père », prière enseignée par Jésus, mais valable pour tous les êtres humains.

c) Et qu’est-ce donc, dites-le nous enfin Monsieur le professeur, Madame ou Monsieur le pasteur, qu’est-ce donc que la vérité ? C’est un point que je vais reprendre dans la dernière partie de cette prédication. Ce qui est sûr, c’est que nous ne sommes pas dans la position ou dans la posture de Ponce-Pilate. Nous ne sommes pas appelés à juger Jésus de l’extérieur, comme si son destin (la mort ou la vie ?) dépendait de nous. Il ne nous est pas demandé de décider du destin de Jésus et de céder à une décision fatale. Notre rapport à la vérité que représente Jésus est un rapport lié à son témoignage. De même, notre rapport à la vérité ultime que signifie Dieu, le Père du Fils, tient à la crédibilité de son témoignage dans le cœur des croyants et dans le cœur même de l’histoire et du monde.

d) Et si la vérité avait un rapport avec la Vie, tout simplement ! Mon Dieu, ça se complique. Car la Vie, la zoé johannique, n’est pas juste le bios, la vie biologique, psychologique, relationnelle, cosmique, climatique ou je ne sais quoi… mais elle est l’alpha et l’oméga de tout ce qui vit et de quiconque s’applique à donner un sens à SA propre vie… Peut-être que la question de la vérité, portée à son extrémité critique par Ponce-Pilate, est-elle une question trop abstraite, trop générale, trop philosophique, pour répondre à NOTRE question du sens de la Vie ?

Je pose ainsi la question du lien entre la vérité branlante de Ponce-Pilate – confronté au Témoin de la Vérité – et la réponse de Jésus à Thomas. Comment se fait-il que, devant Pilate, Jésus se limite à parler de la seule Vérité, alors que devant ses disciplines, il décline sa triple identité, le chemin, la vérité et la vie ? Ne voyons pas une opposition entre ces deux démarches. Peut-être Pilate est-il plus limité théologiquement ( !) que les disciples ? Peut-être aussi est-il obnubilé par le royauté politique de Jésus, et donc sa concurrence potentielle avec l’autorité romaine ? Quoi qu’il en soit, Jésus prend plus de peine à s’expliquer devant ses disciples que devant le gouverneur qui va décider de son sort.

Nous, comme héritiers croyants des disciples, nous avons besoin de cette triple économie pour accéder à Dieu, pour comprendre qui il est : le chemin comme méthode, la vérité comme finalité et la vie comme conséquence pratique.

§ 3

Reprenons la question de la vérité, puis celle de la vie. Sans jamais oublier le chemin par lequel nous pourrions y parvenir.

Nous avons affaire à une pluralité de conceptions de la vérité. Cela n’est pas le propre de la modernité, mais retentit déjà dans la Bible. Pilate et Jésus déjà s’entendent mal, si Jésus n’est qu’un prophète biblique parmi d’autres, s’il ressemble juste à Paul l’avorton ou à Thomas ou à Philippe parmi les disciples « historiques », il est bien possible que lui aussi puisse mal entendre et mal comprendre. En tout cas c’est ce que le peu reluisant et peu courageux Ponce Pilate doit entendre et doit comprendre. Son interrogation impitoyable, Qu’est-ce que la vérité ? va déboucher sur une décision fatale, sur un contre-témoignage, un refus du témoignage de Jésus. Pilate pose la question du Pouvoir – es-tu Roi ? —, Jésus celle de la Vérité de Dieu.

Il y a la vérité scientifique, l’adéquation de la pensée au réel, la vérité de correspondance, celle que défendent la communauté universelle et toute « école » méritant ce titre. Même l’école du dimanche, comme on dit souvent en protestantisme, est une école critique, scientifique, responsable ; elle ne raconte pas des fadaises, elle croche avec la vérité.
Si Jésus est la vérité qui mène à Dieu comme vérité ultime, alors nous avons, comme croyants, un devoir envers la vérité profane, celle de l’École, celle de la laïcité.

Il y a la vérité de cohérence, la qualité de l’argumentation : le Jésus de l’Évangile de Jean n’est pas un manipulateur, et les chrétiens que nous essayons d’être nous ne sommes pas des saltimbanques de la vérité. Nous avons un devoir d’honnêteté intellectuelle, à même notre suivance du Nazaréen.

Il y a enfin, je ne saurais trop y insister, la vérité comme processus et comme quête, philosophique, spirituelle, théologique, poétique. Elle est en chemin, elle se fait en cheminant : comme le dit le grand poète espagnol Antonio Machado, le chemin se crée en marchant, sinon il n’y a pas de chemin : caminante, no hay camino ; se hace camino al andar.
Nous sommes nous-mêmes sur un tel chemin ! Ce n’est pas par hasard que Jésus commence par le chemin : c’est qu’il n’y a pour nous d’accès à la vérité et à la vie que par lui.

La Vie, nous l’avons vu, est à la fois le fondement ultime et la méthode concrète pour aller vers cette vérité. Nous pourrions développer aussi les multiples significations de la Vie, comme nous l’avons fait ici à propos de la vérité : il y a la vie divine – celle qui passe par le père et le Fils –, la vie humaine, la vie spirituelle et la vie animale ou créationnelle. Aucune ne se confond avec les autres, mais aucune non plus n’est séparable des autres.

Si nous sommes croyants, si nous sommes chrétiens, et quand, tel Kierkegaard, nous essayons de le devenir, nous sommes convoqués et provoqués à la vérité : vérité des valeurs, pour justifier l’éthique, vérité du sens de la Vie, et de la Vie « tout court », pour adopter le langage de la foi, vérité de Dieu, comme quête de vérité, de sens et de vie, comme chemin vers le Père, via le Fils et l’Esprit.