Prédication du 30 avril 2023

de Didier You

La parabole des deux fils

Lectures : Matthieu 21, 23-32 et Romains 4, 1-8 (texte du jour)

Lectures bibliques

Matthieu 21, 23-32

23 Jésus entra dans le temple et se mit à enseigner ; les grands-prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent et lui demandèrent : « Par quelle autorité fais-tu ces choses ? Qui t’a donné autorité pour cela ? » 
24 Jésus leur répondit : « Je vous poserai à mon tour une question, une seule ; si vous me donnez une réponse, alors je vous dirai de quel droit je fais ces choses. 
25 De quelle origine était le baptême de Jean ? divine ou humaine ? » Ils discutèrent entre eux et se dirent : « Si nous répondons : “une origine divine”, il nous demandera : “Pourquoi donc n’avez-vous pas cru Jean ?” 
26 Mais si nous disons : “une origine humaine”, nous avons à craindre la foule, car tous pensent que Jean était un prophète. » 
27 Alors ils répondirent à Jésus : « Nous ne savons pas. » – « Eh bien, répliqua-t-il, moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais ces choses.

28 Que pensez-vous de ceci ? ajouta Jésus. Un homme avait deux fils. Il s’adressa au premier et lui dit : “Mon enfant, va travailler aujourd’hui dans la vigne.” – 
29 “Non, je ne veux pas”, répondit-il ; mais, plus tard, il eut des remords et se rendit à la vigne. 
30 Le père adressa la même demande à l’autre. Celui-ci lui répondit : “Oui, père, j’y vais”, mais il n’y alla pas. 
31 Lequel des deux a fait la volonté de son père ? » – « Le premier », répondirent-ils. Jésus leur dit alors : « Je vous le déclare, c’est la vérité : les collecteurs d’impôts et les prostituées vous précèdent dans le règne de Dieu. 
32 Car Jean le baptiste est venu à vous en vous montrant le juste chemin et vous ne l’avez pas cru ; mais les collecteurs d’impôts et les prostituées l’ont cru. Et même après avoir vu cela, vous n’avez pas eu de remords pour finalement croire en lui.

Romains 4, 1-8

1 Que dirons-nous alors d’Abraham, notre ancêtre ? Qu’a-t-il obtenu par lui-même ? 
2 Si Abraham avait été reconnu juste à cause des actions qu’il a accomplies, il aurait de quoi s’enorgueillir. Mais il ne peut pas le faire devant Dieu. 
3 En effet, que déclare l’Écriture ? « Abraham eut confiance en Dieu, et Dieu le considéra comme juste en tenant compte de sa foi. » 
4 Celui qui travaille reçoit un salaire ; ce salaire ne lui est pas compté comme un don gratuit : il lui est dû. 
5 Mais quand une personne, sans accomplir de travail, met sa confiance en Dieu qui peut rendre juste le pécheur, Dieu tient compte de sa foi pour la reconnaître comme juste. 
6 C’est ainsi que David parle du bonheur de l’être humain que Dieu considère comme juste sans tenir compte de ses actions :

7 « Heureux ceux dont Dieu a pardonné les fautes et dont il a effacé les péchés !
8 Heureux celui à qui le Seigneur ne compte pas son péché ! »

Prédication

Introduction

Un père a deux fils. Il les envoie travailler à sa vigne. L’un y va, et pas l’autre. Lequel a fait la volonté du père ?
On connaît des paraboles plus étranges. Je ne me vois pas en parler plus de trois minutes. C’est simple, trop simple.
Les paraboles ne sont pas faites pour être simples. Jésus l’a dit : Je m’exprime en paraboles de peur qu’ils ne comprennent et soient convertis (parce qu’il ne faut pas que la Parole, telle la graine du semeur, ne tombe sur un terrain qui n’est pas mûr pour la revevoir). Une parabole doit être para-doxale. Rien de tel ici. C’est qu’il doit y avoir un piège. Il y en a même plusieurs.
Tout d’abord les deux fils ont chacun fait le contraire de ce qu’ils ont dit. Ensuite cette parabole arrive comme un cheveu sur la soupe, apparemment, au milieu d’une discussion avec les prêtres à propos de Jean le Baptiste.

Et il y a encore plus. Des sources anciennes, et généralement fiables, présentent une version de cette parabole tout à fait différente, et même a priori opposée. Voici la version « alternative » : Le père dit au premier fils « mon enfant, va donc aujourd’hui travailler à la vigne ». Celui-ci lui répondit : J’y vais Seigneur, mais il n’y alla pas. Le second fils répondit : Je ne veux pas. Un peu plus tard, pris de remords, il y alla. C’est la même chose, mais la chronologie est changée.
Le reste étant inchangé, les prêtres désignent toujours « le premier » comme étant celui qui a fait la volonté du père, soit celui qui annonce obéir, et ne le fait pas. Et Jésus ne les reprend pas. Dans aucune des deux versions. Il semble même considérer qu’ils ont bien répondu, puisqu’il en tire argument pour démontrer l’erreur des prêtres à propos du Baptiste.
Sans doute un copiste, par la suite, ne comprenant pas cette étrange parabole, l’a-t-il transformée dans la version que nous connaissons.
Et nous voici alors en terrain connu : une parabole étrange et mystérieuse.

Analyses

Il y a évidemment la question de savoir si l’on doit faire ce que l’on dit, ou dire ce que l’on va faire.
La version « simple » est riche d’enseignements, peut-être un peu trop évidents. Il ne faut pas se contenter de bonnes paroles, de promesses. Il faut aussi agir. Matthieu au chapitre 7 rapporte une parole de Jésus : « Ceux qui me disent Seigneur, Seigneur n’entreront pas tous dans le Royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père ».

Telle est l’analyse de la parabole dans son sens premier, dans sa rédaction la plus canonique.

Voyons la version « cachée », celle dans laquelle le « premier fils », celui qui finalement n’accomplit pas son travail est considéré comme « ayant fait la  volonté du père »:
Il faut se pencher sur les motivations des deux fils, sur tout ce que Jésus ne nous dit pas.
Ce premier fils est sans doute sincère dans sa déclaration d’obéissance.  Pourquoi n’est-il pas allé travailler la vigne ? Rien ne le dit. Il a eu un empêchement ou il a oublié …
Ce qui compte, c’est le « oui ». C’est le cri du coeur, de la foi, de la bonne volonté. Ce fils a « accompli la volonté du père » en ce sens qu’il a adhéré au projet de Dieu. Mais, comme nous sans doute, il est pécheur, distrait, paresseux. C’est ce que dit Paul dans la Confession des péchés que je vous ai lue : je ne fais pas le bien que je voudrais faire. Ce qui compte vraiment, ce n’est pas les oeuvres, le résultat, c’est la foi. La foi qui sauve. Et donc il est sauvé, bien qu’il ait apparemment failli dans sa mission.

L’autre fils, lui a refusé l’ordre de son père. Cela c’est le péché, le péché contre l’Esprit saint. Le rejet de Dieu. Après quoi, certes, il a changé d’avis. Il a fait le travail demandé, mais « pris de remords », parce qu’il l’a bien voulu. Péché d’orgueil peut-être…

Le pasteur Louis Pernot a tracé un parallèle avec la question de la charité envers des mendiants. Un homme perd une pièce de monnaie, et un mendiant la trouve. Selon le judaïsme traditionnel, cet homme sera crédité quand même d’une bonne action, puisque, sans le vouloir, il a aidé un SDF, comme nous disons aujourd’hui.
Un autre homme est ému par le sort d’un mendiant. Il s’approche et lui dit : Mon pauvre ami, je vais te donner quelque chose. Mais il s’aperçoit qu’il a oublié son porte-monnaie. Il présente ses excuses et s’en va. Il n’a rien donné, mais il a par son intention accompli la volonté de Dieu. Les SDF n’ont pas de « sabots » pour les cartes bancaires… Je vous en reparlerai …
Nous sommes sauvés par la foi, par nos intentions, notre volonté, pas par le résultat, pas par les « oeuvres ».
Cela permet de comprendre les versets suivants, et notamment cette allusion aux collecteurs d’impôts et aux prostituées, incompréhensible dans la lecture traditionnelle de la parabole. Qu’est-ce que ces pécheurs viennent faire là ? Ces gens, que Jésus défend régulièrement, semblent comme le premier fils de la version « alternative », ne pas faire la volonté de Dieu, mais ils voudraient le faire et n’y parviennent pas. C’est bien pourquoi Jésus en général les préfère aux « Pharisiens », qui prétendent servir Dieu et n’essaient même pas de le faire.

Puisque nous sommes au milieu d’un échange entre Jésus et les prêtres (sans doute des Saducéens) à propos du Baptiste, il faut nous rappeler que nombreux étaient les juifs du peuple qui allaient se faire baptiser par Jean, et donc les collecteurs d’impôts (agents au service de l’occupant romain) et les prostituées aussi. Jean ne les a peut-être pas convertis, mais ils voulaient faire le Bien, entrer dans le projet de Dieu. Ils sont allés se faire baptiser. C’est ce qui leur vaudra d’entrer dans le Royaume de Dieu avant les prêtres et les « pharisiens hypocrites ». Ces derniers, au contraire des collecteurs d’impôts et des prostituées, n’ont en effet pas dit « oui » à Dieu, tout comme le second fils, puisqu’ils ont refusé le Baptiste.

Quelle est alors la « bonne parabole » ? Les deux sans doute. Elles semblent s’opposer, mais elles sont complémentaires.
La foi sauve. Les oeuvres sans la foi ne valent rien. Mais la foi sans les oeuvres, c’est insuffisant.
Le protestantisme n’oppose pas la foi et les oeuvres, comme on voudrait nous caricaturer. Le protestantisme a seulement inversé la priorité. Nous ne faisons pas les bonnes oeuvres pour être sauvés, nous ne marchandons pas avec Dieu. Nous accomplissons les « bonnes oeuvres » (si tant est ..) PARCE QUE nous sommes sauvés. Ce sont pas les actions justes qui font l’homme juste, c’est l’homme juste qui fait des actions justes.

Conclusion

Nous aimons citer, avec ironie, une phrase de Boileau : Tout protestant est Pape, sa Bible à la main. Boileau le disait dans une perspective critique pour moquer notre revendication au « libre examen » des Ecritures.
Mais Boileau avait tort. Il plaquait un concept catholique d’autorité pontificale sur la théologie réformée.

En réalité, la Bible n’est pas univoque. Elle est d’une extraordinaire richesse, d’une extraordinaire complexité si l’on n’y prend garde, et si l’on s’y plonge sans réflexion.
La vérité du monde où nous vivons, elle, est complexe. Et la Bible reflète cette complexité par sa richesse et ses apparentes contradictions. Et elle nous apprend à réfléchir.
Il ne faut surtout pas la prendre au pied de la lettre, sinon nous sombrons dans cette complexité, ces apparentes contradictions.
La capacité de lire, la capacité d’interpréter appuient notre capacité à vivre, à voyager vers le Royaume. Nous venons de le voir avec cette double lecture de la parabole des deux fils.
L’autorité des Ecritures n’est pas une autorité dogmatique, une règle abolue : C’est dans la Bible !
C’est une autorité que nous pouvons et devons interroger, creuser à tout moment. Le monde que nous connaissons n’est plus le monde de David, des prophètes, de Jésus. Mais la Bible, elle, est toujours présente, et tout comme le monde a changé, le sens que nous donnons aux Ecritures aussi change.
Mais toujours avec humilité, car dans le futur, d’autres interprétations se feront jour, plus adaptées au monde à venir. Et toujours, toujours en nous rappelant que nous voyageons sur le chemin de la Grâce.