Prédication du 25 septembre 2022

Culte avec baptême

de Dominique Hernandez

L’arbre aux oiseaux

Lecture biblique

Matthieu 13, 31-32

31 Il leur proposa cette autre parabole : Voici à quoi le règne des cieux est semblable : une graine de moutarde qu’un homme a prise et semée dans son champ. 
32 C’est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est plus grande que les plantes potagères et elle devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches.

Prédication

Une parabole est un texte ouvert, plutôt même un texte d’ouverture, c’est-à-dire un texte pour en sortir, pour sortir, pour s’échapper de ce qui est écrit, parce que 

autant ce qui est écrit est accueillant au lecteur, à la lectrice,
autant celui-ci, celle-ci est poussée à faire suivre la lecture de sa propre pensée, à y accrocher d’autres mots, d’autres images, sa réalité, son imagination.

Ainsi en lisant cette petite parabole, Marie et Matthieu ont pensé à Erell : une petite fille, leur petite fille, qu’ils vont aider à grandir avec attention et amour. Ils ont associé l’image de la graine de moutarde qui devient un arbre à une petite frimousse aux grands yeux, à ce petit être dont la venue n’a pas fini de transformer leur existence.
Ils ont aussi pensé à la foi comme une petite graine et qui pousse également avec de l’attention, avec une transmission de connaissances, de pratiques, de dialogues, ce qui est leur rôle de parents et le rôle de l’Église, et avec une décision qui reviendra un jour à Erell.
Un enfant comme une graine, la foi comme une graine, déjà deux possibilités permises parce que la parabole est un langage poétique et non descriptif. Poétique, c’est-à-dire qu’il agit en suscitant d’autres comparaisons, d’autres images que celles qui sont exprimées, avec des détours, des ruptures qui aiguillonnent la pensée et l’imagination.
La lecture d’une parabole, c’est comme une envolée de la pensée et de l’imagination, si l’auditeur/le lecteur se laisse emporter : 

emporter à la fois par les évocations et leur familiarité rassurante : une petite graine semée, une histoire de père avec ses enfants, une vigne, un maître de maison, bref une base accessible et compréhensible par tous,
emporter également par l’extra-ordinaire qui surgit : une récolte fabuleuse, une fête pour le retour de l’enfant, un samaritain qui s’arrête auprès d’un juif, le berger qui laisse tout un troupeau pour chercher une seule brebis, les oiseaux du ciel dans un plan de moutarde devenu arbre.

Une parabole fonctionne comme comparaison, ce n’est pas une définition, ce qui crée un effet particulier sur le lecteur.
Une définition c’est une clôture, c’est ainsi et ce n’est pas autre chose. Une définition s’apprend et se répète. Il n’y a rien de plus à dire, et rien à inventer.
Une parabole ne ferme rien, au contraire. Pour qui cherche du rationnel et du raisonnable, il y a des trous et du flou partout, des questions surgissent bien plus sûrement que des réponses ou des solutions, on n’y trouve ni opinion tranchée ni morale, et pas toujours de sens littéral bien assuré mais plusieurs interprétations ; Marie et Matthieu en ont déjà partagé deux.

Ajoutons à cela que la parabole de la graine de moutarde est insérée dans une série de sept paraboles racontées par Jésus à ses disciples, avec en plus une explication pour deux des sept, et que ces sept paraboles sont consacrées au règne des cieux, ou royaume des cieux selon les traductions, car il n’y a qu’un seul mot grec traduit soit par règne soit par royaume. Sept paraboles, un tourbillon de paraboles au terme desquelles bien malin qui pourra dire ce qu’est exactement le règne des cieux. Bien malin ou pas malin, puisque Jésus se garde bien, lui, de donner une définition en un ou plusieurs points.
Une parabole sert à parler de ce dont on ne veut pas parler directement, ou à parler de ce dont on ne peut pas parler de manière précise, descriptive, avec une bonne définition bien définitive. Ainsi avec sept paraboles, Jésus multiplie les nuances, déplie les possibilités, et surtout, il fend les idées étroites, il aère et élargit considérablement les esprits.

La parabole de la graine de moutarde ne représente donc qu’une comparaison parmi d’autres pour évoquer le règne des cieux. La première chose que nous pouvons comprendre, c’est que ce règne des cieux est raconté comme tout à fait à terre : une graine semée dans un potager. Une décision humaine, un acte humain concernant le sol pour y faire pousser une plante. Rien de bien transcendant. Et pourtant le royaume des cieux est comme cela dit Jésus ou plutôt comme un processus qui commence ainsi puisque la graine pousse et devient arbre accueillant aux oiseaux du ciel. Un arbre comme un lien entre le ciel et la terre, entre les cieux et l’humanité.
Il y a une rencontre du divin et de l’humain, une sorte d’expérience que chacun de nous peut éprouver, quelque chose comme planter la plus petite des graines et se retrouver dans son potager avec un grand arbre dans lequel viennent nicher les oiseaux du ciel.
Comme la parabole n’est pas une description, ce n’est pas grave que la graine de moutarde ne soit pas la plus petite des semences et que le plan de moutarde ne soit pas la plus grande plante du potager et surtout pas un arbre. Mais l’association du plus petit et du plus grand fait place à chacun, même à une toute petite fille, même à ceux qui se sentent tous petits et qui ne sont pas négligés.

Puis il y a le processus qui transforme la petite graine en grand arbre. L’émergence de ce qui qui commence par être caché dans le sol avant de sortir à l’air, à la vue : 

un processus dans lequel il n’y a pas d’immédiateté, pas de contrôle,
mais une forme de confiance, comme un terreau bien riche et propice à la croissance non seulement d’une petite personne mais aussi de toute personne. La croissance comme la métaphore d’une dynamique d’existence, non seulement dans le passage du temps passé/présent/futur, mais dans la transformation de l’être. 

Il est une puissance de vie en Erell, qui la conduira à l’âge adulte, pas en termes de croissance physique et physiologique, mais en termes d’humanité selon la compréhension de l’humain annoncée Jésus le Christ : une personne unique et précieuse, singulière et reconnue, aimée et espérée.
Parler du règne des cieux, c’est une façon de parler de Dieu dans l’existence humaine, et parler en parabole, c’est libérer les images de Dieu des formules convenues, apprises et répétées qui prétendent apporter un savoir sur Dieu, libérer les images de Dieu des malentendus qui se transmettent si facilement.
La petite graine qui germe et pousse, Dieu dans l’existence humaine, c’est une expérience dénuée de rapport de force et de violence, sans contrainte et sans effet néfaste : personne ne peut forcer qui que ce soit à croire, personne n’obligera Erell à croire ou à aimer Dieu et son prochain, sinon ce n’est pas du royaume des cieux dont il sera question, ce n’est pas le Dieu de Jésus-Christ qui sera engagé dans l’obligation ; et si cela arrivait, courez loin avec Erell !
Dieu dans l’existence humaine, c’est une expérience comme un développement qui profite de possibilités et génère des possibles dont certaines et certains sont invisibles, cachés au fond de nous, enfouis sous les épaisseurs des héritages, des habitudes, des convenances.
Le règne des cieux a quelque chose à voir avec un devenir, un devenir imprévisible, inattendu.

Par exemple, peut-être ce qui se passe pour l’humain de la parabole qui plante une graine de moutarde dans son potager. C’est logique et sensé de planter une graine de moutarde dans un potager, là où l’on fait pousser des plantes comestibles, un peu de moutarde, ce sera un petit plus de saveur. Sauf qu’au terme du processus, aucune récolte, pas de moutarde. Cela nous rappelle quelque chose…
Seulement le plant de moutarde est devenu autre chose qu’un plant de moutarde : il est devenu un arbre aux oiseaux, un arbre dans lequel les oiseaux peuvent nicher, ces oiseaux du ciel que Jésus de Nazareth a déjà, dans le discours sur la montagne, proposés à la méditation des disciples pour leur donner un exemple de la gratuité qui caractérise le règne des cieux.
Ici c’est l’arbre dans le potager qui abrite les oiseaux du ciel sans rien demander, un accueil sans condition, une hospitalité généreuse, accueil et hospitalité qui ont supplanté la production et la rentabilité attendues du plant de moutarde.
Que peut alors faire l’humain dans son potager ? Et bien il est invité à contempler, à se réjouir de ce devenir inattendu de la minuscule graine. Même si ce n’est pas ce qui était prévu. Tant pis pour la récolte de moutarde ! Même si le plant de moutarde devenu arbre est inutile du point de vue d’un homme qui travaille son potager, même s’il ne sert à rien d’utile pour l’alimentation ou pour le commerce. La graine de moutarde est devenue arbre aux oiseaux, pour rien. 

Nos vies sont bien remplies de choses et de tâches utiles pour ceci ou pour cela, du programmé, du rentable, de l’efficace. Et puis voilà que la parabole évoque un inutile, qui est essentiel. Le royaume des cieux est comme un autre regard sur le monde, une autre manière d’être présent dans le monde, une autre approche du monde, de soi des autres. Comme la contestation d’un monde qui pourtant est toujours si proche du chaos. C’est certainement parce qu’il est bien rangé, bien rationnel, bien rentable qu’il est toujours si proche du chaos.
La parabole ouvre une échappée dans le monde des injonctions à remplir le quotidien de choses à faire parce que ce sont des choses utiles.
Bien sûr, il ne s’agit pas de ne plus rien faire du tout. Il y a des choses à faire, dans nos vies, dans l’Église, dans le monde.
Mais au regard du règne des cieux, l’essentiel est ailleurs, l’essentiel est autrement, dans un arbre aux oiseaux et cela relativise nos priorités d’hommes et de femmes tellement affairés.
Le règne des cieux, c’est comme une libération de nos pesanteurs, de notre extrême tendance à nous prendre au sérieux parce que nous faisons des choses tellement utiles et indispensables.
Oui l’Évangile est une libération : pas de morale, pas d’idéologie, pas de plan sur 5 ou 20 ans, mais l’éveil ou le réveil d’un élan de vie, 

depuis cette part un peu enfouie car elle n’est pas utile ni rentable ni comptable,
grâce à la dynamique divine qui n’attend que de se déployer, le règne des cieux comme un processus de création, de transformation, d’humanisation de l’être.

N’oubliez pas de raconter à Erell, et aux autres enfants, la parabole de l’arbre aux oiseaux.