Prédication du 28 novembre 2021

Fête de l’Amitié

de Dominique Hernandez

L’amour de l’étranger

Lecture : Hébreux 13, 1-3

Lecture biblique

Hébreux 13, 1-3

1 Que l’affection fraternelle demeure. 
2 N’oubliez pas l’hospitalité : il en est qui, en l’exerçant, ont à leur insu logé des anges. 
3 Souvenez-vous des prisonniers, comme si vous étiez en prison avec eux, et de ceux qui sont maltraités, puisque vous aussi, vous êtes dans un corps.

Prédication

N’oubliez pas l’hospitalité, souvenez-vous des prisonniers et des maltraités. Dans cette exhortation de l’auteur de l’épitre aux Hébreux, dont nous ne savons pas qui il était ni précisément à qui il s’adressait, nous entendons que nous pourrions oublier, que nous oublions. Oublier, peut-être comme un déni de ceux qui demandent l’hospitalité et de ceux qui sont méprisés, ou comme un enfouissement de leur souvenir sous une masse d’occupations ou de préoccupations, comme un empêchement de se souvenir qu’ils sont semblables à nous. Ce qui nous est rappelé, c’est non seulement la compassion, mais surtout la solidarité avec eux, une solidarité constitutive, essentielle. Ce qui nous est rappelé, c’est une communauté d’être, communauté au-delà de toutes les caractéristiques qui servent habituellement à justifier ou rendre compte d’une société humaine.
Nous sommes semblables, les prisonniers et nous, les maltraités et nous, parce que nous sommes humains avec un corps. C’est notre condition humaine que d’être corporelle et de ressentir à travers lui des épreuves, des échecs, des besoins, de la souffrance, des sensations de mort. Par ce corps contraint ou blessé, manquant ou douloureux, nous nous souvenons de ceux dont le corps et l’humanité sont altérés par l’emprisonnement ou la maltraitance.
C’est notre condition humaine que ce corps qui a besoin de nourriture, de repos, de chaleur, de caresses, de ressentir le plaisir et la vie. Par ce corps nous connaissons la nécessité de l’hospitalité.

L’hospitalité. Faisons un peu de grec, puisque c’est la langue dans laquelle ont été écrite les livres du Nouveau Testament. Mais c’est très simple. En grec, l’hospitalité, cela se dit philoxénie. Cela ne vous dit rien ? Mais vous connaissez pourtant très bien le contraire de la philoxénie. Son contraire, c’est la xénophobie, la peur de l’étranger. En grec, l’hospitalité, philoxénie, c’est l’amour de l’étranger. Tout comme l’auteur de l’épitre exhorte à l’amour fraternel, la philadelphia, il appelle à l’amour de l’étranger, sans transition parce que l’un ne va pas sans l’autre, du point de vue de l’Évangile, la bonne nouvelle, la belle annonce pour la vie de chacun et de tous.

Dans bien des cultures et des religions, l’hospitalité est une valeur très importante, parfois la plus grande.
Nous nous souvenons d’Abraham, le père des croyants de plusieurs religions, qui est une figure importante et plusieurs fois donnée en exemple dans l’épitre aux Hébreux.
Abraham a quitté son pays et la maison de son père. Il est devenu un errant, un migrant, un étranger dépendant de l’hospitalité qui lui sera accordée, ou pas, partout où il ira. Quand il s’installe, c’est toujours chez d’autres. Cependant lui aussi pratique l’hospitalité, par exemple à Mamré en recevant sous sa tente trois hommes. Ces hommes se révèlent être des messagers de Dieu, c’est-à-dire des anges, qui lui annoncent la naissance prochaine d’un fils, pour la descendance promise par Dieu.
Nous nous souvenons que longtemps, les églises (bâtiments) ont été des lieux d’hospitalité, des lieux d’asile pour tous ceux qui le demandaient, même les criminels. Cet asile a été offert au nom de l’Évangile, au nom de Jésus le Christ arrêté et condamné à mort comme un criminel. Cette hospitalité s’est prolongée à travers le cœur et les mains de chrétiens qui se sont sentis toujours convoqués à regarder l’étranger comme un frère ou une sœur et non comme celui ou celle dont il faut d’abord et toujours se méfier et se détourner.
Si les exemples abondent dans l’histoire, nous nous souvenons aussi de ces extraordinaires et puissantes pages des Misérables où Victor Hugo décrit la rencontre entre Jean Valjean et l’évêque de Digne qui l’accueille chez lui et même, même, fait preuve d’une miséricorde qui évite à l’ancien bagnard de retourner en prison. Une hospitalité d’une nuit, une hospitalité de vie.
Nous nous souvenons que ce pays, la France, a développé une tradition d’accueil et de terre d’asile pour des personnes persécutées dans leur pays, au nom de la liberté et des droits de l’homme. Mais où sont les droits de ceux qui périssent en mer, engloutis dans un épouvantable déni de dignité, disparus de n’être plus considérés comme assez humains pour trouver un asile, une terre d’accueil où ils puissent vivre ?
Dans ces souvenirs, comme dans la lecture des Écritures, nous comprenons que l’hospitalité représente un marqueur d’humanité, et que là où il n’y a plus d’hospitalité, il ne reste qu’un groupe dont l’objectif serait 

soit une sorte de clonage : tous semblables, un semblable à cultiver et l’étranger à rejeter,
soit le retour vers le passé dont nous savons bien qu’il est toujours dans ces cas recomposé par excès de simplification et le retour n’est qu’une illusion.

Lorsque l’apôtre Paul écrit aux Galates (3,28) qu’il n’y a plus ni homme ni femme, ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre mais que tous sont un en Jésus-Christ, il exprime l’inconditionnelle hospitalité de Dieu en Christ, hospitalité devant laquelle ne prévaut aucune considération humaine, aucune de ces différences qui deviennent prétextes à l’exclusion des uns ou des autres. Non que ces différences soient supprimées, mais dans la foi, elles sont transcendées par l’amour divin, la grâce divine et de prétextes de séparations, et elles deviennent d’heureuses occasions de relations fraternelles.

Hospitalité, philoxénie, amour de l’étranger, à la fois : 

faire place à l’autre chez soi, sans préjugé sur lui et sans mesurer la place,
et aussi, entrer chez l’autre, sans préjugé sur lui et s’en remettre à lui.

Puisque dans la langue française, l’hôte est aussi bien celui qui accueille que celui qui est accueilli, et cette astuce magnifique de la langue nous rappelle que nous sommes interdépendants les uns des autres. L’hospitalité est une dynamique, une heureuse réciprocité, on ne sait pas toujours qui reçoit et qui vient, et la joie et la gratitude se répondent l’une l’autre.

Sans le savoir, certains ont accueillis des anges : sans le savoir car il n’est pas possible de décider d’accueillir un ange, ou de n’accueillir que des anges ; tout comme il est impossible de vouloir être un ange, 

quelqu’un qui fera luire dans l’existence une lumière nouvelle,
qui fera entendre une bonne nouvelle ou une parole de bénédiction,
quelqu’un dont la présence portera une consolation ou un encouragement,
quelqu’un dont la venue sera comme une visitation, comme celle de l’ange à Marie, puisque nous sommes aujourd’hui le premier dimanche de l’Avent.

Ne pas savoir car l’hospitalité véritable laisse place à l’imprévu, et au surplus, à l’excès, par exemple une fidélité et une reconnaissance de plus d’un siècle, n’est-ce pas amis baha’ïs ?
Ne pas savoir aussi car l’hôte qui vient offre à l’hôte qui accueille d’être enrichi, élargi, transformé : l’hospitalité c’est d’accepter de ne pas tout maîtriser, même chez soi, même en soi. Le vieil Abraham, la jeune Marie ont enfanté une histoire nouvelle. L’hospitalité engendre des histoires nouvelles, inattendues, surprenantes.

Ainsi l’hospitalité est une disposition véritablement spirituelle et même messianique. Jésus ne dit-il pas dans l’évangile de Matthieu : j’étais étranger et vous m’avez accueilli …
Ainsi l’Église est-elle appelée à devenir l’hôte de l’humanité, dans les deux sens du terme : en se faisant accueillir dans les questions, les créations, les préoccupations des contemporains.
Hôte de l’humanité accueillante aux corps et aux âmes, aux êtres qui ont besoin d’un repos dans leur quête, d’un abri pour soigner leurs blessures, de rencontre avec des frères et sœurs, d’une reconnaissance d’humanité.

Monseigneur Myriel recevant Jean Valjean lui dit :
Je vous le dis à vous qui passez, vous êtes ici chez vous, plus que moi-même. Tout ce qui est ici est à vous. Qu’ai-je besoin de savoir votre nom? D’ailleurs, avant que vous me le disiez, vous en avez un autre que je savais.
L’homme ouvrit des yeux étonnés :
– Vrai, vous saviez comment je m’appelle?
– Oui, répondit l’évêque, vous vous appelez  » mon frère « .