Prédication du 19 juin 2022

Culte musical

de Dominique Hernandez

La joie

Lecture : Jean 15, 1-12

Lecture biblique

Jean 15, 1-12

1 C’est moi qui suis la vraie vigne, et c’est mon Père qui est le vigneron. 
2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il porte encore plus de fruit. 
3 Vous, vous êtes déjà purs, à cause de la parole que je vous ai dite. 
4 Demeurez en moi, comme moi en vous. Tout comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s’il ne demeure dans la vigne, vous non plus, si vous ne demeurez en moi. 
5 C’est moi qui suis la vigne ; vous, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; hors de moi, en effet, vous ne pouvez rien faire. 
6 Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche ; on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent. 
7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous arrivera. 
8 Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez mes disciples.

9 Comme le Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 
10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour.

11 Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète.

12 Voici mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés.

Méditation

(1e partie)

C’est une belle image que celle de la vigne.
Elle est présente dans la Bible hébraïque où elle représente le peuple d’Israël, par exemple au le livre d’Esaïe, ou dans le psaume 80.
Elle est aussi un symbole de prospérité, de bénédiction et d’espoir, également celui de la paix, la paix qui permet à l’homme de s’asseoir dans sa vigne, et de la cultiver pour en boire le vin, sans être troublé par la guerre, boire le vin qui réjouit, le vin de la fête à partager…
Oui il y a de la joie dans l’image de la vigne !
C’est d’une toute autre manière que Jésus la reprend : je suis la vigne, et vous êtes les sarments dit-il à ses disciples dans le grand discours qu’il leur adresse lors de leur dernier repas ensemble, avant d’être arrêté, condamné et tué. Un dernier discours, comme un testament, et une image qui conduit à la joie, en cette heure grave et pas pour plus tard dans un futur inconnu. Que votre joie soit complète.
Quelle est cette joie pour les disciples déjà clairement avertis que Jésus va être livré, condamné, élevé sur la croix ? Quelle est cette joie pour les humains éprouvés, inquiets, angoissés devant un présent très troublé et un avenir bien incertain ?
La joie commence avec cette image de la vigne pour dire ce qu’est Jésus-Christ et celle des sarments pour dire quelque chose de nous. Des sarments, des petites branches poussées sur un cep et qui vont porter le raisin.
Certes nous savons ce qui nous précède, ce qui nous porte, de quelle vigne nous sommes les sarments : la famille, la culture, l’éducation, les expériences, les choix. Ce que nous portons, nous ne pouvons pas toujours le savoir et le dire, d’autres après nous le feront. L’image de la vigne et des sarments parle de nos vies avec leurs heures, malheurs et bonheurs, vies qui puisent dans ce qui les porte de quoi leur donner forme et sens.
Mais voici qu’avec Jean, nous pouvons nous comprendre comme précédés et portés par le Christ. Il est question alors d’une autre qualité de vie et d’une autre ressource pour nos vies que celle de nos histoires et de nos décisions. Et nos vies ne dépendent plus de la détermination de nos récits, de nos échecs ou de nos succès, de notre caractère, ou des circonstances. Et c’est une bonne nouvelle et c’est une joie. L’image de la vigne, plus précisément du pied de vigne, le cep, pour dire ce qu’est le Christ offre une nouvelle dimension aux sarments que nous sommes. Car la sève qui passe de la vigne aux sarments nourrit autrement que par les héritages ou les réalisations. Cette sève, dont nous pouvons dire qu’elle est Esprit, nourrit les sarments de vie et d’amour dit Jésus, la vie de la vie, la vie vivante et l’amour qui fait aimer.
C’est une conscience renouvelée qui est donnée aux sarments, conscience d’eux-mêmes et du monde, de leur place et de leur devenir. Car si Jésus parle de Dieu comme du vigneron qui émonde, ce n’est pas pour donner de Dieu une image effrayante, mais pour affirmer encore une fois la volonté bonne d’ouvrir une dynamique de transformation vers le BON qui caractérise le Créateur. Ce qui en nous est destructeur et stérilisant peut bien disparaître ! Il faut que ce qui est en nous pour la mort meure et disparaisse pour que la vie demeure devant nous. Et Dieu y participe par sa Parole, par son Esprit, par l’Évangile, par le Christ, puissances de transformation. Nous n’y perdrons rien de celui ou celle que chacun est appelé à devenir, de cet humain qui est espérance de Dieu. 

La gloire de Dieu, dit Jésus, ce n’est pas le nombre de chrétiens dans le monde, ni la conservation d’une série d’affirmations doctrinales. La gloire de Dieu c’est l’amour : son amour pour nous et notre amour les uns pour les autres. C’est pourquoi l’amour est un commandement, en tant que l’amour est, en Christ, fondement de l’existence et des relations par lesquelles nos vies deviennent existences, portées au-delà de nous-mêmes vers autrui.
Jésus l’a montré en lavant les pieds de ses disciples, en leur donnant part à sa vie, en déposant sa propre vie pour eux.
Et c’est aussi en cela que nous pouvons comprendre que les paroles de Jésus ne parlent pas exclusivement des disciples confessant qu’il est le Christ. Tous ceux dont l’existence est fondée, enracinée, accrochée à l’amour sont ces sarments qui produisent du fruit, en aimant et en faisant passer dans leurs relations la joie d’aimer.
Demeurez en moi, insiste Jésus. Demeurez sur le cep, sur la vigne qu’il est. Ce « demeurer » ressort de notre décision et prend des formes diverses : méditer, lire et interpréter les écritures, prier, et faire silence, chercher, s’examiner soi-même, et se relier à la source intérieure et puis se laisser aimer et laisser grandir en soi la capacité à aimer. Comme Jésus a aimé d’un amour qui veut que l’aimé vive vraiment, d’un amour qui ne se fait pas payer, un amour qui est grâce et qui libère, qui fait grandir et vivre, un amour qui est source de joie.

Méditation

(2e partie)

Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète.
Il y a donc la joie complète qui est la somme de deux joies : celle de Jésus-Christ et la nôtre.
Car nous ressentons de la joie, des joies humaines, les joies d’expériences, des joies de rencontres, de partage, des joies qui surviennent de l’accord entre nous-mêmes, ce qui nous habite et nous meut profondément, et une situation ou une autre personne, d’autres personnes. Et déjà nous comprenons que notre joie ne tient pas qu’à nous. Nous ne la fabriquons pas, nous ne la contrôlons pas : nous l’éprouvons, nous la recevons.
Comme nous recevons en nous la joie du Christ : une autre joie est déposée en nous par celui qui met en nous sa joie. Comme il met en nous sa confiance. Comme il met en nous son espérance.
La joie naît, et grandit et devient complète dans une relation, dans des relations. La joie d’autrui, la joie du Christ, la joie de Dieu. L’origine de la joie complète, c’est l’autre.
Ainsi la joie de Jésus repose dans la relation entre Dieu et lui, et cette relation est indestructible et la joie l’est alors aussi. La joie de Dieu, racontent les évangiles, est exprimée lors du baptême de Jésus lorsque la voix du ciel dit : tu es mon fils bien-aimé, en toi je prends plaisir. Une parole dont témoigne toujours chaque baptême, et une parole posée sur chacun, qui dit la joie de Dieu pour chacun. La joie de Dieu nous précède et nous environne, déposée en Jésus-Christ, elle nous est donnée avec, comme vie divine en nous. Elle résonne dans chaque bénédiction qui affirme : il est bon que tu existes, parole de bénédiction qui nourrit la jubilation d’exister.
Nous comprenons bien qu’il ne s’agit pas là de nier les épreuves, les difficultés, la souffrance. Il n’y a pas d’existence sans souffrance. Mais la parole de bénédiction, d’amour, de grâce invite, porte à s’enraciner, à demeurer dans l’amour et non dans la souffrance sinon l’humain se replie, se pétrifie. De même que la parole de bénédiction exhorte à la compassion, c’est-à-dire à la souffrance avec ceux qui souffrent, sans chercher à se préserver soi-même. La souffrance n’est pas supprimée, et la joie ne l’est pas non plus qui naît du oui répondu au oui de Dieu, la joie qui naît du oui à la vie.
Lorsque nous disons oui à la vie, le souffle de notre oui vient de plus loin que nous, d’avant nous puisqu’il est accord à Dieu. Les résonances de cet accord sont incommensurables et s’y déploient toute une polyphonie dont l’évangile de Jean est une des voix de joie.
Notre joie est complète grâce à la joie déposée en nous par un autre, Dieu, le Christ qui est l’amour de Dieu, et d’autres avec lesquels nous sommes en relations d’amour. Il n’y a de joie complète que dans le champ des relations.
C’est que la joie est généreuse, prodigue, vaste, et même infinie puisqu’elle est vie de Christ en nous.
Autrement dit la joie est inclusive ; elle dispose à l’accueil, à l’hospitalité, elle n’exclut personne, ni les pauvres ni les riches, ni les malades ni les bien-portants, ni les croyants ni les incroyants. C’est que Dieu n’exclut pas et s’il élit, pour reprendre ce terme de la théologie, ce n’est jamais l’un contre l’autre. Il n’y a pas un vainqueur, un gagnant et un vaincu, un battu, comme celles et ceux dont les noms seront égrenés ce soir…
Nous le signifions lorsque nous prenons la Cène : il y a une place pour tous dans le cercle du partage, ce cercle qui parle de l’humanité espérance de Dieu. Nous le signifions lors des baptême et particulièrement des baptêmes de petits enfants qui ne comprennent pas ce qui se passe et ce qui est dit, et dont nous ne savons pas quel personne ils deviendront.
Cela va bien à l’encontre de l’ordre du monde dont l’exclusion est l’un des ressorts et qui réduit les relations entre les personnes à une instrumentalisation qui néglige la rencontre et la reconnaissance. Mais en ce qui concerne la foi, la joie, l’Évangile, refuser à certains la vie vivante, la vie en abondance, c’est seulement manifester qu’on n’y est pas soi-même entré. C’est manifester que la peur, la haine, le ressentiment ont étouffé l’aspiration à la joie, ont empêché l’ouverture au don de la joie, de l’amour, de la vie.
Certainement nous faut-il du temps, de l’écoute, de la réflexion, de la méditation pour que notre joie soit complète. L’évangile de Jean, et les trois autres aussi, nous y aident en travaillant notre conscience, notre lucidité, notre confiance.
La joie, l’amour et la vie sont profondément liés, de même que sont liés l’amour de Dieu pour chacun et l’amour de chacun pour l’autre, de même que sont liés la vie du Christ et la vie vivante de chacun, la joie du Christ et notre joie complète.
La vérité de l’être humain, c’est d’être aimé et d’aimer, et cette circulation d’amour est l’énergie, la puissance de la joie complète. C’est une grâce, c’est un effet de la grâce. D’ailleurs en grec, la joie se dit chara et la grâce charis ; les deux mots ont la même racine. Joie et grâce viennent de la même source, dans le même don, la même dynamique, le même élan, et alors, oui, notre joie demeure.