Prédication du 19 septembre 2021

de Didier You

La parabole des talents

Lectures bibliques

Josué 24, 11-13

11 Vous avez passé le Jourdain et vous êtes arrivés à Jéricho. Les maîtres de Jéricho vous firent la guerre – l’Amorite, le Perizzite, le Cananéen, le Hittite, le Guirgashite, le Hivvite et le Jébusite –, mais je les livrai entre vos mains. 
12 J’envoyai devant vous les frelons qui les chassèrent loin de vous, les deux rois des Amorites ; ce ne fut ni par ton épée ni par ton arc. 
13 Je vous ai donné un pays où tu n’avais pas peiné, des villes que vous n’aviez pas bâties et dans lesquelles vous habitez, des vignes et des oliviers que vous n’aviez pas plantés et vous en mangez les fruits !

Marc 9, 30-37

30 Partis de là, ils traversaient la Galilée et Jésus ne voulait pas qu’on le sache. 
31 Car il enseignait ses disciples et leur disait : « Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, lorsqu’il aura été tué, trois jours après il ressuscitera. » 
32 Mais ils ne comprenaient pas cette parole et craignaient de l’interroger.

33 Ils allèrent à Capharnaüm. Une fois à la maison, Jésus leur demandait : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » 
34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils s’étaient querellés pour savoir qui était le plus grand. 
35 Jésus s’assit et il appela les Douze ; il leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » 
36 Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux et, après l’avoir embrassé, il leur dit : 
37 « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même ; et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »

Matthieu 25, 14-30

14 « En effet, il en va comme d’un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens. 
15 A l’un il remit cinq talents, à un autre deux, à un autre un seul, à chacun selon ses capacités ; puis il partit. Aussitôt 
16 celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla les faire valoir et en gagna cinq autres. 
17 De même celui des deux talents en gagna deux autres. 
18 Mais celui qui n’en avait reçu qu’un s’en alla creuser un trou dans la terre et y cacha l’argent de son maître. 
19 Longtemps après, arrive le maître de ces serviteurs, et il règle ses comptes avec eux. 
20 Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança et en présenta cinq autres, en disant : “Maître, tu m’avais confié cinq talents ; voici cinq autres talents que j’ai gagnés.” 
21 Son maître lui dit : “C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai ; viens te réjouir avec ton maître.” 
22 Celui des deux talents s’avança à son tour et dit : “Maître, tu m’avais confié deux talents ; voici deux autres talents que j’ai gagnés.” 
23 Son maître lui dit : “C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai ; viens te réjouir avec ton maître.” 
24 S’avançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit : “Maître, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas répandu ; 
25 par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre : le voici, tu as ton bien.” 
26 Mais son maître lui répondit : “Mauvais serviteur, timoré ! Tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé et que je ramasse où je n’ai rien répandu. 
27 Il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers : à mon retour, j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt. 
28 Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. 
29 Car à tout homme qui a, l’on donnera et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré. 
30 Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents.”

Prédication

Introduction

« La parabole des Talents, la dernière, la plus terrible, avant la trahison de Judas et le reniement de Pierre ».

C’est ainsi que s’exprime Jean Rochefort, se sentant mourir, dans « Le Crabe-Tambour », le film de Pierre Schoendorfer. En effet, cette parabole peut être qualifiée de « terrible », le 3ème serviteur étant envoyé en enfer, sans avoir rien fait de mal. Dans le film, cela dit, le sens de la parabole est très simplifié. Le « talent », dans le texte, mesure d’argent d’environ 15.000 €, est ramené au « talent », à la compétence, à l’aptitude. Moralité – simpliste : il faut exploiter ses dons, ses compétences. On se contente donc du cas du 3ème serviteur.

C’est évidemment beaucoup plus compliqué que cela. Les paraboles sont pour la plupart très complexes. Lorsqu’elles paraissent simples, il faut se méfier. Jésus l’a dit souvent, en allusion à Esaïe : je m’exprime en paraboles, de peur qu’ils ne comprennent et se convertissent (sous-entendu : avant l’heure de la Résurrection, c’est lié au thème du « secret messianique »). Seuls les apôtres ont le droit de comprendre et Jésus leur en explique plusieurs. Ils comprennent souvent de travers d’ailleurs… Et puis, cette explication simple ne satisfait guère : doit-on vraiment exploiter un talent, une aptitude à la dissimulation, à la manipulation, à l’escroquerie ?

Oublions le « secret messianique ». Nous qui sommes déjà « convertis », en principe, nous pouvons essayer de comprendre plus avant …

Si cette parabole devait être prise plus ou moins au premier degré, on aurait pu s’attendre à un autre développement : Au retour du Maître, le premier serviteur, satisfait de ses 5 talents, n’a rien fait, et le troisième a péniblement obtenu un demi-talent de plus. Le Maître alors fait donner au 3ème les 5 talents du premier. Cela au moins, c’eût été « évangélique », redistributif … social !

Comment donc approcher cette anecdote surprenante et « terrible », autrement que comme un précis de gestion financière ? D’ailleurs la façon dont les deux premiers serviteurs ont doublé leurs pécules n’a guère d’importance. On ne sait même pas si c’est de façon honnête !

Vous avez noté l’avant-dernière phrase, très étrange : « À tout homme qui a, on donnera et il sera dans la surabondance, et à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré ». J’y reviendrai.

Cette sentence évoque des versets un peu ressemblants dans Luc (12, 48) :  » À qui l’on a beaucoup donné, on redemandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage ». Ni Jésus, ni Luc ne radotent : ces deux propositions diffèrent : dans un cas, on a donné, dans l’autre, on a confié. Il y a une différence entre un don, un cadeau, et le fait de confier en gérance.

Je crois qu’il y a là une clé pour approcher notre parabole, dont le texte n’est pas très clair sur ce point.

Remarquons que les « talents » en question ne sont pas qu’une somme d’argent ni une compétence. Cela représente tout ce que le maître remet. Le « maître », c’est Dieu comme toujours. Les « talents » représentent tous les dons de Dieu : argent, bien sûr, compétences aussi. Mais en outre, vie, pardon… la grâce.

Les talents seulement « confiés » en gérance

Dans cette hypothèse, les « talents » ne sont pas donnés aux serviteurs pour qu’ils en fassent ce qu’ils veulent. Ils sont remis selon un mandat pour qu’ils les fassent fructifier et les remettent au maître in fine. C’est tout-à-fait logique et usuel. Tout ce qui nous est donné, nous ne le possédons pas vraiment. Nous ne l’emporterons pas au Paradis. Un linceul n’a pas de poches… Vous connaissez ces expressions.

C’est donc là une responsabilité, une charge, une mission. Dès le début, le maître remet des talents à ses trois serviteurs, « selon leurs capacités », à gérer évidemment. Ce qui prouve que le Maître est un bon juge des compétences. Mais, celui qui est en mesure de gérer 5 talents, se retrouve finalement avec 11 talents : les 5 du début, les 5 qu’il a gagnés en sus et le talent du « mauvais serviteur ». Il va devoir gérer plus du double de ce que ses compétences lui permettent. Ce n’est pas un cadeau, une prime, une récompense. C’est une charge supplémentaire. Serait-ce l’origine du « principe de Peter » ? Ce premier serviteur va devoir en faire bien plus en termes de gestion. Le double de ce qu’il a fait, … et en sus ce que le troisième n’a pas fait ! Ce n’est pas parce que certains ne font rien de bien que nous devons les ignorer. Le 3ème serviteur n’a rien fait de bien. Le premier va devoir faire ce que le 3ème n’a pas fait. Nous devons faire la part de travail de ceux qui se laissent aller à la paresse, à la facilité ou qui sont incompétents ou malchanceux. Dieu nous demande beaucoup. De mauvais esprits y verraient de l’assistanat !

Une remarque incidente sur le deuxième serviteur. On l’oublie souvent. Il semble être là pour faire nombre. On a tendance à le négliger, entre le premier et le troisième. Un peu comme les histoires drôles : trois hommes sont dans un avion… et un peu comme Jack et William Dalton, coincés entre Joe, le petit méchant et Averell le grand bêta. Morris, le dessinateur de Lucky Luke, a reconnu que parfois, il confondait Jack et William.

Ce deuxième serviteur pourtant, est intéressant. Il a reçu deux talents, il en rapporte quatre. S’il n’hérite pas du talent du troisième serviteur, il n’en est pas moins félicité exactement dans les mêmes termes que le premier : « C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai ; viens te réjouir avec ton maître ». Pour Dieu, ce n’est pas la quantité qui prime, ce ne sont pas les « œuvres », c’est la qualité, l’effort, l’intention.

Les talents donnés

Dans cette autre interprétation, les talents sont donnés définitivement. Il ne semble en effet pas qu’ils soient restitués. Les deux premiers serviteurs les gardent, tout comme ils gardent les fruits de leur spéculation et de leur travail. Seul le troisième serviteur, le « mauvais », rend au maître ce qui lui a été remis. Sa faute, elle est là. Elle consiste à refuser le cadeau de Dieu, la grâce. Il n’a rien fait de mal, mais il n’a rien fait de bien non plus.

Dieu nous demande d’agir, d’oser pour prendre part à sa volonté. Il nous demande d’accepter ses dons, d’en jouir, sans culpabilité; et de les faire grandir en nous pour qu’il y ait plus à donner à autrui.

Vous avez noté l’excuse que présente le troisième serviteur : « Je sais que tu es un homme dur (âpre au gain, selon les traductions) ; tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas répandu ». Si l’on garde en mémoire que le « maître » dans les paraboles, c’est Dieu, ce troisième serviteur blasphème ainsi contre l’Esprit (le seul péché impardonnable selon Marc). Il sera jeté en « enfer », « dans les ténèbres du dehors : il y aura des pleurs et des grincements de dents ».

Ces reproches faits au maître, à Dieu, donc, paraissent étranges. J’ai trouvé un précédent : dans le livre de Josué (24,13) : l’Éternel se glorifie d’avoir donné à son peuple « un pays où tu n’avais pas peiné, des villes que vous n’avez pas bâties et dans lesquelles vous habitez, des vignes et des oliviers que vous n’aviez pas plantés, et dont vous mangez les fruits ». C’est la conquête de Canaan. On voit que le 3ème serviteur a visé juste dans sa description de Dieu ou de sa conception de Dieu, celle du premier Testament. Dieu dans cette conception est le Dieu du seul peuple élu. Il leur donne un pays… pris à d’autres …

Bref : Le troisième serviteur a refusé le don de Dieu. Il n’a pas fait confiance à Dieu (la foi, c’est étymologiquement la confiance). Il voit en Dieu un maître cruel et malhonnête. Ce n’est pas la paresse son péché, c’est le rejet de Dieu.

C’est ce qui explique cet étrange verset final : « A tout homme qui a, on donnera, et il sera dans la surabondance; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré ».

Comment peut-on retirer à quelqu’un ce qu’il n’a pas ?

C’est que ce serviteur avait quelque chose, mais ne le savait pas. Il avait un talent, qui lui avait été donné en toute propriété, mais il n’a pas compris qu’il le possédait, ou bien il n’en a pas voulu. On lui retire ce qu’il avait, parce qu’il ne savait pas qu’il l’avait et en tous cas, l’a refusé.

Nous avons tous des « talents », des richesses, matérielles ou non. Il faut apprendre à les voir, les reconnaître, et construire dessus.

Conclusion

Quelle est la bonne analyse ? Les deux sont pertinentes bien sûr. Tout ce que nous avons dans la vie constitue à la fois une responsabilité et une grâce.

Dans les deux cas, il faut en être conscient et utiliser ce que nous avons dans le projet de Dieu, sa volonté dynamique et active. Et surtout utiliser ce que nous avons au service d’autrui, dans l’amour du prochain.

L’amour du prochain, la redistribution, n’est pas dans la parabole, c’est vrai. Mais les paraboles ne disent pas tout. Elles sont insérées dans un ensemble, celui de l’enseignement du Christ. Il faut savoir extrapoler un peu en les resituant dans les leçons de l’Évangile.

C’est cela accomplir la phrase de Charles Wagner : L’homme est une espérance de Dieu. Dieu nous a confié ou donné. Il espère que nous en serons conscients et redistribuerons à notre tour à nos frères en humanité.