Prédication du 26 novembre 2023
de Dominique Hernandez
Le cantique de Zacharie
Lecture : Luc 1, 66-79
Introduction
Il est question de Zacharie, prêtre du temple de Jérusalem, un homme pieux, juste, fidèle, qui est aussi l’époux d’Élisabeth. Le couple est resté sans enfants jusqu’à un âge avancé, jusqu’à ce qu’un ange annonce à Zacharie qu’Élisabeth allait enfanter. Ajoutons à cela qu’Élisabeth a pour cousine une jeune fille nommée Marie à laquelle le même ange a également annoncé qu’elle mettrait au monde un enfant qui sera appelé Fils de Dieu. Zacharie, qui doute de la possibilité qu’un enfant naisse, devient muet jusqu’à la naissance de l’enfant, un garçon dont le nom ordonné par l’ange est Jean. Le jour de la circoncision de l’enfant, qui est aussi le jour où il est nommé, Élisabeth indique que son nom est Jean, à la surprise de l’assemblée qui s’attendait à ce que l’enfant soit nommé comme son père selon la coutume. Zacharie toujours muet écrit qu’il en est ainsi, que le nom de l’enfant est bien Jean, et cette écriture lui redonne voix, Zacharie se met à louer Dieu.
Lecture biblique
Luc 1, 66-79
66 Tous ceux qui en entendaient parler les prirent à cœur et dirent : Que sera donc ce petit enfant ? En effet la main du Seigneur était avec lui.
67 Zacharie, son père, fut rempli d’Esprit Saint et prophétisa en ces termes :
68 Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, De ce qu’il a visité et racheté son peuple,
69 Et nous a procuré une pleine délivranceDans la maison de David, son serviteur,
70 Comme il en avait parlé par la bouche de ses saints prophètes depuis des siècles,
71 La délivrance de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent.
72 Ainsi fait-il miséricorde à nos pères Et se souvient-il de sa sainte alliance.
73 Selon le serment qu’il a juré à Abraham, notre père.
74 Ainsi nous accorde-t-il, après avoir été délivrés de la main de nos ennemis, de pouvoir sans crainte
75 Lui rendre un culte dans la sainteté et la justice, en sa présence, tout au long de nos jours.
76 Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; Car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer ses voies,
77 Pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon de ses péchés,
78 Grâce à l’ardente miséricorde de notre Dieu. C’est par elle que le soleil levant nous visitera d’en haut
79 Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mortEt pour diriger nos pas dans le chemin de la paix.
Prédication
La voix retrouvée de Zacharie s’élève dans la bénédiction de l’Éternel pour la visite de Dieu. Cette expression de foi : Dieu visitant, Dieu visiteur, venue des Écritures hébraïques est articulée à la fois sur le souvenir et sur le présent et cela, dans l’interprétation des événements et des situations que Zacharie effectue.
Zacharie se souvient. C’est ce que son nom signifie, Zacharie est l’homme qui se souvient, qui fait mémoire. Il faut parfois du temps pour faire mémoire, et cette remontée de la mémoire, ou cette plongée dans la mémoire occupe une bonne partie du psaume de Zacharie, des pères dont bien sûr Abraham est le plus grand, aux prophètes, de l’alliance à la délivrance et au culte rendu. Il faut du temps pour que la mémoire vienne à la surface et imprègne la conscience jusqu’à faire advenir un sens qui éclaire le présent.
Zacharie fait mémoire parce qu’un enfant est né. Et certes, il en naît des enfants, il y en avait deux tout tout-petits hier au temple, des enfants pour lesquels une mémoire sera nécessaire, sans complaisance, afin qu’ils soient ancrés et ne partent pas à la dérive dans les tempêtes qui agiteront leur temps et qui affecteront leur existence. Il ne s’agit pas d’une mémoire de faits, mais d’une mémoire pour faire sens, un faire mémoire qui éclaire le présent de sorte qu’il ne soit pas condamné à la répétition ou au ballottement permanent au gré d’impératifs d’immédiateté, de bon plaisir ou de réaction sans réflexion.
Le faire mémoire de Zacharie fait éclore le motif de la visite de Dieu pour rendre compte du sens que prend pour lui la naissance de l’enfant, depuis la fidélité passée de Dieu et au-delà de la naissance de Jean, vers la prochaine visite divine, la prochaine manifestation de la miséricorde divine, un soleil levant, le Seigneur du salut.
Le motif de la visite rassemble la miséricorde, l’alliance, la bienveillance, ces mots qui reviennent plusieurs fois dans le cantique de Zacharie et qui interpellent encore celles et ceux qui s’efforcent de relier leur actualité et leur foi, le présent et le sens.
Miséricorde : compassion, pitié, pardon, où y en a-t-il pour les hommes et les femmes d’Ukraine et de Russie, de Palestine et d’Israël, des pays du Sahel et de Somalie ?
Alliance : avec l’exigence de se relier en paix au bénéfice des deux parties de l’alliance.
Bienveillance : cette considération d’autrui pétrie de bonté et d’attention, y compris, surtout quand l’autre est différent et même s’il est extrêmement proche.
En se souvenant, dans son faire mémoire, Zacharie évoque
- ce qui constitue son peuple, d’exode en exil, de la libération de l’esclavage à la foi pensée et vécue à nouveau après la défaite du royaume de Juda et la destruction du premier temple. À quoi s’adossent les fidélités quand vient le temps de l’épreuve ? A quoi s’arriment ce qui persévère et ce qui est renouvelé quand les repères ont cédé ?
- Et puis le nom donné, ordonné à son fils : Jean, ce nom rappelle la colombe envolée de l’arche, après le déluge, la destruction, l’anéantissement, la colombe envolée et revenue porter une feuille, l’humble signe que la vie redevenait possible. De ces signes-là, modestes souvent, négligés parfois, l’aspiration à vivre, à bâtir, à créer, à se rassembler puise l’ampleur, la profondeur, l’intensité qui engage à agir, à être présent au monde.
- Et encore le nom de Jean porte celui de Jonas dont la proclamation de destruction de Ninive conduira à la conversion et au salut des Ninivites. La méchanceté et la violence n’ont pas forcément le dernier mot parce qu’au commencement, au fondement du monde confesse le premier chapitre de la Genèse, c’est le mot BON qui donne le rythme de la Création. Il importe de s’en souvenir quand vient le temps du malheur pour lui résister de l’intérieur.
Dieu a visité son peuple se souvient Zacharie, et une autre visite se prépare, don de miséricorde, d’alliance, de bienveillance qui féconde l’existence humaine comme il en a été pour la jeune Marie, ainsi qu’il en est pour toute existence visitée. Ce dont parle le motif de la visite de Dieu, c’est de l’éveil, de la résurrection (c’est le verbe grec qui est utilisé dans le cantique) d’une force de salut, ou pour le dire autrement, de l’ouverture d’une destinée malgré un destin déjà tout tracé.
C’est bien ce qui est écrit au sujet d’Abraham à qui Dieu dit : Va, quitte ton pays, le lieu de ton origine et la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai (Gn 12,1). Contre les destins, les déterminismes, les enchaînements, les incarcérations, les fatalités, contre les idéologies, les dominations, les oppressions, la visite divine opère une libération, un affranchissement, un élargissement.
Et cela vaut déjà pour l’enfant de Zacharie, dont l’annonce de la naissance a provoqué le mutisme de son père, qui ne porte pas le nom de son père, qui ne sera pas prêtre comme son père, qui ne suivra pas un chemin tout tracé mais préparera la voie à un autre. Jean vivra une existence indépendante de celle de son père, indépendante de ses origines, de sa famille et de ses coutumes et traditions.
Il en sera de même d’ailleurs pour le visiteur qui vient, Jésus, qui ne sera pas charpentier ni le fils de sa mère ou le frère de ses frères et sœurs, il en trouvera, il en recevra d’autres.
Mais pour le moment Zacharie s’efface, tout prêtre juste et fidèle qu’il est, il s’efface déjà devant son fils et devant ce que signifie la naissance de son fils.
D’ailleurs il tout de même remarquable que pour l’évangéliste Luc, dans les deux premiers chapitres du récit, les hommes ne tiennent pas la première place : ce sont les femmes et les enfants d’abord…
Zacharie fait passer vers un temps nouveau dont il ne mesure pas exactement la qualité mais il fait passer, il ne retient pas, il ne s’arcboute pas sur ce qu’il connaît, il se met au service de l’avenir. Transmettre la mémoire qui fait sens ne peut servir de prétexte pour obliger autrui ni l’avenir, car la mémoire qui fait sens le fait pour du nouveau, pas pour un retour vers le passé ni pour la préservation de l’identique. Zacharie ne peut pas imaginer comment le soleil levant qui vient fera toutes choses nouvelles. L’homme qui se souvient, qui rend présente la fidélité de Dieu, laisse la place à ceux qui viennent après lui, il ne pèse pas sur l’avenir au sujet duquel il prophétise, et en cela aussi, Zacharie est juste et sage. Et ce n’est pas parce qu’il est âgé, mais parce qu’il se confie en Dieu qui visite, Dieu de miséricorde, d’alliance, de bienveillance.
Se souvenir des divines visites, c’est se souvenir de la bonté, de l’amour. La mémoire du faire mémoire est celle de l’amour qui insiste, de l’amour qui suscite à nouveau, ressuscite celles et ceux qui sont aimés. Se souvenir de l’amour qui insiste pour ne pas capituler devant les puissances de mort.
Car il y en a des puissances qui humilient, qui détruisent, qui réduisent l’humanité. Le psaume les désigne : ennemis, haine, crainte, ténèbres, ombre de la mort. Pour Zacharie, c’est en particulier l’occupation romaine. L’évangéliste Luc pense aussi à celles et ceux qui sont en proie à de la violence parce qu’ils placent leur confiance dans le Dieu de Jésus-Christ, c’est-à-dire parce qu’ils puisent le sens de leur existence non dans leur puissance personnelle même si elle est minuscule, mais dans la grâce d’être aimé, d’être relié, en Christ, à Dieu.
Cependant, là où Zacharie attend un Dieu puissant, plus fort que les armées d’occupation, Jésus révèle un Dieu dont la puissance est celle de son irréductible proximité avec les humbles et les humiliés, un Dieu dont la puissance ne s’exerce jamais par l’usage de la violence mais par la libération de la vie, de la possibilité de la vie, et un Dieu qui ne choisit pas un peuple contre un autre.
Parce que c’est là le salut des humains et du monde, ce qui sauve les humains et le monde : la délivrance, la miséricorde, l’alliance, la sainteté, la justice, le pardon, le soleil levant, la paix. Nous pourrions dire autrement : le souci des plus faibles, le soin des vulnérables et des humiliés, la reconnaissance d’autrui, la douceur, l’amour. Personne n’est sauvé par l’écrasement d’un autre.
Le soleil levant, qui visite d’en haut les éclaire tous, nous éclaire tous car personne n’est condamné aux ténèbres ni à l’ombre de la mort.
Le cantique de Zacharie nous encourage. Il nous rappelle, il nous aide à faire mémoire des visites de Dieu, de l’amour qui a insisté, de la bonté qui a éclot en nous, autour de nous, afin que nous puissions résister à la haine, à l’oppression en nous, autour de nous.
Nous n’attendons plus le soleil levant, le visiteur annoncé est déjà venu manifester la grâce et le pardon des péchés disent Zacharie et après lui Jean, c’est-à-dire que Dieu donne par-dessus ce qui en nous veut vivre sans Dieu, ce qui en nous a peur de Dieu. Le visiteur annoncé est déjà venu donner à la miséricorde, à l’alliance et à la bienveillance la forme et le sens de la vie donnée.
C’est pourquoi, aujourd’hui, c’est lui qui dirige nos pas dans le chemin de la paix.