Prédication du 4 septembre 2022

de Dominique Hernandez

La sagesse d’Abigaïl

Lecture : 1 Samuel 25

Introduction

Nous lisons ce matin le deuxième volet du triptyque constitué par les chapitres 25, 26 et 27 du premier livre de Samuel. Ces trois chapitres, dont nous lirons le dernier dimanche prochain se situe dans le récit biblique un peu avant la mort du roi Saül. Saül n’est plus le roi choisi par l’Éternel qui, par le prophète Samuel, a fait oindre David comme roi. Mais Saül règne toujours, rempli de jalousie contre David qu’il cherche à capturer et à faire périr. David lui a échappé et 600 hommes se sont ralliés à lui, des partisans ou des mécontents. 

Au chapitre 25, nous avons lu dimanche dernier la première partie du triptyque, où David, réfugié dans une grotte avec ses hommes, les a empêchés de tuer Saül, puis a assuré le roi de sa fidélité et de son respect. Saül a regretté sa violence, a reconnu que David sera roi et un meilleur roi que lui ; puis les deux hommes se sont séparés.

Lecture biblique

1 Samuel 25

1 Samuel mourut. Tout Israël se rassembla pour se lamenter sur lui, et on l’ensevelit chez lui, à Rama. C’est alors que David descendit au désert de Parân.

2 Il y avait à Maôn un homme qui avait ses activités à Carmel. C’était un homme très important, il avait trois mille moutons et mille chèvres. Or il se trouvait à Carmel pour la tonte de ses moutons.
3 Le nom de cet homme était Nabal, et le nom de sa femme était Abigaïl ; c’était une femme de bon sens et fort belle, mais l’homme était dur et mauvais dans ses agissements. Il descendait de Caleb.
4 David apprit, au désert, que Nabal tondait ses moutons.
5 Il lui envoya dix de ses gens, auxquels il dit : Montez à Carmel. Vous irez chez Nabal et, en mon nom, vous lui demanderez comment il va.
6 Vous lui direz : Pour la vie, que tout aille bien pour toi, pour ta maison et pour tout ce qui t’appartient !
7 A présent, j’ai appris que tu as les tondeurs. Or tes bergers ont été avec nous ; nous ne les avons pas inquiétés, et rien ne leur a été enlevé pendant tout le temps qu’ils ont été à Carmel.
8 Demande-le à tes gens, ils te le diront. Que mes gens trouvent donc grâce à tes yeux, puisque nous venons un jour de fête ! Donne-nous donc, je te prie, pour nous qui sommes tes serviteurs et pour David, ton fils, ce que tu as sous la main.

9 Lorsque les gens de David furent arrivés, ils parlèrent exactement ainsi à Nabal, au nom de David. Puis ils se turent.
10 Nabal répondit aux serviteurs de David : Qui est David, et qui est le fils de Jessé ? Il y a aujourd’hui beaucoup d’esclaves qui s’enfuient de chez leurs maîtres !
11 Je prendrais mon pain, mon eau et la viande que j’ai préparée pour mes tondeurs, et je les donnerais à des gens dont je ne sais même pas d’où ils sont ?

12 Les gens de David rebroussèrent chemin ; ils revinrent et, à leur arrivée, ils lui dirent tout.
13 Alors David dit à ses hommes : Que chacun de vous mette son épée à la ceinture ! Ils mirent chacun son épée à la ceinture. David aussi mit son épée à la ceinture, et environ quatre cents hommes partirent à l’attaque derrière lui. Il en resta deux cents près du matériel.

14 Un des serviteurs de Nabal dit à Abigaïl, femme de Nabal : David a envoyé du désert des messagers pour bénir notre maître, qui les a rudoyés.
15 Et pourtant ces hommes ont été très bons pour nous ; nous n’avons pas été inquiétés, et rien ne nous a été enlevé, tout le temps que nous avons fait route avec eux, lorsque nous étions dans la campagne.
16 Ils nous ont servi de muraille nuit et jour, tout le temps que nous avons été avec eux, pour faire paître le petit bétail.
17 A toi maintenant de bien voir ce que tu as à faire, car le malheur de notre maître et de toute sa maison est résolu. Quant à lui, c’est un homme sans morale : impossible de lui parler !

18 Abigaïl prit vite deux cents pains, deux outres de vin, cinq moutons apprêtés, cinq séas de grain rôti, cent gâteaux de raisins secs et deux cents gâteaux de figues sèches, qu’elle mit sur des ânes.
19 Elle dit à ses serviteurs : Passez devant moi, je vous suis. Elle ne dit rien à Nabal, son mari.
20 Montée sur un âne, elle descendait par un versant de la montagne ; David et ses hommes descendaient en face d’elle, de sorte qu’ils la rencontrèrent.
21 David avait dit : C’est bien à tort que j’ai gardé tout ce que cet homme a dans le désert, et que rien n’a été enlevé de tout ce qu’il possède ; il m’a rendu le mal pour le bien.
22 Que Dieu fasse ceci à David et qu’il ajoute cela, si je laisse subsister jusqu’au matin un seul mâle de tous ceux qui appartiennent à Nabal !

23 Lorsque Abigaïl aperçut David, elle s’empressa de descendre de l’âne ; puis elle tomba face contre terre, prosternée, devant David.
24 Tombant à ses pieds, elle dit : A moi la faute, mon seigneur ! Laisse-moi te parler, je t’en prie, écoute mes paroles : je suis ta servante.
25 Je t’en prie, ne fais pas attention à Nabal ; c’est un homme sans morale, il est comme son nom : son nom, c’est Nabal (« Fou »), et il y a chez lui de la folie. Moi, je n’ai pas vu les gens que tu as envoyés.
26 Maintenant, par la vie du Seigneur et par ta propre vie, c’est le Seigneur qui t’a empêché de verser le sang et d’assurer toi-même ton propre salut. Que tes ennemis, que ceux qui cherchent à te faire du mal soient comme Nabal.
27 Maintenant, que le cadeau que je t’apporte soit distribué aux gens qui t’accompagnent.
28 Pardonne ma faute, je te prie. Le Seigneur t’accordera une maison stable, puisque tu mènes les guerres du Seigneur. Qu’on ne trouve donc jamais rien de mauvais en toi !
29 Si un homme te poursuit et en veut à ta vie, ta vie sera gardée précieusement auprès du Seigneur, ton Dieu ; mais tes ennemis, il les lancera au loin du creux de la fronde.
30 Lorsque le Seigneur t’aura fait tout le bien qu’il t’a promis, et qu’il t’aura institué chef sur Israël,
31tu ne risqueras pas de chanceler ou de trébucher dans ton cœur pour avoir, sans raison, répandu du sang, et pour avoir voulu assurer toi-même ton salut. Lorsque le Seigneur t’aura fait du bien, tu te souviendras de moi !

32 David dit à Abigaïl : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui t’a envoyée à ma rencontre en ce jour !
33 Béni soit ton discernement, et bénie sois-tu, toi qui m’as empêché en ce jour de verser le sang et d’assurer moi-même mon propre salut.
34 Par la vie du Seigneur, le Dieu d’Israël, qui m’a empêché de te faire du mal, si tu n’étais pas venue si vite à ma rencontre, d’ici à l’aube, il ne serait pas resté un seul des mâles de Nabal !
35 David prit ce qu’elle lui avait apporté et lui dit : Monte chez toi en paix ; regarde, je t’ai écoutée et je t’ai accueillie favorablement.

36 Abigaïl arriva auprès de Nabal ; il y avait chez lui un véritable banquet royal ; Nabal avait le cœur content, il était complètement ivre. Elle ne lui raconta rien jusqu’à l’aube.
37 Au matin, l’ivresse de Nabal s’étant dissipée, sa femme lui raconta ce qui s’était passé ; il reçut un coup au cœur et il devint comme une pierre.
38 Environ dix jours après, le Seigneur frappa Nabal, et il mourut.

39 David apprit que Nabal était mort et dit : Béni soit le Seigneur, qui a défendu ma cause dans l’outrage que m’avait fait Nabal, et qui m’a tenu à l’écart du mal ! Le Seigneur a fait retomber sur la tête de Nabal le mal qu’il avait fait. David fit demander Abigaïl en mariage.

40 Les gens de David arrivèrent chez Abigaïl à Carmel et lui parlèrent ainsi : David nous a envoyés vers toi, afin de te prendre pour femme.
41 Elle se leva, se prosterna face contre terre et dit : Je suis ta servante ; je serai une esclave pour laver les pieds de tes serviteurs, mon seigneur.
42 Abigaïl s’empressa de se relever ; elle monta sur un âne et, accompagnée de cinq jeunes filles, elle suivit les messagers de David. Ainsi elle devint sa femme.

43 David avait aussi pris Ahinoam, de Jizréel ; toutes les deux furent ses femmes.
44 Quant à Saül, il avait donné sa fille Mikal, femme de David, à Palti de Gallim, fils de Laïsh.

Prédication

Dans ce très long texte, je vous propose de suivre les prises de paroles des différents intervenants pour comprendre ce qui se joue dans le récit, mais aussi de quelle manière nous sommes informés, avisés, peut-être rendus sages, par ce que le texte révèle de ce qui travaille les humains, dans les profondeurs humaines et dans les relations.

Le premier à parler est David, qui souhaite profiter de la fête de la tonte des moutons pour obtenir pour lui et ses hommes quelques provisions de la part de Nabal, un riche propriétaire local. Si David attend ainsi de Nabal qu’il fasse profiter sa troupe des largesses de la fête, c’est en quelque sorte en rétribution de la sauvegarde des bergers et troupeaux de Nabal. David et ses hommes, 600 hommes sans terre et sans argent, n’ont pas profité de leurs armes pour voler les biens ou molester les gens de Nabal.
Curieuse manière de formuler la demande, en cherchant rétribution pour le mal qu’on n’a pas fait, même s’il y a eu aussi un service rendu…
Si l’on ajoute à cela que David ne se déplace pas en personne mais qu’il envoie 10 de ses hommes porter le message à Nabal, nous pouvons légitimement nous demander dans quel registre de relation David se situe. L’envoi de 10 hommes pour porter un seul message amplifie ce dernier et lui donne un écho presque assourdissant. Ce n’est pas la même chose d’envoyer un porte-parole dont la voix relaie celle de celui qui l’a envoyé, que d’envoyer dix hommes pour difracter une voix qui en devient dominante, supérieure à la voix de celui qui reçoit le message. David instaure un rapport de force également sensible dans les mots où plane une menace : la troupe de David pourrait bien s’en prendre aux bergers et aux troupeaux de Nabal si celui-ci ne satisfait pas à sa demande.
Bien sûr l’auteur précise que Nabal est un homme dur et mauvais. Alors comment faire avec un tel homme ? Quels autres arguments que la force pourraient le convaincre de donner de quoi boire et manger à une troupe d’hommes en fuite ?
Cependant, le chapitre 25 suivant le chapitre 24, nous nous souvenons des questions posées dimanche dernier, par exemple 

si la justice et la violence peuvent cohabiter,
si un rapport de force peut créer les conditions de la vie commune,
si un roi, car David est déjà oint donc il sera un jour le roi régnant, peut user de la force et menacer des vies humaines pour son intérêt, 

autant de questions qui valent aussi pour la vie ordinaire de celles et ceux qui ne sont ni reines ni rois. Et nous nous souvenons que la préservation de la vie d’autrui et le respect seuls permettent que l’histoire se poursuive, que l’avenir soit encore ouvert.
David, qui est dans le besoin de nourrir ses hommes même quand ce n’est pas un jour de fête, est-il tellement contrarié d’avoir à demander de l’aide qu’il le fasse de cette manière provocatrice et querelleuse ?
S’il tâche de présenter un équilibre où le bien que ses hommes ont fait devrait être payé du bien que Nabal peut leur faire, cet équilibre de réciprocité et de rétribution génère des relations de comptes, de mesures et de dettes, donc de suspicions et de menaces, donc de disputes et de conflits.
Mais qui nous doit l’aide dont nous avons besoin ? Comment supportons-nous d’avoir besoin d’aide ? Dans quoi nos demandes sont-elles enveloppées ?
Et quel droit aurions-nous sur ceux que nous avons aidés ?

Rien d’étonnant à ce que Nabal réagisse défavorablement ! Même sans être dur et méchant, bien d’autres auraient pris la mouche de se trouver ainsi embarqués dans un tel règlement de compte. Il faudrait une capacité certaine à prendre du recul, et une bonne dose d’humour pour ne pas se mettre en colère devant une telle prétention.
Ou alors il faudrait une disposition intérieure certaine à la gratitude, pour accepter de répondre à un service rendu, même en négatif. Cette gratitude qui rend généreux, hospitalier, accueillant, compatissant, partageur des fêtes. Une gratitude qui, fondamentalement, ne s’articule pas aux services rendus, mais à la vie, au fait d’être vivant et à la conviction qu’être vivant relève d’un don et non d’un dû.
Nabal n’éprouve aucune gratitude, aucune reconnaissance. Nabal parle depuis sa dureté de cœur, sa méchanceté, depuis les richesses qui sont les siennes, bien à lui : mon pain, mon eau, mes tondeurs… Nabal est l’homme du moi, l’homme du mien, et pour lui le bien ne va pas plus loin que cela, pas plus loin que lui. Et s’il s’enivre (25,36), c’est autant de son vin que de son moi lors d’un banquet, royal forcément, puisqu’il est le roi du monde, son petit monde.
Car Nabal signifie fou, insensé, et ainsi que le chante le psaume 14 : « l’insensé dit qu’il n’y a pas de Dieu » ; l’insensé, le Nabal , quel que soit son nom, parle et vit comme si Dieu n’existait pas, et au-delà de la foi ou de l’absence de foi, il vit comme si rien ne pouvait le questionner, l’interpeller, le transformer, comme s’il n’avait pas de conscience ni de ses limites, ni de l’existence d’autrui.
Nabal ne se contente pas de refuser, il le fait en termes injurieux et méprisants envers David, multipliant l’agression qu’il a perçue dans le message transmis par les 10 hommes. Qu’est-ce que le fils de Jessé ? L’homme qui fuit devant le roi Saül ne vaut rien ! Ces gens ne sont personne !
Ce n’est pas rien de considérer quelqu’un comme n’étant personne, c’est-à-dire de le déconsidérer, de le rejeter d’un regard ou d’une parole au-delà du rebord du monde sans se préoccuper de ce qui fait ou défait une existence. La considération, cette manière de regarder avec attention, c’est aussi, écrit l’essayiste Marielle Macé dans son très court mais remarquable livre Sidérer, considérer, « une perception qui prend soin de l’autre ». Rien de tel de la part de Nabal, seulement mépris et humiliation, et c’est insupportable et cela génère désespoir ou colère.

Et David se met en colère, il organise une expédition punitive contre Nabal, avec l’intention de ne pas laisser un mâle vivant. Laver l’honneur, venger l’affront, punir l’offense, éliminer – rien que de très connu, hélas !- un déchaînement de violence, parce que la violence intérieure ne demande que cela : être libérée, extériorisée. David n’hésite pas à mêler Dieu à cela – rien que de très courant, hélas ! – , se faisant en lui-même le serment solennel de tuer tous les hommes de la maison de Nabal. Agression sur agression, la violence sature ce qu’il y a entre David et Nabal sans qu’il n’y ait, ni en l’un ni en l’autre, la possibilité de bifurquer sur une voie plus modérée, la possibilité de se tenir dans un échange de paroles et encore mieux, de paroles justes. Si l’onction de Saül avait empêché David de tuer Saül, rien ne le retient vis-à-vis de Nabal.
La logique de la rétribution et de la dette, logique tellement humaine, est une logique mortifère. Nous le voyons à chaque époque, en tous lieux, en tous groupes humains, chaque fois qu’un être humain est déçu dans son attente de la récompense qu’il pense mériter, chaque fois qu’un être humain est déconsidéré, méprisé, humilié et que la reconnaissance lui est refusée. Cela ne se termine pas forcément dans le sang, mais toujours avec une rancœur, un ressentiment, une colère qui rongent le cœur et l’âme. C’est bien pourquoi la Bible hébraïque et le Nouveau Testament ne cessent de démonter les mécanismes de violence pour ouvrir la voie à la justice, à la reconnaissance, et à l’amour.

Heureusement pour David, un serviteur de Nabal explique la situation à Abigaïl, l’épouse belle et pleine de bon sens de Nabal. Un serviteur qui connaît son maître, qui explique à Abigaïl que oui, les hommes de David les ont effectivement protégés et que la situation est dangereusement envenimée. Sur la parole du serviteur, anonyme mais qui pris la responsabilité de parler, d’expliquer, qui a fait ce qu’il a pu pour éviter le massacre, Abigaïl agit, délibérément, avec courage et même audace, et avec générosité.
Abigaïl, elle, considère David : elle fait attention à lui, elle prend soin de lui, et pas seulement avec du pain, du vin, des moutons et des figues. Elle le fait aussi par ses gestes et surtout par ses paroles.
A moi la faute ! Comme c’est étrange quelqu’un qui endosse une faute qu’il n’a pas commise. Mais c’est pour Abigaïl le moyen d’aider David à prendre du recul, à changer de point de vue, à neutraliser sa colère et à dépasser son agressivité envers Nabal. D’ailleurs Nabal est fou, n’est-ce pas, alors que là, Abigaïl se tient devant David et tous les deux vont se parler, comme deux personnes responsables. Elle ne se préoccupe ni de son amour-propre ni de son quant à soi, mais de donner à David de quoi rompre avec la logique de mort dans laquelle il est entraîné. Elle reconnait le tort de Nabal et l’innocence de David, elle ne l’accuse pas d’avoir été injuste ni même excessif. Elle rappelle à David le passé, ce que l’Éternel a déjà fait pour lui et elle le tourne vers l’avenir de la fidélité de l’Éternel. Elle l’exhorte à ne pas se faire l’arbitre du conflit dans lequel il est engagé mais à remettre à Dieu tout jugement. Alors que David ne voit que son amour-propre piétiné par Nabal, Abigaïl complexifie pour lui la situation. Elle l’incite à voir le choix qui est lui posé : 

soit David persiste dans sa vengeance et avoue ainsi qu’il est plus préoccupé par le souci de vaincre l’autre que par le souci de la justice,
soit il revient de sa colère et cela sans perdre la face puisque la faute de Nabal est reconnue. 

Abigaïl lui fait comprendre que l’estime de soi n’est pas rétablie par la vengeance mais par un don, un don surabondant, le pardon.
Ce que fait Abigaïl, c’est de susciter en David le meilleur de lui-même en faisant appel à sa vocation de roi, qui est celle de tout humain et que les Écritures ne cesse de rappeler : il est possible de ne pas se venger, de ne pas se laisser aller à la violence, et cette possibilité est un véritable pouvoir ; un pouvoir pour la vie, pour les relations, pour l’avenir. Le pouvoir de limiter notre force et notre puissance, de convertir l’usage de la force en en énergie de justice, pour notre vocation d’humains à l’image de Dieu.
Alors que Nabal a choisi l’humiliation, alors que David a choisi la violence, Abigaïl choisit la reconnaissance et la réparation.

C’est bien pourquoi David reconnaît dans sa réponse que c’est l’Éternel qui a agi à travers Abigaïl, qu’elle a été témoin de la fidélité divine qui ne s’impose pas mais insiste à travers les témoins pour la vie et pour la paix qui aident ceux qui sont enfermés dans les spirales de destruction à en sortir par des paroles et des actes justes, des témoins désintéressés du souci d’eux-mêmes.
Dieu passe par Abigaïl pour toucher David, et la liberté des humains est aussi bien le passage pour Dieu qu’un obstacle à son œuvre. Tous ces témoins qui relaient l’appel divin à la justice et à la paix témoignent de l’insistance de Dieu comme de son impuissance à obliger qui que ce soit ou à imposer la justice. Nous ne sommes pas des pions dans la main d’un Dieu tout-puissant, mais nous pouvons être ceux de nos réactions et du mal qui ronge le cœur, toute une récalcitrance à la Parole de vie, récalcitrance qui accentue nos précarités. Cependant cette précarité est lieu de Dieu en l’humain, 

là où nous doutons assez de nous pour nous en remettre à la violence,
là où nos blessures, nos manques et nos peines virent à l’agressivité,
là où nos certitudes nous aveuglent,
là où nos richesses quelles qu’elles soient nourrissent surtout notre orgueil,
là où la peur imprègne et pétrifie la conscience,
là où nous pensons ne pas avoir de choix. 

Se laisser recueillir par la figure de David et par celle d’Abigaïl permet de faire face à ses propres réactions, de se souvenir de celles et ceux qui nous ont aidés à dépasser ces penchants destructeurs, et d’imaginer pour soi un cheminement semblable qui réponde et corresponde à l’appel à la justice qui « bienveille » sur les vivants.
C’est ainsi que nous vivons, en chercheurs de Dieu et de justice, en chercheurs d’humanité et de pardon, en chercheur de vie et de communion qui est encore autre chose que de vivre ensemble.

La sagesse d’Abigaïl, la sagesse des femmes et des hommes qui considèrent autrui et ainsi agissent en artisans de paix, heureuses sont-elles ! heureux sont-ils ! c’est de reconnaître les pièges mortels de la violence, même lorsqu’elle se dissimule sous divers prétextes, simplement le prétexte ou la prétention d’avoir raison.
La sagesse c’est d’écouter autrui comme de ne jamais le priver de la parole.
C’est de ne pas croire qu’on peut tout seul faire barrage à la violence, même pas la sienne.
C’est d’apprécier la réalité par rapport à la vocation de l’humain et à la divine lumière.
Remonte en paix dit David à la femme sage qui l’a rendu un peu plus sage, qui lui a évité de se perdre.
Et si le livre des Proverbes est attribué à Salomon, fils de David, David lui-même aurait ainsi pu enseigner son fils : 

Mon fils, mange du miel, c’est bon !
Le rayon de miel est doux à ton palais.
De même, connais la sagesse pour toi-même ;
si tu la trouves, tu auras un avenir
et ton espoir ne sera pas retranché.
(Pr 24,13-14)