Prédication du 16 novembre 2014

de Didier You

L’enfer

Lectures : Ezéquiel 32, 17-23, Matthieu 25, 14-30 (texte du jour), I Tim 2, 3-4

Chants : Psaume 42, 1-3-4-6 ; Cantiques 270, 1-3-4 ; 281, 1-3-4

 

INTRODUCTION

Permettez-moi deux citations cinématographiques. Dans L’Affaire des Poisons, d’Henri Decoin, l’abbé Guibourg, incarné par Paul Meurisse, prêtre défroqué, célébrateur de messes noires, prononce d’un ton pénétré : « Au terme de mes réflexions, je suis désormais convaincu que le Paradis est vide ». Plus récemment, dans un film de Xavier Durringer, un truand répète le titre du film : « J’irai au Paradis, car l’Enfer est ici ». Ces deux analyses contradictoires m’ont amené à me pencher sur une question fondamentale de toutes les religions, celle du salut de l’âme, ou plus généralement de l’au-delà. Évidemment, il ne peut s’agir que d’hypothèses. Comme le disait Shakespeare, décrivant le séjour des morts « ce pays dont nul voyageur n’a pu repasser la frontière ».

LES ENFERS ET L’ENFER

Dans les théologies antiques, et comme encore dans le judaïsme, l’au-delà existe. En général, les visions religieuses n’arrivent pas à concevoir le néant. Dès la Genèse, l’homme est poussière, et retourne à la poussière, mais l’homme couché avec ses pères, ne disparaît pas entièrement, et Jacob se soucie de ne pas être enterré en Egypte.

Dans la religion (si le terme religion convient) de l’Egypte antique, l’au-delà est réservé à ceux qui peuvent se payer un tombeau, et, après pesée de leurs âmes par Anubis, ces favorisés jouissent de la vie éternelle, avec leurs serviteurs, représentés sous forme de figurines.

Mais, tant dans les croyances gréco-romaines que babyloniennes, les enfers (étymologiquement « régions inférieures ») constituent un monde ouvert à tous, démocratique pourrait-on dire, où séjournent côte à côte bons et méchants. Les juifs, avec le « Chéol », ont repris cette conception. Il ne s’agit pas de récompense ni de châtiment. La divinité récompense ou châtie sur terre. C’est sur terre, lorsque l’on est vivant, que l’on doit se conduire de façon à être récompensé rapidement. C’est évidemment plus réconfortant, mais hélas souvent démenti par les faits. Les Romains, ainsi, vouaient des cultes aux divinités, pour voir survenir des événements favorables, mais non pour connaître le bonheur éternel.

Les morts, les « ombres » dans ce système vivent une éternité fort ennuyeuse, que l’on peut appeler un repos si l’on est optimiste, dans un endroit sinistre, mais non cruel. Souvenons-nous du film de Jean Cocteau, « Orphée », où les Enfers apparaissent comme un paysage de ruines où l’on se déplace au ralenti. C’est là justement que Orphée a tenté de récupérer Eurydice, là que Ulysse a retrouvé son père. C’est là que Samuel attend Saül après la victoire des Philistins. Le fait que le prophète Samuel puisse y retrouver le tyran Saül confirme que l’endroit est bien ouvert à tous, sans aucune notion de rétribution.

Et les enfers sont une prison dont on ne sort pas, même si par exception, les autorités autorisent une évasion sous condition (Eurydice, finalement, n’en sortira pas). Il est vrai que tout ceci n’est guère encourageant : Comme le dit Woody Allen, « l’éternité, c’est long surtout vers la fin ».

Cet aspect grisâtre, uniforme, a dû sembler insuffisant pour un phénomène aussi important. Et quelques exceptions sont remarquables : les prophètes Enoch et Elie, au lieu de descendre au monde inférieur, sont appelés vivants vers le Ciel.

Un aspect rétributif, et punitif, a aussi commencé à se faire jour. Esaïe et Ezéchiel, de façons un peu parallèles, nous racontent comment le Roi de Babel et le Pharaon ont été sanctionnés et envoyés au Chéol, « parmi les circoncis ». Peut-être la punition consiste-t-elle à traiter l’âme d’un tyran païen comme celle d’un Juif, ou plus précidément à le faire passer l’éternité au milieu de ses ennemis.

On va relever dans le Premier Testament une évolution s’éloignant de cette vision unique de l’au delà. On trouve ainsi d’un côté une « fosse » réservée aux méchants, un Enfer au singulier au milieu des Enfers, comme le Tartare des Gréco-Romains, un lieu de supplice pour les damnés, s’approchant de ce que nous appelons aujourd’hui l’Enfer.

Inversement, une vision plus heureuse de la vie après la mort apparaît dans le Premier Testament. Ainsi Daniel annonce que « beaucoup parmi ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront pour la vie éternelle et d’autres pour une réprobation éternelle ». On voit bien se dessiner l’opposition entre Enfer et Paradis. Mais il s’agit surtout de textes tardifs, et plus particulièrement de livres qui ne sont canoniques que pour nos amis catholiques, et que les Juifs et les protestants considèrent comme apocryphes : Tobie, les Maccabées, l’Ecclésiastique. Dans ces textes, on évoque la possibilité pour les justes, les martyrs, de quitter le Chéol, qui cesse ainsi d’être une prison perpétuelle.

Avec le Nouveau Testament et le christianisme, l’au-delà devient double : c’est le lieu de la récompense, le Royaume de Dieu, d’un côté, et le lieu du châtiment de l’autre. Je n’étudierai pas le Purgatoire, cher aux théologiens catholiques, mais qui n’a aucun fondement textuel, et a peut-être été inventé pour rassurer les « délinquants mineurs » ou « pécheurs véniels ».

Si Jésus, les évangélistes ou Paul ne décrivent guère le séjour des bons au Royaume de Dieu après la mort (on sait qu’ils sont assis aux côtés du Seigneur, mais c’est un peu vague), ils ne sont guère plus prolixes quant à l' »autre domaine ».

Matthieu et Marc parlent de « géhenne » ce qui signifie torture, de « feu qui ne s’éteint pas ». L’expression « pleurs et grincements de dents » revient souvent, placée dans la bouche de Jésus.

L’auteur de l’Apocalypse est à peine plus précis : « L’étang de feu où brûle du souffre », et où le Diable, la Bête et le faux prophète seront torturés pour l’éternité.

Dans cette nouvelle conception d’un Enfer voué à la punition éternelle, sont ainsi condamnés des monstres irrécupérables, tels le Diable ou la Bête, le Dragon ou les anges de Satan, mais aussi de simples imprudents, les « vierges folles », des tièdes (que Dieu vomit comme chacun sait), ceux qui, selon Matthieu ou Paul négligent de guetter l’arrivée du voleur ou du maître de maison, ou le serviteur qui n’a pas songé à faire fructifier son talent, comme dans la parabole des Talents que je vous ai lue tout à l’heure. On voit que l’éventail des damnés est vaste.

Même Jésus y séjourne, brièvement bien sûr, si l’on en croit Paul (Epître aux Ephésiens) et le Symbole des Apôtres. Mais il faut noter que dans les deux cas, c’est le pluriel qui est utilisé, pluriel distinguant ainsi le monde neutre de la mort du lieu du châtiment, même si les deux se recoupent, ou si l’Enfer apparaît comme une simple partie des Enfers.

La question qui peut se poser est alors le rôle du Diable : apparemment, il est lui-même envoyé là pour souffrir son châtiment. Dans une vision due à la Tradition, il apparaît parfois comme le maître des lieux. C’est que, pour torturer les damnés, il faut bien qu’il y ait des tortionnaires, des entités cruelles, commandées par un maître impitoyable.

A partir de ces indications éparses s’est développée toute une imagerie, une « vision d’enfer », détaillée par Dante, Bosch, etc. mais qui va beaucoup plus loin que ce qu’ont esquissé les auteurs du Nouveau Testament. Nous ne croyons plus guère à tout cela, à la lettre, mais peut-être n’est-ce là qu’une façon de concrétiser le fait de ne pas être admis au Royaume.

LE SALUT ET LA DAMNATION

Revenons maintenant aux questions posées par les personnages des films cités au début de notre exposé : Qui mérite l’enfer, qui mérite le Paradis ?

Réponse classique du Moyen-âge catholique : On acquiert le Salut par les Bonnes Œuvres, … le repentir, … l’absolution, … les indulgences.

La révolution protestante, initiée par Luther, a défini un critère : la Grâce. Dieu sauve gratuitement les hommes, indépendamment de leurs œuvres. Mais lesquels sauve-t-Il ? Ceux qui sont justifiés par la foi.

Calvin, allant encore plus loin, à moins que ce n’ait été pour lui une façon de botter en touche, a élaboré la théorie de la prédestination : Dieu, selon son dessein mystérieux a décidé de tous temps qui était prédestiné au Salut ou à la damnation. Cette analyse extrémiste a parfois été adoucie par des théologiens ultérieurs. Mais je n’ai pas l’ambition, ni les compétences, pour argumenter sur la théorie de la prédestination, de la double prédestination conditionnelle, etc.

Donc, les textes nous parlent du châtiment éternel pour ceux qui ont commis le mal, ou du moins un mal extrême. Et le XXème siècle en donne des exemples. Le XXIème ne semble pas en voie d’inverser la tendance.

L’enfer, tel qu’envisagé par la Bible, a une signification profonde, même si nous ne nous reconnaissons plus dans le folklore des chaudrons et des fourches. Il signifie que l’on ne bafoue pas impunément les règles de la Justice et de l’Amour. Les grands scélérats ont des comptes à rendre.

Avec des modes d’expression liés à l’époque de leurs rédactions, ces notions d’enfer, de châtiment, correspondent à un besoin éternel de l’être humain, l’aspiration à la Justice, appelons-cela une éthique.

Toutefois, l’idée d’un Dieu appliquant à une faute humaine, donc limitée, un châtiment éternel, apparaît monstrueuse. Ce châtiment a tout d’une cruauté gratuite.

Dès le IIème siècle, Justin Martyr et Origène écartent la damnation, ne retenant que la mort et le néant pour les méchants. Saint Augustin, au Vème siècle, est même allé jusqu’à considérer – un peu vite – que la plupart des théologiens ne croyaient plus au caractère éternel de la sanction.

Rappelons que le Christ recommande de pardonner 77 fois 7 fois, c’est à dire sans limite. Dieu serait-il incapable de faire ce que le Christ exige des hommes ?

Et puisque Paul nous rappelle que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », disons-le clairement, après Georges Marchal, qui fut pasteur ici, et m’a baptisé et confirmé (!) : un seul homme en Enfer, ce serait la défaite de Dieu et le triomphe de Satan.

C’est cela la Grâce, c’est le salut gratuit pour « tous les hommes ». Comme le berger de la parabole rapportée par Luc, Dieu n’a de cesse de retrouver la brebis perdu. Et donc, d’aller jusqu’en enfer si il le faut pour la récupérer.

Parce qu’il y a plus que la Justice, il y a aussi et surtout l' »agapé », mot grec que l’on traduit par « amour », « charité », et donc l’Amour de Dieu, valeur supérieure à la simple Justice.

Alors, évidemment, il y a une objection qui saute aux yeux : le pasteur Oberkampf, ici même, dénonçant la devise du mensuel Evangile et Liberté « Tous les hommes sans exception, sont enfants de Dieu », s’indignait que Hitler ou Pol Pot puissent être « enfants de Dieu » et donc dignes du Salut. Notre pasteur, Vincens Hubac, rappelait qu’il faut se résigner, dans le Royaume, lorsque nous y parviendrons, à côtoyer Hitler ou un serial killer.

Il ne peut y avoir d’exceptions : l’Enfer est nécessairement désert, ou l’Amour de Dieu ne veut rien dire.

Je ne prétends pas vous expliquer par quelle « opération du Saint Esprit », dans son bunker, alors que ses fidèles incinèrent son cadavre, Hitler a pu subitement mériter de rejoindre ses victimes auprès de l’Eternel. Mais je ne vois pas comment Dieu pourrait envoyer aux flammes éternelles quelqu’être humain que ce soit.

C’est une fois de plus l’application de la belle devise du pasteur Wagner, fondateur du Foyer de l’Âme : l’Homme est une espérance de Dieu. Et aucun homme n’a le pouvoir, en eût-il la volonté, de désespérer Dieu.

Amen