Prédication du 23 juillet 2023

Série d’été : Songes et visions
4/4

de Dominique Hernandez

La Jérusalem céleste

Lecture biblique

Apocalypse 21, 9 – 22, 5

9 Puis un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept derniers fléaux vint parler avec moi. Il me dit : Viens, je te montrerai la mariée, l’épouse de l’agneau.
10 Il me transporta, par l’Esprit, sur une grande et haute montagne, et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu. 
11 Elle avait la gloire de Dieu ; son éclat ressemblait à celui d’une pierre précieuse, une pierre de jaspe transparente comme du cristal. 
12 Elle avait une grande et haute muraille. Elle avait douze portes, et sur les portes douze anges. Des noms y étaient inscrits, ceux des douze tribus des Israélites : 
13 à l’est trois portes, au nord trois portes, au sud trois portes et à l’ouest trois portes. 
14 La muraille de la ville avait douze fondations ; elles portaient les douze noms des douze apôtres de l’agneau.

15 Celui qui parlait avec moi avait une mesure, un roseau d’or, pour mesurer la ville, ses portes et sa muraille. 
16 La ville avait la forme d’un carré, sa longueur était égale à sa largeur. Il mesura la ville avec le roseau : douze mille stades ; la longueur, la largeur et la hauteur en étaient égales. 
17 Il mesura la muraille : cent quarante-quatre coudées, d’une mesure humaine qui était celle de l’ange. 
18 La muraille était construite en jaspe, et la ville était d’or pur, semblable à du verre pur. 
19 Les fondations de la muraille de la ville étaient ornées de toutes sortes de pierres précieuses : la première fondation était de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d’émeraude, 
20 la cinquième de sardonyx, la sixième de sardoine, la septième de chrysolithe, la huitième de béryl, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième d’hyacinthe, la douzième d’améthyste. 
21 Les douze portes étaient douze perles ; chacune des portes était d’une seule perle. La grande rue de la ville était d’or pur, comme du verre transparent.

22 Je n’y vis pas de sanctuaire, car le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, est son sanctuaire, ainsi que l’agneau. 
23 La ville n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour y briller, car la gloire de Dieu l’éclaire, et sa lampe, c’est l’agneau. 
24 Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire. 
25 Ses portes ne se fermeront jamais pendant le jour — or là il n’y aura pas de nuit. 
26 On y apportera la gloire et l’honneur des nations. 
27 Il n’y entrera jamais rien de souillé, ni faiseur d’abomination ou de mensonge, mais ceux-là seuls qui sont inscrits dans le livre de la vie de l’agneau.

1 Il me montra un fleuve d’eau de la vie, limpide comme du cristal, sortant du trône de Dieu et de l’agneau. 
2 Au milieu de la grande rue de la ville et sur les deux bords du fleuve, un arbre de vie produisant douze récoltes et donnant son fruit chaque mois. Les feuilles de l’arbre sont pour la guérison des nations. 
3 Il n’y aura plus de malédiction. Le trône de Dieu et de l’agneau sera dans la ville. Ses esclaves lui rendront un culte ; 
4 ils verront son visage, et son nom sera sur leur front. 
5 La nuit ne sera plus, et ils n’auront besoin ni de la lumière d’une lampe, ni de la lumière du soleil, car c’est le Seigneur Dieu qui les éclairera. Et ils régneront à tout jamais.

Prédication

Quelle vision ! Grandiose, pleine de magnificence, chatoyante, éclatante, glorieuse, splendide, sublime, incomparable…
Cette description a inspiré de merveilleuses œuvres d’art dont les plus anciennes connues datent du V°s, mosaïques, peintures, vitraux tapisseries, enluminures, certaines reproduisant avec minutie les détails du texte, d’autres très stylisées comme sur un manuscrit du XI°s un agneau simplement entouré de 12 cercles de couleurs différentes et c’est magnifique. L’art contemporain n’est pas en reste, figuratif ou pas. Une profusion d’œuvres, une explosion de créativité… et puis quoi ?
Chaque précision de la description relève du registre symbolique, chacun recèle une signification aussi bien spirituelle qu’existentielle, car il ne s’agit pas de rêver.
Les chrétiens auxquels Jean de Patmos adresse ses visions seraient plutôt plongés dans une sorte de cauchemar. Pas une catastrophe à l’image de celles délivrées en fictions ou en réalités par ceux qui envisagent l’apocalypse comme la fin du monde, provoquée par Dieu ou par les humains. Car si les écrits apocalyptiques juifs ou chrétiens sont le plus souvent déconcertants, ils ne visent pas à la condamnation et à la peur, mais à l’espérance. L’apocalyptique est une pensée des temps de crise. Celle du judaïsme s’est développée sur trois siècles (-200 à 100) au cours desquels le peuple d’Israël a eu à supporter nombre de malheurs. Depuis la révolte des Maccabées en réaction à l’installation dans le temple par le roi Antiochus IV Épiphane d’une statue de Zeus à son image, en passant par le siège et la prise de Jérusalem par les armées du Romain Pompée, jusqu’à la guerre juive de 70 et la destruction du Temple, ces siècles sont ceux de la défaite, des catastrophes, de la souffrance et du désespoir. Les écrits apocalyptiques affirment alors qu’il y a une espérance et un avenir : un messie doit venir qui apportera une divine victoire. Et cette conviction encourage, réconforte, apporte des forces.
L’apôtre Paul s’appuie sur ce mouvement de pensée dans plusieurs de ses épitres pour exprimer sa compréhension de la résurrection dans la perspective d’un retour imminent du Christ, perspective qu’il délaisse dans ses dernières épitres. Matthieu, Marc et Luc ont tous les trois insérés un ou plusieurs passages apocalyptiques dans leur évangile respectif, chacun avec leur conception, leurs nuances et leur visée. Marc s’en sert pour exhorter à une veille active et dépourvue de spéculation dans le présent. Matthieu y inscrit l’exigence de justice sociale, du souci des plus démunis comme critère de fidélité et d’écoute de la Parole. Luc infléchit l’apocalyptique en engagement à la confiance en Dieu en toutes circonstances, dans la perspective de l’histoire du salut qui est la sienne.
Jean de Patmos écrit un peu après, à la fin du premier siècle, sous le règne de l’empereur Domitien qui persécute les chrétiens car il ne se soumettent pas au culte de l’empereur-dieu que Domitien a instauré. Si la persécution n’est pas encore systématique, l’idéologie du culte impérial y conduira. Mais surtout, Jean de Patmos voit très bien ce qui se joue dans ce culte ; il voit avec une extrême lucidité ce qui est tellement contraire et dangereux pour la vie des vivants dans cette idéologie que sa vision représente comme une bête aux multiples visages. Alors le livre de l’Apocalypse, c’est-à-dire la révélation de Jésus-Christ, vient affirmer que dans ce monde soumis au pouvoir impérial qui s’exerce sur tous les domaines de la vie, politique, économique, social, religieux, un autre monde est déjà là pour ceux qui se confient en Christ, l’agneau immolé et ressuscité, en apparence sans défense et sans pouvoir, mais dont la puissance créatrice de vie et transformatrice des êtres est véritablement à l’œuvre. Dans ce temps hostile et destructeur dont la vision rend compte en termes de persécutions, de luttes contre les puissances totalitaires de l’empire et de jugement divin, la dernière vision, celle de la Jérusalem céleste, proclame une victoire qui si elle n’est pas manifeste n’en est pas moins déjà accomplie, depuis le matin de Pâques. Le point d’appui de l’espérance n’est pas en avant dans le temps, il est en la résurrection du Christ, qui inaugure un temps nouveau, autre, dans le temps qui passe.
Alors il ne s’agit pas d’endurer en attendant un futur rétablissement du paradis sur terre ou un futur établissement du Royaume en gloire, et encore moins l’avènement de cette Jérusalem descendant du ciel. Il s’agit de vivre dans le temps qui est comme des hommes et des femmes déjà ressuscités à la suite du Christ, ce faible agneau en qui, par qui les puissances de mort ont perdu leur emprise sur les humains, par qui la fatalité s’efface devant le présent vivifié et les possibilités de l’avenir, le Christ qui est devenu vérité pour l’existence.
C’est ce dont témoigne la vision. Avec ses motifs aussi surprenants que précieux.

Une ville descend du ciel : ce n’est pas le jardin d’Eden retrouvé. C’est une ville, lieu de vie des humains rassemblés, c’est-à-dire que l’accent est mis sur les relations entre les personnes, ce qui n’est pas étonnant. Autant la Bonne nouvelle peut se traduire en termes de naissance, nouvelle naissance, ou de résurrection de la personne, autant cette personne est toujours reliée aux autres ; elle est suscitée pour être reliée, pour être avec, dans une manière de vivre décentrée de soi et tournée vers autrui, avec des relations renouvelées en reconnaissance et en confiance.
La ville, nos villes sont les lieux de la vie commune, des rencontres, des conflits, des humeurs et des émotions, des fêtes et du travail, de la colère et de la violence, de l’injustice et de la solidarité, de l’isolement et de l’attention. En tant que lieux des relations, elles sont aussi lieux d’épreuves d’humanité. Babylone, la ville impériale de la vision, est la ville qui a cédé à la tentation des relations de domination, de pouvoir, de violence ; c’est une ville représentant les relations déshumanisantes et déshumanisées, les êtres humains n’y sont que des numéros au service de l’idéologie idolâtre qui la gouverne.
Rien de cela dans la Jérusalem céleste don de Dieu, don pour la vie et la vie commune en relations harmonieuses.
C’est ainsi que la ville a la forme d’un cube : sa forme en signale la perfection. Mais c’est aussi un cube aux dimensions gigantesques : 12000 stades de côté, c’est-à-dire 2200 km de côté (Paris-Reykjavik, un peu lus que Paris-Kiev). Autant dire que c’est la ville de l’humanité, pour toute l’humanité, tous les peuples, tous les clans et toutes les familles de la terre, chaque personne.
Quant au nombre 12 omniprésent en lui-même ou en multiple, il évoque bien sûr au-delà des 12 tribus d’Israël les douze apôtres, les témoins et porteurs du Christ, mais aussi, à travers eux, celles et ceux qui l’ont été après eux.
La ville est entourée par une muraille, ce qui signifie qu’on s’y tient en paix : Jérusalem se traduit par source de paix. Car ce n’est pas une paix assurée par les armes ou par la clôture des frontières. En effet, les douze portes de la ville sont toujours ouvertes : c’est un lieu d’accueil et les anges qui se tiennent à chaque porte sont des anges de bienvenue, des anges d’hospitalité, des anges d’évangélisation aussi afin que les relations entre les personnes soient converties, par exemple de la violence à la fraternité/philadelphie ou à l’amour/agapè.
C’est qu’il ne rentre rien de mauvais dans la ville, rien de mensonger qui susciterait confusion et violence par manipulation des personnes et en faussant la parole. Pas de faiseur d’abomination comme Antiochus IV Epiphane ou Domitien pour imposer l’orgueil et la démesure. A l’écoute de la Bonne Nouvelle, ce n’est pas un tri entre personnes bonnes et personnes mauvaises, mais plutôt entre ce qui en chacun est tourné vers la mort et ce qui porte la vie vivante.
Les matériaux les plus recherchés, les fondations ornées de pierres précieuses, les portes en perle, la muraille de jaspe, la ville en or, tout cela reflète l’éclat de la grâce et de la paix, de la joie et de l’harmonie.
Alors ne considérons pas avec méfiance une ville aussi minérale, sans espaces verts et avec un seul arbre ! Il s’agit de l’arbre de vie, donnant des fruits toutes l’année, des fruits vivifiants et dont les feuilles servent à la guérison des nations aux histoires tumultueuses et tragiques. Cet arbre unique est planté sur les deux rives du fleuve d’eau de la vie qui coule abondamment. Jérusalem céleste est la ville de la vie, pour la vie vivante.
Il n’y a pas de Temple car il n’en est plus besoin, ni de sacrifices, ni de prêtre, ni de lieu réservé comme le Saint des saints : la présence de Dieu n’est plus réservée à un endroit ou à un temps, elle est permanente. Dieu ne vient pas dans la ville des humains, ce sont les humains qui vivent dans la ville de Dieu, en paix. C’est une manière de parler de la présence de Dieu en chacun. Habiter la ville de Dieu, c’est être habité par Dieu, en Christ, quand on le laisse prendre place en soi au cœur du cœur, au creux de l’âme, lorsque chacun et ensemble, nous devenons temple de Dieu écrit Paul.
Puisque ce n’est pas une ville construite pas les humains.
Nous ne bâtirons pas la Jérusalem céleste.

Nous bâtissons et nous habitons des villes humaines et ce sont des lieux complexes et des lieux où il faut faire des choix, L’Apocalypse pose le choix essentiel, fondamental pour tout autre choix d’existence :

celui des puissances de mort, de désespoir, de réduction et d’asservissement de l’humain,
et celui de la confiance en l’agneau immolé, le Christ ressuscité.

Augustin d’Hippone écrivait à sa manière : l’amour du siècle fait Babylone, l’amour de Dieu fait Jérusalem.
Si la ville est le symbole des relations humaines, ces relations sont orientées selon l’œuvre de Dieu pour nous et en nous, œuvre de résurrection, de transformation de l’être, une œuvre dont le Christ est en nous, la puissance. L’ouverture de notre être à cette puissance qui ne s’impose pas transforme notre manière d’être au monde parce qu’elle transforme déjà notre regard sur nous-mêmes. Nous ne sommes pas des numéros voués à nous aligner dans la file des servants des idoles argent, pouvoir et violence. Nous ne sommes pas obligés de gagner notre place dans le monde.
Nous sommes l’espérance de Dieu, les bien-aimés de Dieu, les enfants de Dieu, les appelés par Dieu… et toutes ces manières de dire expriment notre valeur d’humain, de personne précieuse, une valeur d’or pur et de jaspe poli et scintillant, de saphir et d’émeraude, une infinie valeur que rien ne peut altérer. C’est pourquoi nous pouvons vivre autrement que selon l’air du temps qui pousse à la compétition, à l’individualisme, aux rapports de force, à l’accumulation d’argent et de consommations.
Nous pouvons compatir et dialoguer, partager et encourager, parce que nous croyons que la vie vivante, celle de l’arbre, celle du fleuve, celle du Christ coule en nous seulement par grâce.
Plutôt que de vouloir être comme des dieux, comme l’empereur Domitien, nous pouvons choisir de vivre en misant sur la confiance, sur l’hospitalité, sur l’Évangile.
Lorsque la rumeur du monde mêle les cris de guerre et les pleurs de faim, les lamentations des persécutés et les plaintes des humiliés, les grondements des exclus et les clameurs des oubliés, et il importe d’être très attentif à cette rumeur,

nous pouvons aussi écouter la voix de Jésus égrenant les béatitudes et celle du psalmiste qui chante que l’Éternel est son berger,
et celle de Paul qui proclame que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ et la voix de Moïse qui exhorte à choisir la vie,
et la voix étrange de Jean de Patmos qui déroule sa vision pour révéler Jésus-Christ agneau immolé et vainqueur en filigrane de l’empire triomphant et perdant.

Ces voix ne nous conduisent pas ailleurs que dans nos villes pour nous y engager, dans l’espace et le temps libérés des déterminismes, dans une espérance venue du ciel, don de Dieu pour un nouveau présent qui change le futur en avenir, don de Dieu pour l’avenir qui change la résignation en présent.
Là et quand les villes et le monde deviennent cruels, angoissants, désespérants, absurdes, inhumains,

c’est ce déjà là de la résurrection, de Pâques, du Christ vivant, de la confiance et de l’espérance de Dieu, qui fait se tenir debout, qui fait trouver le sens vers la vie et le sens de l’humain.