Prédication du 22 avril 2018

de Didier You

La chute de Ninive

INTRODUCTION

J’ai eu l’occasion de le dire déjà : la Bible, ce n’est pas les Bisounours … Pour certains athées ou incroyants (voire hélas pour certains croyants), la religion est un instrument totalitaire d’oppression et de conquête. Pour d’autres incroyants ou croyants même, c’est de la mièvrerie. On pense que c’est « aimez votre prochain », « tendez l’autre joue », donnez aux œuvres, « faites votre BA ». Bref, c’est de la morale, de la gentillesse, des bons sentiments ou de l’angélisme. Le texte de Nahum démontre que c’est très différent. La Bible ne ferme pas les yeux devant les réalités du monde, même les plus choquantes. En relisant ces passages, j’ai songé à « Alexandre Nevski » d’Eisenstein ou à « Ran » de Kurosawa : le fracas des armes, les massacres d’enfants, les galopades, les coups d’épée, le sang qui gicle, le pillage.

Un prédicateur, même occasionnel, se doit aussi d’affronter des textes de ce genre. Et il faut en dégager quelque chose d’évangélique, de réconfortant. D’ailleurs, bizarrement, le nom du prophète, Nahoum, signifie « le consolé ». Vous avez remarqué qu’à un moment l’auteur se demande où seront les « consolateurs » justement.

Alors, je vais essayer d’aller dans ce sens et de trouver les consolateurs. D’abord avec un petit rappel historique, puis en voyant en quoi Ninive a encouru la colère de l’Éternel, et enfin en étudiant, dans le texte, où pouvaient se trouver des moyens d’échapper au désastre.

RAPPEL HISTORIQUE

Si vous vous souvenez de vos études secondaires, Ninive fut la dernière capitale de l’empire assyrien. Un puissant empire, remontant au IIème millénaire, au temps d’Hammourabi. Assurbanipal y construisit une fabuleuse bibliothèque (on a retrouvé 25.000 tablettes gravées de caractères cunéiformes). La ville devait être grandiose : la Bible nous dit que Jonas mit 3 jours à la traverser à pied. C’est peut-être un peu exagéré… La conversion de la cité par Jonas est sans doute purement légendaire, puisque Nahoum au contraire dépeint ses turpitudes et sa fidélité à la déesse Astarté ou Ishtar. C’était aussi un empire cruel et conquérant, comme tout empire. On lui doit l’invention de la terreur comme arme de guerre.

Ninive est tombée en 612 avant J.C., sous les coups du Roi de Babylone. Il faut noter que le récit de Nahoum est bel et bien une prophétie. Il est rédigé avant la chute de la ville. C’est un des rares textes du Premier Testament aisé à dater puisque l’auteur évoque dans un passage que je n’ai pas lu, la prise de Thèbes (en Egypte), par Assurbanipal, roi d’Assyrie, en 667. C’est donc entre ces deux dates – 667 et 612 avant J.C. – que Nahoum écrit et appelle sur Ninive le sort funeste qui fut celui de Thèbes.

Ironies de l’Histoire : L’Assyrien Assurbanipal a conquis Thèbes avec ses alliés, parmi lesquels il y avait Manassé, roi de Juda. Et donc, pour ce qui est de la géopolitique, on peut noter que le jeu des alliances a changé après la chute de Thèbes, puisque cette fois l’auteur juif dénonce les méfaits de Ninive, l’ancienne alliée. Puis Nabopolassar, roi de Babylone, prend Ninive en 612 et porte ainsi le dernier coup à l’empire assyrien. Le fils de Nabopolassar, Nabuchonodosaur (bien connu aussi des amateurs d’opéras), lui, prendra Jérusalem, en 587, donc 25 ans après la chute de Ninive. Il détruira le Temple de Salomon et déportera les élites juives à Babylone. Encore un peu plus tard, Babylone à son tour tombera sous les coups des Perses en 539, et Cyrus autorisera les Juifs à rentrer en Judée.

Les empires sont mortels. C’est peut-être déjà une première morale consolatrice à tirer de ce texte. Face aux tyrannies, il y a toujours l’espoir d’une délivrance.

Encore une petite leçon, moins souriante, à en tirer. La visite des ruines de Ninive est vivement déconseillée de nos jours. Elles se trouvent en Irak actuel, près de Mossoul.

Éternelle folie guerrière des hommes.

LES FAUTES DE NINIVE

Évidemment, ce n’est pas l’Éternel qui a détruit Ninive comme il a détruit lui-même en des temps mythologiques Sodome et Gomorrhe. Ce sont des armes humaines qui ont remporté la victoire. Mais Nahoum attribue ces faits à la colère divine.

Il n’est pas très explicite quant aux péchés des Assyriens. Ce sont plutôt des imprécations contre « la prostituée qui asservissait les nations par ses débauches et ses sortilèges », « Une ville sanguinaire pleine de fraudes et d’escroqueries ». Et bien sûr, il y a le culte d’Astarté, péché absolu pour un Juif monothéiste.

Nous ne sommes pas polythéistes, nous n’adorons pas d’idoles, nous ne risquons pas la colère de l’Éternel. Est-ce bien sûr ? Au catéchisme, le pasteur Marchal nous montrait une idole : un porte-monnaie ! Chaque année 3.000 vies humaines de SDF, au moins, qui meurent dans nos rues, sont sacrifiées en France sur les autels d’idoles plus cruelles qu’Astarté, qui ont nom Équilibre budgétaire, Redressement de la France.  C’est ainsi que parlent nos nouveaux sacrificateurs.

Ninive a fauté, comme nous peut-être aussi. Elle s’est enfermée, préparant ses défenses. Elle a fait primer le pouvoir économique et commercial, dans une version pervertie de ces pouvoirs. Les Ninivites ont dû ramasser les grains, les raisins, les olives tombés, au lieu de les laisser aux migrants, aux veuves et aux orphelins.

La symbolique biblique habituelle peut nous permettre d’y voir plus clair.

L’eau, par exemple. Elle est nécessaire à la vie. Mais Ninive la stocke dans ses réservoirs au lieu de la laisser couler comme un fleuve. On sait l’importance symbolique du fleuve, du Jourdain dans le Livre. Et ces réservoirs se mettent à fuir. A Ninive, on a thésaurisé en vain l’eau, la vie, les ressources naturelles.

C’est que le mal vient de l’intérieur de Ninive. Ses habitants sont comparés à des lions, à des sauterelles. Les sauterelles, comme dans l’Exode, sont une punition un fléau qui d’habitude vient de l’extérieur pour frapper l’Égypte. Ici, les sauterelles, ce sont les Assyriens eux-mêmes, des « commis-voyageurs », des commerçants avides.

Il en est de même pour les lions. Les Assyriens sont identifiés à des lions qui emplissent leurs tanières du fruit de leurs rapines et de viandes dépecées pour nourrir leurs petits que « l’épée » va dévorer. L’épée, dans la Bible, est une image de la Parole de Dieu qui tranche, qui sépare le Bien du Mal.

Ninive est victime de sa propre méchanceté, de son égoïsme, de ses débauches. Ce sort nous guette-t-il aussi ?

LES REMÈDES

Heureusement, Nahoum évoque quelques possibilités de salut, en décrivant dans les derniers versets quelques manques, quelques absences, et donc a contrario quelques solutions.

Les bergers sont assoupis. Les vaillants capitaines sont « bien installés » ou « immobiles » dit une autre traduction. Et le peuple est dispersé. C’est cette situation qui a causé la catastrophe. Le berger, le vaillant capitaine et le rassembleur sont défaillants.

Les bergers : Point n’est besoin d’insister sur l’importance de l’image du berger. Bien sûr, tout cela se déroule dans des civilisations agraires de petit élevage. Mais c’est aussi l’image de la générosité, de l’altruisme. Le berger, c’est celui qui s’occupe des plus petits, de la brebis qu’il faut aller chercher. David gardait les moutons. Ce sont des bergers qui sont les premiers à arriver à la crèche pour saluer l’enfant Jésus. Et je vous ai lu dans l’Évangile selon Jean la parabole du bon berger, Jésus, qui donne sa vie pour les brebis, au contraire du mercenaire, qui lui ne travaille que pour l’argent.

Le vaillant capitaine, c’est l’homme d’action, et on peut s’étonner de voir dans un texte biblique vanter les mérites du militaire, même si ces nations sont en guerre. Mais c’est aussi celui qui sait voir plus loin que la réalité immédiate, celui qui connaît la stratégie, qui a le pouvoir d’agir, d’aller de l’avant de façon dynamique. C’est le centurion qui comprend soudain que l’homme que l’on vient de crucifier est « le fils de Dieu ». Pierre et Paul auront l’occasion de rencontrer de tels centurions, qui leur seront bénéfiques. Corneille ouvrira l’esprit de Pierre. Julius sauvera Paul lors du naufrage au large de Malte.

Et il faut être rassemblés. Tous nos politiciens prônent le « rassemblement » de leurs familles politiques. Mais il faut entendre, le rassemblement autour d’eux-mêmes et de leurs clans étroits. Ce n’est pas un rassemblement cela, c’est un ralliement. Vous avez noté que Nahoum parle des « sergents-recruteurs » pareils à des essaims de criquets qui se posent sur les haies et disparaissent au premier rayon de soleil. Ce n’est pas un vrai rassemblement non plus. Un sergent-recruteur n’est pas un rassembleur au sens véritable.

Le rassembleur ne peut être que Dieu, celui qui nous demande de le suivre, mais pas pour son profit, au contraire pour nous entraider. Pour vaincre l’égoïsme, la peur, l’immobilisme. C’est Jésus qui « rassemble les brebis » , même celles qui sont « d’un autre enclos » comme dans le passage de Jean que je vous ai lu. Nahoum nous dit pourtant que l’Éternel est un « dieu jaloux ». La formule est fréquente dans la Bible, surtout dans le Premier Testament. Et elle est censée effrayer celui qui serait tenté de ne pas suivre Dieu. Ne peut-on voir l’expression sous un autre angle ? Dieu est jaloux, certes, comme quelqu’un qui aime, et qui aime d’un amour fou, total, infini. Et c’est nous qu’il aime.

CONCLUSION

C’est donc l’Éternel qui nous rassemble. L’Éternel qui est bon, Nahoum le rappelle, c’est d’ailleurs un peu étonnant si l’on lit ce qui suit cette affirmation. « Ninive est détruite, quiconque apprend de ses nouvelles applaudit » dit le prophète. Qui la plaindra ? demande-t-il. Et bien, Dieu qui est là, toujours, du côté des victimes, des assassinés, des pauvres, malgré leurs fautes, leurs péchés. « Où chercherai-je des consolateurs ? » Demande le prophète. C’est de nous qu’il s’agit, même si ce n’était peut-être pas l’intention du prophète. Nous, 2.600 ans plus tard, qui devons être des « consolateurs », compatissants, bien éveillés, rassemblés, prêts à agir, et pleins de bienveillance, de l’amour du prochain.

Amen

Chants : Temps de Pâques ; Psaume 23 ; Cantiques 219 et 223