Prédication du 26 décembre 2021

de Dominique Hernandez

La consolation

Lecture : Luc 2, 25-38

Lecture biblique

Luc 2, 25-38

25 Or il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux ; il attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit saint était sur lui. 
26 Il avait été divinement averti, par l’Esprit saint, qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. 
27 Il vint au temple, poussé par l’Esprit. Et, comme les parents apportaient l’enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qui était en usage d’après la loi, 
28 il le prit dans ses bras, bénit Dieu et dit :

29 Maintenant, Maître, tu laisses ton esclave s’en aller en paix selon ta parole.

30 Car mes yeux ont vu ton salut,

31 celui que tu as préparé devant tous les peuples,

32 lumière pour la révélation aux nations et gloire de ton peuple, Israël.

33 Son père et sa mère s’étonnaient de ce qu’on disait de lui. 
34 Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : Celui-ci est là pour la chute et le relèvement de beaucoup en Israël, et comme un signe qui provoquera la contradiction 
35 — et, toi-même, une épée te transpercera — de sorte que soient révélés les raisonnements de beaucoup.

36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge. Après avoir vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité, 
37 elle était restée veuve ; âgée de quatre-vingt-quatre ans, elle ne s’éloignait pas du temple et prenait part au culte, nuit et jour, par des jeûnes et des prières. 
38 Elle aussi survint à ce moment même ; elle louait Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la rédemption de Jérusalem.

Prédication

Il est rare de lire dans les évangiles autant de détails sur des personnages que nous pouvons en lire au sujet de Syméon et d’Anne. Ces deux figures, qui se tiennent seulement à cet endroit de l’œuvre de Luc, sont riches de précisions qui tracent deux précieux portraits de croyants pour interpréter dans les deux sens du terme notre propre existence devant Dieu.

Syméon est l’homme qui attend, mais il est d’abord l’homme qui écoute, c’est ce que signifie son nom : il écoute. Luc ne nous laisse pas hésiter : Syméon vit à Jérusalem, la ville du Temple là où se déroulent les grands et les petits événements de la foi du peuple et des personnes, là où diverses prescriptions de la Loi sont accomplies, là où la présence de Dieu est reconnue. L’écoute de Syméon s’inscrit là, en écoute de Dieu.
Syméon est un homme juste et pieux : toute une manière de vivre en deux mots. 

La justice dit que Syméon oriente toute son existence selon la Parole de vie qui résonne au cœur et à la conscience de chacun en discernant ce qui est bon et ce qui ne l’est pas sans se croire maître du bon. Car la justice que Syméon met en œuvre ne s’enracine pas dans une compréhension mondaine de la justice mais dans celle de Dieu, dont témoignent les Écritures et particulièrement les prophètes. 

La piété dit le soin que Syméon apporte à sa relation à Dieu, c’est-à-dire à sa foi, du soin, du temps, de l’attention car la foi ne va pas de soi, elle s’entretient, s’approfondit, se transforme, et reste ainsi vivante sans s’endormir dans la routine, sans s’éteindre par manque de nourriture. 

Cependant sa justice et sa piété, parce qu’elles sont véritables justice et piété ne sont pas suffisantes à Syméon ; il attend encore, il manque encore de ce qui ne peut venir de lui, de ce qu’il ne peut atteindre par lui-même et qui est dans le vocabulaire de Luc consolation et salut. Alors Syméon veille sur ce manque, il veille à ne pas le combler, à ne pas l’oublier. Donc Syméon écoute : il se tient à l’écoute de l’Esprit, l’énergie créatrice selon le premier chapitre de la Genèse, l’Esprit saint que Luc mentionne par trois fois en trois lignes, nous sommes bien avisés !
Mais aussi, Syméon vit parmi son peuple, pas à l’écart mais au milieu, avec tous : il écoute aussi ce qui bruisse autour de lui et qu’il peut également éprouver : le joug de l’occupation romaine, l’aspiration à la liberté, l’attente messianique… Syméon ne se sépare pas de son peuple : il attend la consolation d’Israël, non pas la sienne seulement mais celle de tout le peuple. Il s’inscrit dans un ensemble, un collectif, un commun dont il entend et dont il partage la souffrance et l’espérance.
Ne sommes-nous pas nous aussi participants à un ensemble aux dimensions de l’humanité entière, dimension universelle, humanité qui souffre collectivement, même si c’est de manière inégale depuis presque 2 ans que la pandémie s’est déclarée, une humanité qui souffre également de maux récurrents d’injustice et de violence et qui est en proie à de nouvelles menaces et perturbations provoquées par la crise climatique ? La solidarité avec celles et ceux qui nous entourent et avec l’humanité entière, à l’image de celle de Syméon avec le peuple d’Israël, même si elle ne peut parfois s’exprimer que par la prière, la solidarité tient en éveil, en vigilance, en in-quiétude du monde, pour le monde, ainsi qu’en présences compatissantes et espérantes lorsque l’espérance vient à manquer autour de soi.

Lorsque l’Esprit Saint pousse Syméon au Temple, Syméon écoute, déjà averti qu’il verrait de son vivant le Christ du Seigneur.

Anne aussi se rend au Temple ou peut-être y est-elle déjà, puisqu’elle ne s’en éloigne pas. Vieille dame de 84 ans, veuve après 7 ans de mariage, Luc joue avec le chiffre 7, chiffre de plénitude, puisque 84 c’est 12 fois 7. La plénitude qui caractérise le personnage de Luc est également inscrite 

dans son nom car Anne signifie « grâce » en hébreu,
dans le nom de son père Phanuel c’est-à-dire « face de Dieu » comme une relation  de foi soutenue,
dans le nom de sa tribu Aser qui évoque aussi bien le bonheur que le fait d’avancer (ce pourquoi André Chouraqui traduit dans les béatitudes le mot heureux par l’expression dynamique d’en marche),
dans l’Esprit qui fait d’elle une prophétesse,
et dans le temps qu’Anne passe au Temple, au culte, qui n’est pas seulement un événement une fois par semaine, mais une manière de vivre, comme la justice et la piété de Syméon, une manière de vivre en rendant grâce, en gratitude, en faisant des heures, des relations et de chaque circonstance de vie une forme de prière

Il ne faudrait pas en conclure que Luc dresse un portrait idyllique car Anne est veuve, sans mention d’enfant, ce qui la laisse socialement extrêmement vulnérable.

Voici donc ces deux croyants âgés, ces deux vieux pratiquants, mais pas désabusés, qui voient le Sauveur, ce jour dans le Temple, en cet enfant amené par son père et sa mère afin d’accomplir les prescriptions de la Loi. Les autres personnes présentes dans le Temple ne voient certainement qu’un enfant amené par son père et sa mère afin d’accomplir les prescriptions de la Loi. Une scène tellement courante et anodine que c’est à peine si on y prête attention. Des parents qui font ce qui doit être fait selon la Loi, il n’y a là rien d’extraordinaire.

Ce que font comprendre ces deux figures de Syméon et d’Anne, c’est que ce qu’elles représentent de piété et de justice, c’est-à-dire d’orientation de vie devant Dieu avec persévérance, s’incarne dans la vie quotidienne, hier comme aujourd’hui, à Jérusalem comme à Paris. C’est dans le quotidien qu’il nous est possible de voir autre chose que les apparences, qu’il est possible de voir dans une naissance l’advenue d’un monde nouveau, de voir dans l’obéissance à un rite l’ouverture vers une foi renouvelée. Cela est le fruit de l’Esprit Saint, l’œuvre de l’Esprit en un homme, une femme, œuvre qui éclaire autrement le regard et l’intelligence, et donne à de petits événements du quotidien un goût de grâce, l’éclat d’un signe du Royaume.
Alors de Syméon et d’Anne s’élèvent des louanges 

et pourtant tout n’est pas idéal pour eux, l’âge, la fragilité…
et pourtant ce que l’Esprit Saint inspire à Syméon au sujet de cet enfant n’évoque pas une marche triomphale
et son avertissement à Marie annonce un tranchant et une souffrance.

Et pourtant c’est une louange qui s’élève, de même qu’au culte, la louange suit la proclamation de la grâce et invocation qui ouvrent la célébration, et cela quelles que soient les situations collective ou personnelles, même dans les malheurs et les difficultés, même quand il n’y a pas de visibilité sur les temps qui viennent.
Car ce qui suscite la louange, c’est que le salut est venu : cet enfant que Syméon tient dans ses bras est né, et depuis cette naissance, le salut est venu. Les pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité n’y changent rien et les plus éprouvantes d’une histoire singulière non plus. Cette puissance mobilisatrice et transformatrice appelée salut ne dépend pas des événements, mais du Christ de Dieu. Le petit enfant dans les bras de Syméon est ce salut déjà né, déjà donné et en qui est inauguré une nouvelle existence, salut qui ouvre un nouvel avenir pour celui ou celle qui le reçoit en une ouverture d’âme et d’esprit à l’Esprit de Dieu et à l’œuvre de Dieu en lui, en elle.
La louange célèbre ce don, reprise ensuite dans le culte par la confession de foi : ma raison de vivre est en Dieu, profondément, à la racine de mon existence, et de manière ultime. Louange et confession de foi traduisent une dynamique d’intégration de l’être, vers une plénitude d’être, ou même comme une plénitude d’être pour Syméon et Anne et tous ceux qui louent et confessent leur foi : espérance, foi, louange, existence, tout cela réunit dans l’Esprit, ce qui permet de se tenir dans tout le reste du temps.

Louange, confession de foi, et bénédiction. Bénédiction de Dieu, de l’enfant et de ses parents par Syméon. Une bénédiction qui ne fait pas l’économie des difficultés que soulèvera l’Évangile puissance de salut incarné par l’enfant de Marie et de Joseph. Les contradictions précèdent les oppositions qui annoncent la Passion. Le signe qui provoque la contradiction et la contestation indique aux disciples de tous les temps que l’horizon nouveau n’est certainement pas celui d’une conquête de l’humanité
Chute et relèvement sont une manière de condenser un parcours d’une même existence qui n’est jamais complètement linéaire, égal.
Quant au glaive qui transpercera l’âme de Marie, ce peut être aussi bien la mort de son fils sur la croix que la séparation opérée à l’intérieur du peuple d’Israël par celui qui est né de son ventre de femme juive et qui sera rejeté par une grande partie des siens ou encore la séparation du peuple juif de ceux qui suivront le fils de Marie malgré la croix et après Pâques.

Louange, foi, bénédiction : Syméon a vu ce qu’il attendait, la consolation d’Israël. Consolation qui traverse les Écritures hébraïques 

par le moyen de noms : Noé, Néhémie, Nahum,
par l’intermédiaire de prophètes, particulièrement le livre du prophète Ésaïe dont une des parties est souvent appelé le livre de la consolation car il commence par cette exhortation : Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu, parlez au cœur de Jérusalem, dites-lui que son esclavage a pris fin (Es 40,1). La consolation comme annonce du retour d’exil, annonce de la libération, la consolation comme une eau de pluie bienfaisante sur une terre desséchée, la consolation comme une forme particulière de grâce et de justification de l’être, un acte de profond amour, la consolation comme action créatrice de l’Esprit Souffle de Dieu.

La consolation est aussi présente dans le Nouveau Testament, par exemple dans l’évangile de Jean, qui donne à l’Esprit ce nom parfois traduit aussi par le défenseur ou l’avocat. Il est le paraclet : le consolateur promis aux disciples par Jésus s’apprêtant à quitter les siens. Un Esprit consolateur qui ne laissera pas les disciples seuls et démunis.
Ainsi nous comprenons que la consolation du monde ne passe pas par d’autres voies que les disciples, par celles et ceux qui dans l’Esprit Souffle de Dieu louent et bénissent.
Car celui qui est consolé devient consolateur, ce qui n’est pas lénifiant, mais aimant et encourageant, et sans facilités, pour apporter dans l’épaisseur des routines, dans l’incertitude des temps, dans le poids des décisions, dans l’obscurité des détresses ou le désespoir des solitudes à la fin d’une année éprouvante, à l’orée d’une année dont nous ne savons pas ce qu’elle sera, apporter une parole, une présence de consolation.