Prédication du 20 octobre 2019

Le combat de Jacob

de Didier You

Lectures : Genèse 32, 23-33 ; Matthieu 6, 5-8 ; Luc 18, 1-8 (texte du jour)

Lectures

Genèse 32, 23-33
Jacob lutte avec Dieu

23 Il se leva cette nuit-là, prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants, et passa le gué du Yabboq.
24 Il les prit, leur fit passer l’oued et fit aussi passer ce qui lui appartenait.
25 Jacob resta donc seul. Alors un homme se battit avec lui jusqu’au lever de l’aurore.
26 Voyant qu’il ne pouvait l’emporter sur lui, il le frappa à l’intérieur de la cuisse ; et l’intérieur de la cuisse de Jacob se démit pendant qu’il se battait avec lui.
27 Il dit : Laisse-moi partir, car l’aurore se lève. Il répondit : Je ne te laisserai pas partir sans que tu m’aies béni.
28 Il lui demanda : Quel est ton nom ? Il répondit : Jacob.
29 Il reprit : On ne te nommera plus Jacob, mais Israël ; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu l’as emporté.
30 Jacob lui demanda : Je t’en prie, dis-moi ton nom. Il répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? Et il le bénit là.
31 Jacob appela ce lieu du nom de Peniel (« Face de Dieu ») ; car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face, et j’ai eu la vie sauve.
32 Le soleil se levait lorsqu’il passa Penouel. Jacob boitait à cause de sa cuisse.
33 C’est pourquoi, jusqu’à ce jour, les Israélites ne mangent pas le tendon qui est à l’intérieur de la cuisse ; car il avait atteint Jacob à l’intérieur de la cuisse, au tendon.

Matthieu 6, 5-8
La manière de prier

5 Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui se plaisent à prier debout dans les synagogues et aux coins des grandes rues, pour se montrer aux gens. Amen, je vous le dis, ils tiennent là leur récompense.
6 Mais toi, quand tu pries, entre dans la pièce la plus retirée, ferme la porte et prie ton Père qui est dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
7 En priant, ne multipliez pas les paroles, comme les non-Juifs, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés.
8 Ne faites pas comme eux, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez.

Luc 18, 1-8 (texte du jour)
La parabole du juge et de la veuve

1 Il leur disait une parabole, pour montrer qu’il faut toujours prier, sans se lasser.
2 Il dit : Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et qui n’avait d’égard pour personne.
3 Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire : « Rends-moi justice contre mon adversaire ! »
4 Pendant longtemps il ne voulut pas. Mais ensuite il se dit : « Bien que je ne craigne pas Dieu et que je n’aie d’égard pour personne,
5 néanmoins, parce que cette veuve m’importune, je vais lui rendre justice, de peur que jusqu’à la fin elle ne vienne me casser la tête. »
6 Le Seigneur ajouta : Entendez ce que dit le juge injuste.
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ceux qu’il a choisis, alors qu’ils crient vers lui jour et nuit ? Il les ferait attendre ?
8 Je vous le dis, il leur fera justice bien vite. Mais quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?

Prédication

INTRODUCTION

Le texte du combat de Jacob au gué du Yabboq, affluent du Jourdain, est assez connu, dans la peinture notamment. Ce thème a inspiré nombre de peintres anonymes qui ont décoré les églises avec ce corps à corps entre un homme, Jacob, et un ange. Rembrandt, Delacroix, Gauguin, l’ont aussi traité.

Si je l’ai choisi aujourd’hui, c’est que … je ne l’ai jamais bien compris. Je me suis dit que si j’en faisais le sujet d’une prédication, cela me forcerait à y réfléchir, à faire des recherches. Et ces recherches m’ont confirmé dans cette appréciation. Les théologiens en ont proposé des interprétations très divergentes. Et la plupart ont souligné sa difficulté. Une citation : « Ce passage n’est pas facile à interpréter » Benoît XVI …

Les difficultés débutent avec le titre. On dit : le combat avec l’ange. Il n’y a pas d’ange dans le texte que je viens de lire. Le combattant est nommé assez explicitement au final comme étant Dieu. Mais, les peintres avaient peut-être des difficultés à représenter Dieu se livrant à la lutte avec Jacob. Le prophète Osée, bien plus tard, résumant la vie de Jacob, a écrit que Jacob avait lutté contre Dieu, et contre un ange. On a gardé l’ange.

Ce passage est aussi difficile à lire. Comme vous savez on ne peut nommer Dieu directement dans le Premier Testament. Et les phrases et propositions commencent, lorsque Dieu est le sujet, par « il ». Ce qui fait que l’on croit parfois qu’il s’agit de Jacob. Arrivés au bout de la phrase, nous comprenons avec un peu de décalage.

Et puis, qu’est-ce que cette histoire ? Dieu prend forme humaine et va attaquer Jacob nuitamment. Le combat dure toute la nuit. Dieu, comprenant qu’il ne va pas avoir le dessus, ce qui est étrange, blesse Jacob en lui déboîtant le fémur. Et Jacob, ainsi réduit à l’impuissance maintient pourtant son agresseur qui lui demande de le lâcher. Jacob demande alors à Dieu – qui ne s’est pas encore identifié – de le bénir. Et Dieu le bénit en lui disant que désormais Jacob s’appellera Israël.

Ce dernier point est relativement clair : Jacob devient Israël. C’est la première apparition du mot Israël dans la Bible. Ce mot, dans ses racines hébraïques, signifierait « Dieu est fort ». Et Jacob est ainsi, via ses 12 fils, l’ancêtre des 12 tribus d’Israël et de tout le peuple juif.

Pour y voir un peu plus clair, je vous propose de nous pencher quelques instants sur la destinée de Jacob d’abord, puis sur le combat lui-même, et enfin sur cette mystérieuse blessure en haut de la cuisse.

JACOB

Jacob est le fils d’Isaac et donc le petit-fils d’Abraham. Il a un frère jumeau, Esaü, frère jumeau considéré comme l’aîné car il est sorti le premier du sein maternel. Le nom de Jacob vient de racines hébraïques qui signifient « talon ». En effet, Jacob, dans le ventre de Rebecca, s’est agrippé au talon de son frère Esaü au moment de la naissance.

Mais, le nom de Jacob a d’autres racines hébraïques, signifiant « fraude », « tromperie ».

Et en effet, Jacob va commettre quelques tromperies. Abusant de la faiblesse et de l’appétit de son frère Esaü, il va lui racheter son droit d’aînesse contre un plat de lentilles. L’expression est passée dans le langage courant.

Plus tard, à l’instigation de sa mère Rebecca, qui le préfère, Jacob va se faire passer pour son frère aîné auprès de leur père Isaac, devenu aveugle, pour obtenir la bénédiction paternelle.

Esaü, furieux, décide alors de tuer Jacob. Rebecca, informée, envoie Jacob chez son frère à elle, Laban. Là, Jacob va être exploité 14 ans par son oncle, et il va épouser deux des filles de Laban, et incidemment, faire des enfants aux servantes de son épouse Rachel, stérile (en parallèle avec la progéniture d’Abraham). Finalement, Rachel enfantera Joseph. C’est une autre histoire …

Jacob va encore une fois « ruser ». Laban lui ayant promis les petits à naître de ses troupeaux si il sont tachetés, Jacob va user de magie et faire accoucher aux brebis et aux chèvres des petits tachetés. A noter que Jacob rend ainsi la monnaie de sa pièce à Laban, qui avait dissimulé les femelles tachetées pour ne pas respecter sa promesse.

Puis, l’Eternel intimera en songe à Jacob, qui a ainsi fait fortune, de retourner en Canaan chez Isaac. Jacob réunit femmes et enfants, ainsi que ses troupeaux et il est parti retrouver son père et son frère.

Mais Jacob est resté inquiet sur les intentions d’Esaü, qui pouvait avoir encore un fort désir de vengeance, même une vingtaine d’années plus tard, et était venu à sa rencontre avec 400 hommes. Ce pourquoi Jacob a fait traverser le Yabboq à toute la caravane, avec en tête des messagers chargés de présents pour son frère. Jacob reste alors seul au bord du fleuve… Et je vous ai lu ce qui s’est déroulé.

Incidemment, je « spoile » : les feux frères vont se réconcilier.

LE COMBAT

Bien des commentateurs ont repris l’hypothèse que ce combat n’était qu’un rêve. Après tout, Jacob est coutumier du fait. Il a rêvé juste après son départ de Canaan, vous vous souvenez, de l’échelle qui conduit au Ciel, « l’échelle de Jacob », et de la promesse que lui fit Dieu à ce moment.

Il est assez compréhensible qu’un rêve illustre les soucis que le rêveur a eus dans le jour. Jacob, appréhendant ses retrouvailles avec son frère, a pu rêver qu’il affrontait la vengeance d’Esaü ou la Justice divine.

Mais cela me paraît un peu banal et « psychologique ».

Ce combat est évidemment symbolique, qu’il s’agisse d’un rêve ou non. Il n’a jamais eu lieu.

Mais de quoi est-il le symbole ? Quand sommes-nous confrontés seul à seul avec Dieu ? Lors de la prière. C’est dans la prière que nous nous remettons à Dieu, entièrement. Le thème du bon combat de la prière, on va le retrouver dans les épîtres de Paul à Timothée. C’est pourquoi je vous ai lu aussi deux textes du Nouveau Testament où il est question de la prière.

Et Jacob, qui a « vaincu » son adversaire malgré sa blessure, lui révèle son nom. Dans la Bible, comme chez les tribus amérindiennes (Little Big Man), et chez les scouts aussi, on garde secret son nom. Donner son nom, c’est se mettre à la disposition de l’autre.

Et là, bien des choses s’expliquent. Dieu sait que devant une prière sincère, il « n’aura pas le dessus ». Jacob ne peut qu’obtenir le pardon de ses fautes. Dieu sait qu’il va pardonner et même bénir Jacob, comme il l’a promis lors du songe de l’échelle. Et Dieu inflige cette blessure afin que Jacob, béni, devenu ancêtre du peuple juif, conserve néanmoins, après la grâce divine, le souvenir de ce qui s’est passé, et de ses faiblesses humaines.

Et de plus, Jacob obtient sans fraude cette fois, la bénédiction qu’il avait obtenue de son père en se déguisant. Il la demande en face, ayant donné son nom, à celui aux mains de qui il vient de se remettre, et qui ne s’est pas encore identifié. Si c’est une prière, Jacob sait à qui il a à faire.

L’auteur a dû estimer qu’un combat corps à corps était plus fort dramatiquement… Les peintres lui ont donné raison.

La prière demande confiance, proximité, presque un corps à corps avec Dieu, avec un Dieu bénissant qui reste mystérieux et apparaît inaccessible. Ce combat qui dure toute la nuit, c’est la longue nuit de la recherche de Dieu, c’est la nuit de la prière qui demande avec persévérance à Dieu sa bénédiction.

LA BLESSURE A LA CUISSE

Cette blessure spécifique, que signifie-t-elle ?

Le texte propose un commentaire : ce serait l’origine d’un interdit alimentaire. Depuis ce jour, il est interdit aux Juifs de manger le nerf sciatique qui est à l’emboîture de la hanche. Je me demande quel gastronome pourrait être frustré de ne pouvoir manger le nerf sciatique ou le tendon (selon les traductions) de la cuisse de n’importe quel animal. Ce n’est pas mangeable !

Il faut donc trouver d’autres explications.

La situation de cette blessure, en haut de la cuisse, près des parties génitales, a conduit certains à une explication psychanalytique : c’est un complexe de castration. Mais … à ce moment, Jacob a déjà eu onze enfants. Il en aura encore. Un complexe de castration ne devrait pas l’atteindre.

Il y a deux autres explications bien plus séduisantes. L’une est assez ésotérique et étrange. Dans la Genèse, la cuisse, symbole de force et de détermination, est un muscle fort, c’ est le lieu du serment. Nous, nous jurons la main sur le coeur ou sur la tête d’un être cher. Dans la Genèse, on jure en mettant la main sous la cuisse de celui qui reçoit le serment. Abraham fait ainsi jurer son serviteur de ne pas choisir comme épouse pour son fils Isaac une Cananéenne, une étrangère. Jacob, lui-même, mourant, fait promettre à Joseph de ne pas l’enterrer en Egypte : « Si j’ai trouvé grâce à tes yeux, mets ta main sous ma cuisse ».

Et c’est bien d’un serment qu’il s’agit ici. En frappant, en touchant, Jacob à la cuisse, Dieu renouvelle la promesse faite à Abraham, et à Jacob lui-même lors du rêve de l’échelle : Jacob/Israël sera le père d’un grand peuple.

Autre explication, tirée du langage courant : Dieu a « touché un nerf ». Il a frappé là où ça fait mal. Jacob a en quelque sorte vécu dans le déni de sa faute envers son frère Esaü. Cette blessure le rappelle à la réalité. Dieu met à nu ce qui nous fait mal, afin que, reprenant conscience de notre faiblesse, nous abandonnions tout orgueil et acceptions la vraie puissance, celle qui vient de Dieu.

CONCLUSION

Pour conclure, je voudrais revenir un peu à Esaü et aux rapports entre les deux frères. C’est quand même Esaü la victime. C’est lui qui a souffert des agissements de son frère. En l’occurence, son préjudice est minime, puisque Jacob enfui, Esaü reste seul avec ses parents.

Dans un autre conflit fraternel de la Bible, Abel a eu moins de chances …

Toutefois, Esaü paraît un peu balourd. Vendre son droit d’aînesse contre un plat de lentilles, c’est une faiblesse morale. On comprend qu’il ne mérite pas de devenir le 3ème grand patriarche. Vous connaissez l’expression : le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob …

Je songe à un autre conflit entre frères, celui que Jésus nous rapporte dans la « parabole du fils prodigue » dans l’Evangile selon Luc. Dans les deux cas, c’est le cadet le méchant, le mauvais fils. Dans la parabole, le cadet part à l’étranger et se ruine au jeu ou avec des femmes de mauvaise vie, « dans la débauche » dit le texte, alors que Jacob revient riche. Mais la conclusion est semblable. Le père, Dieu le Père ou le père génétique, néglige ou semble négliger, le « bon fils » pour le « mauvais » au retour de celui-ci : Jacob devient le 3ème grand patriarche. L’autre père, lui, tue le veau gras pour faire la fête.

Comme quoi, il n’y a pas tant de différences entre les deux Testaments. C’est le thème de la brebis perdue : « Ton frère était mort, il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ».

On peut, comme le frère aîné de la parabole, trouver cela injuste. Mais comme l’a dit Jésus, le médecin ne vient pas pour les bien-portants. Les derniers seront les premiers.

Je vois là un signe d’espérance (levez les yeux…). Le fils débauché et prodigue découvre qu’il aurait dû espérer que l’on tuerait le veau gras pour lui. Jacob, le trompeur, l’aigrefin, peut espérer ainsi béni, devenir le 3ème patriarche, l’ancêtre du peuple juif. Dieu est l’espérance des hommes, certes, mais comme le disait le pasteur Wagner, l’homme est l’espérance de Dieu. Dieu met son espérance en Jacob, malgré ses torts, en nous. Ne le décevons pas …

Amen

Chants

Psaume 32 : Heureux celui dont la faute est remise

Cantique 272 : O mon Père, ma prière …

Cantique 266 : O Jésus mon frère …