Prédication du 5 juillet 2020

de James Woody

L’Eglise en procès

Lecture biblique

Jérémie 2, 1-19

1 La parole du SEIGNEUR me parvint : 
2 Va, crie à Jérusalem : Ainsi parle le SEIGNEUR : Je me souviens de ta fidélité de jeune fille, de ton amour de jeune mariée, quand tu me suivais au désert, sur une terre où rien ne pousse.
3 Israël était un bien sacré pour le SEIGNEUR, les prémices de sa récolte ; tous ceux qui en mangeaient se mettaient en tort, et le malheur fondait sur eux — déclaration du SEIGNEUR.
4 Ecoutez la parole du SEIGNEUR, maison de Jacob, vous tous, clans de la maison d’Israël ! 
5 Ainsi parle le SEIGNEUR : Quelle injustice vos pères ont-ils trouvée en moi pour s’éloigner de moi, pour suivre ce qui est futile et se rendre eux-mêmes futiles ?
6 Ils n’ont pas dit : Où est le SEIGNEUR, qui nous a fait monter d’Egypte, qui nous a conduits dans le désert, dans une terre de plaines arides et de fosses, dans une terre de sécheresse et d’ombre de mort, dans une terre par où personne ne passe et où n’habite aucun être humain ?
7 Je vous ai fait entrer dans un pays de vergers pour que vous en mangiez le fruit et que vous jouissiez de ses biens ; mais quand vous êtes venus, vous avez rendu mon pays impur et vous avez fait de mon patrimoine une abomination.
8 Les prêtres ne disent pas : Où est le SEIGNEUR ? Les spécialistes de la loi ne me connaissent pas, les bergers se sont révoltés contre moi, les prophètes parlent par le Baal, ils suivent ceux qui n’ont aucune valeur.
9 C’est pourquoi je vous accuse encore, — déclaration du SEIGNEUR — j’accuse aussi les fils de vos fils.
10 Passez donc vers les îles de Chypre et regardez ! Envoyez des messagers à Qédar, observez bien et regardez s’il y a rien de semblable !
11 Une nation change-t-elle de dieux ? — pourtant ce ne sont pas des dieux ! Mon peuple, lui, a échangé sa gloire contre ce qui n’a aucune valeur !
12 Sois-en atterré, ciel ! Frémis et dessèche-toi — déclaration du SEIGNEUR.
13 Car mon peuple a doublement mal agi : ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes crevassées, qui ne retiennent pas l’eau.

14 Israël est-il un esclave, acheté ou né dans la maison ? Pourquoi est-il livré au pillage ?
15 Contre lui les jeunes lions rugissent, ils font retentir leur voix et sèment la dévastation dans son pays ; ses villes incendiées n’ont plus d’habitants.
16 Même les fils de Noph et de Tahpanhès te tondent le crâne.
17 Cela ne t’arrive-t-il pas parce que tu as abandonné le SEIGNEUR, ton Dieu, au temps où il te conduisait sur le chemin ?
18 Et maintenant, que fais-tu sur le chemin de l’Egypte ? Vas-tu boire l’eau du Shihor ? Que fais-tu sur le chemin d’Assyrie ? Vas-tu boire l’eau du Fleuve ?
19 Que ton mal te corrige, que tes infidélités te châtient ! Vois bien comme c’est mauvais et amer d’abandonner le SEIGNEUR, ton Dieu, de n’éprouver aucune frayeur devant moi ! — déclaration du Seigneur DIEU (YHWH) des Armées.

Prédication

Chers frères et sœurs, cette lecture du prophète Jérémie nous rappelle à quel point la lecture de la Bible hébraïque est indispensable, à quel point elle est fondamentale pour constituer notre spiritualité. La lecture de la Bible hébraïque, notamment ces passages prophétiques, sont indispensables pour que notre foi s’enracine dans une terre chargée de tout ce qui lui est nécessaire pour s’épanouir au mieux, sans carence nutritive qui porterait atteinte à son intégrité. J’aimerais souligner cela en guidant notre méditation selon deux pôles, deux éléments qui sont réunis dans le thème central de ce passage biblique, à savoir le thème du procès. Aujourd’hui est la bonne occasion pour faire le procès de l’Église. Nous engagerons ce procès avec les deux éléments qui constituent ce procès ouvert par l’Éternel contre son peuple sont l’exigence et la promesse.

1. L’exigence

S’il y a ce procès qui s’ouvre au milieu de ce passage biblique, c’est en raison de l’attitude du peuple qui n’a pas été la hauteur d’une vie selon Dieu, pour le dire d’une manière religieuse. S’il est rappelé qu’Israël s’était consacré à l’Éternel, qu’il y avait une attirance semblable à celle qui unit les fiancés, la situation a bien changé. Le peuple s’est éloigné de l’Éternel au point de ne plus se demander : « où est l’Éternel ? » Le peuple a rendu le pays impur. Les prêtres, eux aussi, on cesser de se demander « où est l’Éternel ? », les responsables de la loi ont ignoré Dieu et les bergers lui ont été infidèles.

Cet éloignement de Dieu qui est pointé du doigt par le prophète Jérémie pourrait nous donner l’occasion de maugréer contre l’athéisme majoritaire et de stigmatiser celles et ceux qui ont pris leur distance vis-à-vis des Églises. Mais le prophète Jérémie ne porte aucune parole contre l’athéisme et il ne s’exprime évidemment pas sur la pratique religieuse telle que nous la comprenons de nos jours en la réduisant à la fréquentation des activités cultuelles.

Le prophète Jérémie, en se faisant le porte-parole de l’Éternel, assume la fonction qui consiste à replacer le peuple devant ce qui a un caractère ultime. L’Éternel désigne, dans les textes bibliques, la vie portée à sa plénitude, la vie envisagée selon ce qui est proposé au peuple de vivre : la liberté, la solidarité, sans condition et sans limite. S’éloigner de Dieu, c’est perdre de vue ces principes directeurs. Ne plus se demander où est l’Éternel, c’est devenir indifférent au sens de la vie, c’est renoncer à s’interroger sur ce qui doit être en tête de nos préoccupations, ce qui doit animer nos réactions, nos projets, nos décisions, nos engagements.

Le procès ouvert par Jérémie au nom de l’Éternel, revient à faire le bilan de ce qui a été vécu par le peuple ces derniers temps. Ce procès consiste à remettre le peuple face aux exigences portées par les traditions bibliques. C’est l’épreuve du réel, c’est l’épreuve de vérité auquel le peuple ne peut plus se soustraire alors qu’il fuyait manifestement ses responsabilités et le moment du bilan.

Toutes les situations de crises sont l’occasion de faire face au réel. Notre situation actuelle ne déroge pas à la règle, situation qui aura permis à ceux qui le souhaitent, de prendre conscience de la condition réelle de l’Église. Situation actuelle qui aura permis d’apprécier la distance qu’il y a entre ce qui a été vécu de manière universelle, et ce que l’Église à donné à vivre, ainsi que la distance entre les enjeux pour les semaines à venir et les enjeux qui agitent nos communautés ecclésiales pour une grande majorité d’entre elles.

Parce que de nombreuses Églises s’étaient éloignées de l’Éternel, parce que de nombreuses Églises ne se demandaient plus quelle était la part essentielle de la vie qu’il s’agissait de faire connaître à nos contemporains et qu’il s’agissait de célébrer pour l’inscrire dans le temps, elles furent bien dépourvues lorsque la crise fut venue.

Que les choses soient bien claires entre nous : mon propos ne s’adresse nullement en premier lieu à votre Église locale qui, à travers son ministre du culte, a fait le travail, a répondu à sa vocation d’être interprète des signes des temps et porteurs d’une espérance divine pour notre monde. Grâces soient rendues à Dominique Hernandez. Mais les oracles transmis par le prophète Jérémie ont tout de même de quoi nous remettre en question : si nous mettons de côté quelques valeureux porte-paroles de l’Évangile qui furent théologiens pour toutes et tous en indiquant où discerner l’Éternel dans notre quotidien, quelle fut la réalité de nos Églises ces derniers mois ? Comment le sacerdoce universel s’est-il manifesté ? En quoi avons-nous été les acteurs d’une histoire marquée par la liberté et la solidarité vécues d’un point de vue universel et infini, la vie selon Dieu, quoi ? De quelle manière nos Églises ont-elles eu à cœur d’offrir à nos contemporains de quoi penser ce qui leur arriverait et matière à penser non seulement la cicatrisation des plaies familiales et sociales, mais la résurrection du désir de vivre, du désir de coopérer, du désir de rendre le monde infiniment plus vivable qu’il ne l’était jusque là ?

Ce n’est certainement pas facile pour l’Église, lorsqu’elle passe son temps à faire du divertissement religieux, de devoir faire face à une crise qui touche les corps, les esprits, les relations sociales et les situations économiques. Ce n’est certainement pas facile, pour les Églises qui ont fait du folklore spirituel leur fonds de commerce, de devenir immédiatement des foyers de réflexion théologique, des lieux où l’on enseigne, vraiment, l’humanité – des lieux où il est possible d’édifier une histoire commune qui touche au sacré.

Mais c’est certainement votre vocation, ici, d’être un point sur lequel prendre appui pour se relancer dans la vie, pour cesser de se rallier à ce qui est vain et finir par devenir soi-même vanité (v. 5). Et le faire de manière universelle. Non pas seulement prendre soin des personnes inscrites sur le fichier paroissial, mais avoir le souci du contemporain, du prochain que je n’ai pas coopté dans mon cercle familier, mais qui s’est présenté à moi comme un frère que je n’ai pas choisi.

En achevant ce procès par la sentence « ta méchanceté te châtiera et tes inconsistances te puniront », Jérémie indique comment comprendre la justice de Dieu. La justice divine ne consiste pas à faire valoir un esprit revanchard ; la justice divine consiste nous prodiguer ce qui nous est nécessaire pour faire quelque chose d’infiniment jouissif et juste de notre vie, sans que notre bonheur ne se construise aux dépens d’autrui. Les paroles de vie contenues dans la Bible sont un patrimoine de paroles à notre disposition pour orienter notre vie dans le sens d’une plus grande satisfaction. À chaque fois que nous négligeons cette grâce qui nous est faite, à chaque fois que nous laissons passer les occasions de faire valoir nos talents, de faire alliance avec d’autres personnes qui donneront plus d’allant, plus d’intensité à notre quotidien, nous devenons notre propre bourreau ; nous nous infligeons notre propre condamnation en ne portant pas notre vie à la hauteur de nos capacités ni à la hauteur des promesses qui nous sont faites. Alors, notre inconséquence nous châtie et notre inconsistance nous punit. Voyons justement en quoi consistent les promesses dont nous sommes les bénéficiaires.

2. Promesses

Ce texte biblique, s’il est dur vis-à-vis de ceux qui n’ont rien fait des paroles destinées à porter notre vie à son incandescence, n’en est pas moins porteur de promesses qui portent une espérance en germe. Toute critique porte en elle la trace d’une espérance, d’un autre ordre du monde. Dans le cas de Jérémie, l’évocation de l’exode hors de l’Égypte qui symbolise l’esclavage indique deux promesses toujours à l’œuvre pour les contemporains de Jérémie, toujours à l’œuvre pour nos contemporains et pour nous-mêmes.

Tout d’abord, il est question de la libération, cette action fondamentale par laquelle le peuple hébreu n’est pas resté captif d’une situation d’oppression. La promesse consiste dans le fait que la liberté demeure notre horizon en dépit du fait que nous soyons constamment enclins à nous soumettre à de nouvelles servitudes. La liberté reste notre horizon comme elle l’est restée pour le peuple hébreu en dépit du fait qu’il ait pris régulièrement le chemin du retour vers l’Égypte, vers l’Assyrie, de même qu’il nous arrive de sacrifier notre liberté sur l’autel de la sécurité, des crises, des urgences, de toutes nos inquiétudes légitimes. Notre responsabilité est de rappeler cette exigence de la liberté, cet impératif catégorique que nous ne devrions jamais céder en échange de quoi que ce soit. Quand les crises sont susceptibles de nous faire renouer avec la tentation de la servitude volontaire qui nous offre l’illusion du confort et de la tranquillité, notre responsabilité prophétique est de rappeler cet appel à la liberté qui ne cesse de retentir dans les textes bibliques au point d’en faire un marqueur de ce qu’est une vie authentique.

Ensuite, il est question d’être guidé, d’orienter sa vie, de lui donner du sens. Contre une attitude qui consiste à se ficher en terre, à se terrer, à ne plus donner aucun sens à son histoire – ce qui revient à épuiser l’histoire en désolant le pays, en le rendant désertique comme l’était le seuil de l’Égypte, ce qui revient à se faire brouter le dessus de la tête, pour reprendre la formule biblique (v. 16) – la promesse que réactive ce texte est que notre vie n’est pas dénuée de sens, elle n’est pas condamnée au chaos, à l’absurde. En disant que Dieu guide, et qu’il guidait dans la bonne voie (v. 17) lorsque le peuple décida d’en finir avec le chemin de liberté, ce texte biblique rappelle qu’il est toujours possible de donner à notre vie des impulsions dans le sens d’un plus à vivre, d’un plus à éprouver. Selon le mot de Vaclav Havel, « l’espérance ce n’est pas être convaincu que quelque chose finira bien ; c’est avoir la certitude que quelque chose a un sens et peu importe la manière dont cela finira. »

En période de crise, d’incertitude, de bouleversements, il est également de notre responsabilité d’offrir les moyens d’injecter du sens dans la vie quotidienne, de ne laisser personne errer aux vents mauvais. Il est de notre responsabilité de rouvrir les promesses contenues dans les textes bibliques et de les offrir, gracieusement, à tout un chacun, sans chercher à accaparer les consciences, sans escompter en tirer un bénéfice pour notre fichier paroissial ni pour nos finances.

Comment éviter que nos contemporains aient le goût de l’amertume (v. 19) dans la bouche ? En leur permettant de renouer avec l’Éternel, avec ce qui est fondamentalement juste d’un point de vue universel, ce qui ne nous causera aucun regret.

Conclusion

Le procès ouvert par Jérémie au nom de l’Éternel revient à déplorer une baisse d’exigence de ses contemporains à l’égard de ce que pourrait être une vie bonne, cette vie qui est marquée par la liberté et par le fait qu’elle ait du sens. C’est un procès très contemporain. C’est un procès que nous devons ouvrir nous-mêmes, non pour condamner qui que ce soit, mais pour libérer nos contemporains et nous-mêmes des esclavages modernes auxquels nous nous soumettons parfois sans nous en rendre compte, et pour donner les moyens de penser la vie, la vie en commun avec les proches et les lointains. En reprenant positivement le dernier verset de notre passage biblique, ayons en tête ce mot d’ordre : « Reconnais et vois que c’est une chose bonne et savoureuse de donner à sa vie le sens de ce qui a un caractère universel : c’est ce qui te donnera de la vie une passion semblable à celle des fiancés ».

Amen