Prédication du 6 juillet 2025
de Catherine Axelrad
La conversion de Pierre : Dieu n’est pas partial
Lecture : Actes 10, 17-36 et 43-48
Introduction
Nous allons poursuivre aujourd’hui la réflexion commencée dimanche dernier avec le récit de la transformation du pharisien juif Saul en l’apôtre Paul. Aujourd’hui notre lecture du chapitre 10 des Actes des Apôtres, donc tout de suite après le récit de la conversion de Paul, manifeste également le rôle de l’Esprit dans la naissance de l’Église ; comme dimanche dernier, l’Esprit est bien présent, même si, comme dimanche dernier, il n’agit peut-être pas exactement de la manière décrite par Luc. Commençons par un point de géographie : l’histoire que nous allons entendre et commenter se passe entre deux villes de la côte, qui existent encore aujourd’hui : Césarée et Jaffa, alors appelée Joffé. Césarée, ville romaine comme son nom l’indique, est au bord de la mer ; aujourd’hui c’est un site touristique connu surtout pour ses monuments (temples, amphithéâtre…) ; Joffé est aussi au bord de la mer, le long de la côte, mais plus bas sur la carte, à environ 50 kms au sud de Césarée ; aujourd’hui Jaffa c’est le port de Tel Aviv, mais c’est un port très ancien : Il en est question dans l’AT, puisque c’est de là que d’après le texte biblique, le prophète Jonas aurait pris un bateau pour échapper aux ordres de Dieu. Et plus tard, Pierre ira de Joffé à Jérusalem, qui est à l’intérieur des terres. 50 kms environ le long de la côte entre Joffé et Césarée, 50 kms vers l’intérieur des terres pour aller de Joffé à Jérusalem. Il faut également rappeler qu’au moment où est située cette histoire, tous les chrétiens sont encore d’origine juive : les premières communautés chrétiennes sont des communautés judéo-chrétiennes, des communautés de juifs qui se sont convertis au Christ – des hommes que le texte appelle souvent des « circoncis convertis ». Comme le texte est très long, je vous résume le début de l’histoire :
Il s’agit d’un officier romain nommé Corneille, un centenier qui est en poste à Césarée ; il fait donc partie de la légion « italique », celle qui occupe la Judée (6000 hommes) ; il fait partie de ceux que les juifs appellent les « craignant Dieu » : il prie l’Eternel, il aide les populations locales et il leur fait l’aumône. Il cherche Dieu depuis longtemps, a peut-être entendu parler du Christ mais le texte ne le précise pas. C’est un officier romain qui aime le peuple juif et qui essaie de l’aider (ce qui doit être assez rare car la Palestine n’est pas forcément une destination peu recherchée par les soldats romains). Et voilà que ce Corneille a une vision (vue et audition) : au début du chapitre, sans lui dire pourquoi, un ange lui ordonne de faire venir un certain Simon appelé Pierre. Non seulement Corneille ne pose pas de question, mais il obéit immédiatement et envoie deux domestiques et un soldat à Joffé ; donc une bonne journée de marche.
Le lendemain, donc pendant que ces personnes sont en route, Pierre lui-même, qui n’est encore au courant de rien, est monté sur la terrasse de la maison où il est hébergé à Joffé. C’est bientôt l’heure de déjeuner, Pierre commence sans doute à avoir faim, mais le repas n’est pas prêt et en attendant il s’est mis à prier. Il contemple le ciel ouvert, et voilà qu’il a une vision, lui aussi – une extase : il voit une grande toile tendue à plat dans les airs, comme une nappe, couverte d’animaux bons à manger ; de la volaille, des reptiles, des mammifères – peut-être même des porcs, qui sait, même si bien sûr le texte ne le précise pas. Et pendant qu’il regarde avec horreur tous ces animaux, il entend une voix céleste qui lui ordonne de tuer ces bêtes et de les manger. impossible : tous ces animaux, ce sont ceux qu’il est absolument interdit de manger dans la religion juive. Le livre du Lévitique est rempli de ces interdits, on les trouve en particulier au chapitre 11 ; depuis des siècles, ces aliments sont considérés comme immondes et impurs. Alors quand Pierre entend la voix céleste lui dire de manger, il proteste, il dit « Jamais, Seigneur, car de ma vie jamais je n’ai rien mangé d’immonde ni d’impur » – mais là, stupeur : au lieu de le féliciter, la voix lui fait des reproches : « Ce que Dieu a rendu pur, ce n’est quand même pas toi qui va le déclarer impur ! » Remarquez bien la précision, les aliments précédemment considérés comme impurs ont été purifiés par Dieu lui-même dans la nouvelle alliance. Et la scène se répète trois fois, et Pierre n’y comprend rien – et quand il reprend ses esprits et se retrouve sur la terrasse, il n’y comprend rien non plus. Mais ce n’est que le début d’une histoire magnifique – une histoire fondamentale, une histoire dont on a entendu les débuts dimanche dernier avec la conversion de Paul, une histoire qui va bousculer les communautés judéo-chrétiennes et permettre la naissance de l’Église universelle.
Lecture biblique
Actes 10, 17-36 et 43-48
17 Pierre [vous vous rappelez qu’il était à Joffé, sur la terrasse de la maison] était perplexe sur le sens de la vision qu’il avait eue. C’est alors que les hommes envoyés par Corneille, après s’être renseignés pour trouver la maison de Simon, survinrent à la porte d’entrée ;
18 ils appelèrent et demandèrent si c’était là que logeait Simon surnommé Pierre.
19 Comme Pierre réfléchissait à la vision, l’Esprit lui dit : Il y a là trois hommes qui te cherchent;
20 descends et pars avec eux sans la moindre hésitation, car c’est moi qui les ai envoyés.
21 Pierre descendit donc et dit aux hommes : C’est moi que vous cherchez ; pour quel motif êtes-vous ici ?
22 Ils répondirent : Le centenier Corneille, un homme juste, craignant Dieu et de qui toute la nation des Juifs rend un bon témoignage, a été divinement averti par un saint ange : il doit te faire venir chez lui pour t’entendre.
23 Alors il les fit entrer et les logea.
Le lendemain, il se leva et partit avec eux. Quelques frères de Joppé l’accompagnèrent.
24 Il arriva à Césarée le jour suivant. Corneille les attendait et avait appelé chez lui ses amis et les gens de sa parenté.
25 A l’arrivée de Pierre, Corneille, qui était allé à sa rencontre, tomba à ses pieds et se prosterna.
26 Mais Pierre le releva en disant : Lève-toi ; moi aussi, je suis un être humain.
27 Tout en conversant avec lui, il entra et trouva beaucoup de gens réunis.
28 Il leur dit : Vous savez qu’il est interdit à un Juif de se lier avec un étranger ou d’entrer chez lui ; mais Dieu m’a montré qu’il ne fallait dire d’aucun homme qu’il est souillé ou impur.
29 C’est pourquoi, quand vous avez envoyé quelqu’un me chercher, je suis venu sans aucune objection ; je vous demande donc pour quelle raison vous m’avez fait venir.
30 Corneille dit : Il y a maintenant quatre jours, je priais chez moi, à la neuvième heure ; soudain un homme en habit resplendissant s’est présenté devant moi
31 et a dit : Corneille, ta prière a été exaucée, et Dieu s’est souvenu de tes actes de compassion. Quand il sera arrivé, il te parlera.
32 Envoie donc quelqu’un appeler à Joppé Simon surnommé Pierre ; il loge dans la maison de Simon, le tanneur, au bord de la mer.
33 Je t’ai immédiatement envoyé quelqu’un, et toi, tu as eu la bonté de venir. Maintenant donc, nous, nous sommes tous ici devant Dieu, pour entendre tout ce que le Seigneur t’a ordonné de dire.
34 Alors Pierre prit la parole : En vérité, dit-il, je comprends que Dieu n’est pas partial,
35 mais qu’en toute nation celui qui le craint et pratique la justice est agréé de lui.
36 Il a envoyé la Parole aux Israélites, en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ : c’est lui qui est le Seigneur de tous… […]
43 Tous les prophètes lui rendent ce témoignage : quiconque met sa foi en lui reçoit par son nom le pardon des péchés.
44 Pierre était encore en train de dire cela quand l’Esprit saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la Parole.
45 Tous les croyants circoncis qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don de l’Esprit saint était aussi répandu sur les non-Juifs.
46 Car ils les entendaient parler en langues et magnifier Dieu. Alors Pierre reprit :
47 Peut-on refuser l’eau du baptême à ces gens, qui ont reçu l’Esprit saint tout comme nous ?
48 Il ordonna qu’ils reçoivent le baptême au nom de Jésus-Christ. Ils lui demandèrent alors de demeurer là quelques jours.
Prédication
Cette histoire qu’on vient d’entendre, on l’appelle habituellement celle de la conversion du Centenier Corneille. Cela se comprend très bien, puisque Corneille, qui aimait déjà le peuple juif et s’intéressait au dieu d’Israël, reçoit par l’intermédiaire de l’ange puis par sa rencontre avec l’apôtre Pierre la révélation que ce Dieu est tout proche ; même si le texte ne le dit pas en toutes lettres, on comprend qu’il découvre la présence de Christ dans sa vie, cette présence qu’on appelle la grâce – et nous savons que le baptême qu’il va recevoir est le signe de cette grâce. Même s’il n’a pas pu faire lui-même tout le chemin jusqu’à Joffé pour rejoindre Pierre (il n’a sans doute pas le droit de quitter son poste), en le faisant chercher et surtout en allant à sa rencontre c’est déjà une manière de chercher à se rapprocher de lui. Mais en réalité, ce que cette histoire magnifique nous raconte, sous son allure de fable, c’est surtout la conversion de Pierre – une conversion qui va avoir une importance fondamentale, une conversion qui bouleverse tous ses principes religieux, et qui bouleversera encore plus toutes les premières communautés chrétiennes. A moins que cette histoire n’ait été racontée, par Luc pour justifier des bouleversements qui se manifestaient déjà – c’est bien possible, car comme je vous l’ai dit tout à l’heure, au premier siècle ces communautés étaient en réalité des communautés judéo-chrétiennes, elles étaient composées en majorité de juifs convertis au Christ – ces personnes que Luc, on l’a entendu, appelle dans les Actes des apôtres des croyants circoncis, c’est-à-dire des juifs qui étaient baptisés mais qui continuaient à pratiquer les obligations rituelles et les interdits alimentaires, et surtout des gens qui croyaient que le Christ était venu seulement pour les juifs, pas pour les autres. Mais des personnes d’autres origines, des non-juifs commençaient à s’intéresser à cet homme étrange dont on disait qu’il avait vaincu la mort… peut-être même parmi eux des soldats romains ! La question était brûlante, elle se posait sans doute très souvent : ces non-juifs qui voulaient rejoindre Christ, est-ce qu’on pouvait les intégrer dans la communauté des croyants, et si oui à quelle condition ? Alors bien sûr, vous vous en doutez, l’histoire ne s’arrête pas au moment où notre lecture s’est arrêtée, quand Pierre ordonne que le centenier romain Corneille reçoive le baptême. Parce que pour beaucoup de ces judéo-chrétiens, aller chez Corneille, manger avec lui, le baptiser, ces actions étaient encore plus scandaleuses que le baptême de l’eunuque éthiopien par Philippe – maintenant, pour beaucoup de ces judéo-chrétiens, Pierre dépasse les bornes. Les gens ne comprennent pas. Quand vous rentrerez chez vous et que vous relirez ce chapitre 10 des Actes des apôtres, vous lirez aussi la suite, le début du chapitre 11, et vous verrez qu’après cette histoire, Pierre a été convoqué par les autres apôtres et les frères de Jérusalem pour s’expliquer – et ça ne s’est pas passé tout seul : « tu es entré chez des incirconcis notoires, et tu as mangé avec eux !!! » (verset 3). Et Pierre sera obligé de tout leur raconter pour qu’ils retrouvent leur calme en disant « voilà que Dieu a donné aussi aux nations païennes la conversion qui mène à la vie !». Peu après ce sera le tour de Paul d’être convoqué, et les décisions qui suivront une ouverture inespérée, une ouverture fondatrice. Cette histoire a l’air d’une fable et elle l’est peut-être, mais cette fable nous raconte comment l’amour de Christ permet à des personnes de culture et de tradition différente de braver les interdits, d’aller les uns chez les autres et surtout de manger ensemble. Cette fable nous raconte presque à chaud comment ces petites sectes judéo-chrétiennes sont en train de devenir l’Église universelle. Mais pour que cette transformation soit possible, une conversion est nécessaire, celle de Pierre mais surtout celle de beaucoup d’autres judéo-chrétiens des 2 1er siècles). Une conversion que je vous propose de regarder d’un peu plus près, à la fois comme un événement théologique et peut-être comme un exemple à suivre.
Descends et pars sans hésitation ! C’est l’Esprit qui parle à Pierre et le bouscule déjà. L’Esprit saint, qui avait déjà secoué les apôtres à la Pentecôte – et vous avez entendu qu’on assiste ici à une deuxième Pentecôte, quand tous ces incirconcis se mettent eux aussi à parler en langues – l’Esprit qui vient maintenant d’envoyer à Pierre cette vision épouvantable, tous ces animaux impurs – l’Esprit qui lui a dit qu’il pouvait, non, pire, qu’il devait les manger ! On a du mal aujourd’hui à imaginer le traumatisme : ce que Pierre a vu et entendu, c’est tout simplement le contraire de ce qu’il a toujours appris, le contraire de tout ce qui est prescrit dans la Torah, en particulier dans le Lévitique où on trouve des pages et des pages sur les animaux et les aliments impurs, et bien des pages aussi sur l’impureté des humains. Et ce qui est extraordinaire, justement, vous l’avez peut-être remarqué, c’est que devant cette manifestation de l’Esprit, Pierre ne discute pas, ou quasiment pas. Dans cette vision qu’il ne comprend pas, dont le texte nous dit en insistant combien elle lui fait horreur, il a reconnu quelque chose qui le dépasse – quelque chose de l’ordre d’un message divin. Il aurait pu rejeter ce message, penser qu’il venait du diable, continuer à protester, mais non ; Pierre est souvent impulsif et réagit au quart de tour, mais sa fréquentation du Christ lui a appris à écouter et à chercher ce que Dieu attend de lui. Et non seulement il a écouté, mais le plus extraordinaire c’est qu’il s’est laissé transformer par ce message – aujourd’hui on dirait « il s’est laissé déplacer » et c’est bien le cas, au sens propre comme au sens figuré – il s’est laissé déplacer et il le dit : « Dieu m’a montré qu’il ne fallait dire d’aucun homme qu’il est souillé ou impur ». C’est pourtant écrit dans la Bible, à plusieurs endroits et en toutes lettres, mais l’Esprit lui permet de comprendre que ces différences entre les humains, ça n’a plus de sens, c’est terminé. La voilà, la conversion de Pierre : à partir de ce moment-là, même s’il y aura de nombreuses rechutes, et ensuite, bien sûr, des milliers d’occasions où les chrétiens oublieront ce message et se croiront autorisés à condamner, ou même à « purifier », y compris par le feu, malgré tout cela l’essentiel est déjà dit et écrit : on ne doit dire d’aucun humain qu’il est souillé ou impur. Cette phrase s’adresse à chacune et chacun de nous, elle exprime tout simplement l’amour universel, et pourtant, nous le savons bien, elle n’est pas toujours facile à entendre et encore moins à respecter. C’est tellement plus facile, plus rassurant, de cultiver la haine, le mépris, ou simplement l’indifférence envers nos frères et sœurs humains, sans nous sentir obligés de les comprendre et de les respecter. C’est pourquoi, comme Pierre, comme les juifs nouveaux chrétiens qui l’écoutent, pour devenir vraiment humains nous avons grand besoin d’une nouvelle Pentecôte – nous avons grand besoin que l’Esprit saint nous tombe dessus pour nous aider à nous ouvrir aux autres – à tous les autres-, qu’il nous donne au contraire le don des langues pour nous permettre de vraiment les rencontrer et de les respecter. Nous aussi avons besoin de recevoir l’Esprit, pas par des visions ou de manifestations surnaturelles mais par sa présence dans nos cœurs (et d’ailleurs c’était sans doute déjà le sens de la vision de Pierre, cette vision c’était sa manière à lui de répondre aux questions qui commençaient à se poser dans les communautés) car nous avons besoin, comme Pierre, de nous continuer à nous convertir à l’ouverture et à l’écoute. En deux jours, Pierre a appris la véritable humilité, celle qui consiste à renoncer à ses certitudes, à ses conformismes : il a reçu, compris et accepté un message divin qui lui disait le contraire de ce qu’on lui avait enseigné toute sa vie comme un principe religieux immuable. Il a découvert le sens de la véritable fraternité, puisqu’il a relevé un non-juif en lui disant moi aussi, je suis un être humain, nous sommes différents mais je suis ton frère en humanité ; et pour finir, il découvre même que la grâce de Dieu en Jésus-Christ par le don de l’Esprit n’est pas réservée aux juifs mais qu’elle est donnée à tous. L’esprit saint est offert à tous, on l’a entendu « Tous les croyants circoncis furent stupéfaits de voir que le don de l’Esprit saint était aussi répandu sur les non juifs ». Elle est très importante cette deuxième petite Pentecôte, d’une certaine manière, Luc a conscience des risques et démine le terrain : au cas où certains voudraient établir une échelle de valeur dans la foi, le texte nous dit très clairement que la foi chrétienne découverte et adoptée par les non-juifs a autant de valeur que celle des juifs circoncis, qui avaient déjà reçu l’Esprit à la Pentecôte. Il y a en effet de quoi se réjouir et parler en langues ! Le baptême que Corneille et sa maisonnée vont recevoir, c’est tout simplement le signe de cette grâce que nous sommes tous invités à demander et à recevoir, pour nous aider à proclamer qu’aucun être humain n’est souillé ni impur – pour nous aider, tout simplement, à aimer.