Prédication du 21 février 2021

Le Décalogue

de Didier You

Lectures : Ex 20, 1-21 ; Marc 1, 12-15  (texte du jour)

Lectures

Exode 20, 1-21

1 Alors Dieu prononça toutes ces paroles :

2 Je suis le SEIGNEUR (YHWH), ton Dieu ; c’est moi qui t’ai fait sortir de l’Egypte, de la maison des esclaves.

3 Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi.

4 Tu ne te feras pas de statue, ni aucune forme de ce qui est dans le ciel, en haut, de ce qui est sur la terre, en bas, ou de ce qui est au-dessous de la terre, dans les eaux.
5 Tu ne te prosterneras pas devant ces choses-là et tu ne les serviras pas ; car moi, le SEIGNEUR (YHWH), ton Dieu, je suis un Dieu à la passion jalouse, qui fais rendre des comptes aux fils pour la faute des pères, jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me détestent,
6 mais qui agis avec fidélité jusqu’à la millième génération envers ceux qui m’aiment et qui observent mes commandements.

7 Tu n’invoqueras pas le nom du SEIGNEUR (YHWH), ton Dieu, pour tromper : le SEIGNEUR ne tiendra pas pour innocent celui qui invoquera son nom pour tromper.

8 Souviens-toi du sabbat, pour en faire un jour sacré.
9 Pendant six jours tu travailleras, et tu feras tout ton ouvrage.
10 Mais le septième jour, c’est un sabbat pour le SEIGNEUR, ton Dieu : tu ne feras aucun travail, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni les immigrés qui sont dans tes villes.
11 Car en six jours le SEIGNEUR a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, et il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le SEIGNEUR a béni le sabbat et en a fait un jour sacré.

12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que le SEIGNEUR, ton Dieu, te donne.

13 Tu ne commettras pas de meurtre.

14 Tu ne commettras pas d’adultère.

15 Tu ne commettras pas de vol.

16 Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.

17 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui appartient à ton prochain.

18 Tout le peuple voyait : les coups de tonnerre, les éclairs, le son de la trompe, la montagne fumante. Le peuple vit ; ils tremblèrent et se tinrent à distance.
19 Ils dirent à Moïse : Parle-nous toi-même, et nous écouterons ; mais que Dieu ne nous parle pas, de peur que nous ne mourions.
20 Moïse dit au peuple : N’ayez pas peur ; c’est pour vous mettre à l’épreuve que Dieu est venu ; c’est pour que vous ayez la crainte de lui, afin que vous ne péchiez pas.
21 Le peuple se tenait à distance ; mais Moïse s’approcha de l’obscurité épaisse où était Dieu.

Marc 1, 12-15
(texte du jour)

12 Aussitôt l’Esprit le chasse au désert.
13 Il passa quarante jours dans le désert, mis à l’épreuve par le Satan. Il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient.

14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée ; il proclamait la bonne nouvelle de Dieu
15 et disait : Le temps est accompli et le règne de Dieu s’est approché. Changez radicalement et croyez à la bonne nouvelle.

Prédication

INTRODUCTION

John Shelby Spong est un évêque anglican américain – à la retraite. Même Évêque, c’est une figure du protestantisme libéral. Il a écrit plusieurs livres, une vingtaine, dont une demi-douzaine traduits en français,  que je vous recommande : ils sont brillants et très clairs. Dans l’un d’eux, il rapporte une expérience qu’il a menée un dimanche, en tournée dans son diocèse. Se livrant à une prédication « interactive », il a demandé qui dans l’assistance pensait que les Dix Commandements avaient encore de l’importance. Évidemment, toutes les mains se sont levées. Il a alors demandé si quelqu’un voulait bien les réciter… Toutes les têtes se sont baissées… Il a alors suggéré que l’assistance les cite un par un. Ils en ont trouvé 9. Personne n’a pensé à « Tu ne prendras pas le nom de l’Éternel ton Dieu en vain », Commandement en effet assez flou.
Mais les fidèles en ont cité deux autres : Tu aimeras Dieu de toute ton âme, de tout ton cœur, de toute ta pensée et de toute ta force » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Je vous les ai rappelés dans la liturgie. Ils sont bien dans les deux Testaments, mais pas dans le Décalogue.
Les Dix Commandements sont pourtant le cœur de la Loi, avec majuscule. Nombre  de nos églises, temples et synagogues les reproduisent sur leurs murs. C’est le socle de nos croyances.
Si ces Commandements sont célèbres, mais si mal connus, même de pratiquants, sont-ils si « importants » aujourd’hui ?
Je vous propose de les reprendre un par un.

LES 10 COMMANDEMENTS

1 et 2  Tu n’auras pas d’autres Dieux et Tu ne feras pas de statues…

Il s’agit donc du monothéisme et de la condamnation de l’idolâtrie. C’est en effet capital. C’est notre identité religieuse, notre essence, que nous soyons juifs, chrétiens et même musulmans. Mais, il y a 2500 ans, la question était encore plus brûlante. Israël était entouré de pays polythéistes et idolâtres. D’où ce caractère fondamental, impératif, vital, identitaire.
Dans le Premier Testament, c’est ce qui provoque à maintes reprises la colère de l’Éternel, lorsqu’un Roi ou le peuple « sacrifie aux Baals » (les dieux païens), ou épousent des païennes.
Aujourd’hui, le monde a changé. Nous ne sommes plus dans la même situation. Ces deux Commandements n’ont plus autant d’originalité. Ils servent encore dans des polémiques entre les trois monothéismes. Les Juifs reprochent aux chrétiens d’avoir fait de Jésus un Dieu et aux musulmans d’avoir divinisé Mohamed. Les protestants, les juifs, les musulmans ironisent sur le goût des catholiques ou des orthodoxes pour les statues et les icônes de la Vierge, du Grand Saint Pierre ou de Sainte Radegonde…
Cela devient anecdotique, et ne touche plus aux fondamentaux de la foi. Les guerres de religion sont finies heureusement.

3 : Tu ne prendras pas le nom de l’Éternel ton Dieu en vain

Nous retrouvons ce Commandement oublié par les fidèles ce jour-là. Quel est l’interdit visé ? Le blasphème ? Cela ne semble pas correspondre. Le juron ? Quand on se cogne le petit orteil contre un meuble, on s’écrie Nom de Dieu. On voit mal l’utilité de consacrer un Commandement à une telle vétille. Les faux prophètes ?
Je crois qu’il faut à nouveau se reporter 2500 ans en arrière. Tout le monde ou presque était illettré. Donc, pour une vente, une association, une location, on ne rédigeait pas de contrat. On « topait » ! Et on prenait Dieu à témoin de sa bonne foi. Donc ce Commandement oblige au respect de la parole donnée devant Dieu. C’est très bien. Mais, c’est un peu dépassé : maintenant, nous signons des contrats, parfois devant notaire. Nous ne prêtons plus serment devant Dieu que pour les mariages ou les baptêmes. Le Président des USA prête serment sur la Bible… Ce n’est pas rien mais ce n’est plus très proche de la vie quotidienne. Ce Commandement ne nous parle plus qu’à l’occasion. C’est peut-être pourquoi il a été « oublié » ce jour-là.

4 : Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier

Cette institution du Sabbat rappelle le septième Jour, le samedi, lorsque Dieu s’est reposé après avoir créé le monde en six jours. Dans le Deutéronome, c’est une autre explication : c’est en souvenir de l’esclavage en Égypte.
Ce Commandement est très respecté par les Juifs, mais il a été carrément abandonné par les chrétiens, ou plutôt déformé. Nous avons choisi le dimanche et non le samedi. Le dimanche, premier jour de la semaine, jour de la Résurrection de Jésus. Un peu comme si nous avions dit à Dieu : le samedi, cela ne nous arrange pas, disons le dimanche…
Donc Commandement écarté…

5 : Honore ton père et ta mère

Quoi de plus normal ? De plus moral ?
Mais… si vous suivez l’actualité, nous sommes confrontés à des faits divers horribles. Des parents ont abusé sexuellement ou commis des actes de violence, jusqu’au meurtre sur leurs enfants. Il y a eu récemment des statistiques terrifiantes. A l’occasion d’un fait très médiatisé, on a fait des études : 10% de victimes d’actes incestueux !
Dieu pardonne… mais les victimes doivent-elles honorer leurs bourreaux ? Vous voyez que ce Commandement doit être pris avec pragmatisme et un certain relativisme.

6 : Tu ne commettras pas de meurtre

Je préfère la vieille traduction : Tu ne tueras point. Parce que « meurtre », c’est une qualification juridique restrictive.C’est peut-être le plus connu… Mais, le moins respecté ! Les juifs comme les chrétiens ont mené des guerres tout au long des siècles. Le Livre de Josué est le récit d’un génocide – commis au nom de Dieu peu après que la Loi ait été donnée au peuple élu. Qu’on ne me traite pas d’antisémite : je sais que le Livre de Josué n’a guère de valeur historique.
Toutes ces guerres de conquête, ces guerres de religion, ces guerres civiles entre croyants d’une même religion ! Tant de massacres, tant d’horreurs ! Spong rappelle que durant la guerre de Sécession, les deux généraux en chef, Grant et Lee, priaient le même Dieu, avec la même Bible ! Les historiens estiment que nous vivons la période la plus pacifiée de l’Histoire de l’humanité…
Et à un niveau quantitatif moindre, la peine de mort existe encore dans des pays se disant chrétiens ! Elle n’a commencé à reculer qu’au XXème siècle. Vous connaissez le terrible bilan des derniers mois du Président américain sortant : 13 condamnés sacrifiés à ses électeurs… pour rien.
Ce 6ème Commandement est donc très important, certes, mais … bien méprisé.

7 : Tu ne commettras pas d’adultère

Revenons à un sujet plus léger… Je vois des sourires. En effet, l’adultère est vu de façon ambivalente : atteinte aux valeurs de la famille, violation d’un serment devant Dieu, et… le théâtre de boulevard.
Vous connaissez la vieille plaisanterie, sans doute à peine moins vieille que le Livre de l’Exode : Moïse descend du Mont Sinaï avec les Tables de la Loi. Il annonce au peuple rassemblé : J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que j’ai discuté, et il n’y a que 10 Commandements. La mauvaise, c’est que l’adultère y figure encore.
D’ailleurs, dans le monde païen, le cocu a toujours été un personnage comique. Ce qui s’est transmis au théâtre médiéval, jusqu’à notre « boulevard ».
C’est un Commandement parfaitement éthique. J’espère que vous en serez d’accord, il proclame les valeurs familiales, et il est cité entre le meurtre et le vol. Mais la condamnation sociale a bien reculé. Jusqu’en 1975, en France, l’adultère de l’épouse était un délit, passible de prison (l’époux n’encourait qu’une amende, et encore : il fallait qu’il ait installé sa maîtresse au domicile conjugal !).
C’est toutefois encore une faute pouvant entraîner un divorce aux torts de l’époux infidèle. C’est ce que j’ai expliqué à une collègue, substitute du Procureur, qui me posait la question, alors que j’étais Juge aux affaires familiales… Elle me posait la question de façon détachée, nonchalante. J’ai su après que cette collègue avait une liaison avec un officier de gendarmerie… Si même les procureurs et gendarmes ne respectent pas ce Commandement !
Je connais un cas. Dans un couple que je connaissais, le mari, plus âgé et cardiaque, et à qui certaines activités conjugales étaient déconseilées par la Faculté, avait autorisé son épouse à prendre un amant. Tout le monde s’en est bien trouvé, même l’époux trompé, car l’harmonie régnait au domicile conjugal… Est-ce si « immoral » ?
Et quand on se souvient que l’adultère de la femme était, au temps de Jésus, puni de la lapidation, on peut se réjouir que ce Commandement ait perdu de sa pertinence. Je parle des pays chrétiens…

8 : Tu ne commettras pas de vol

Encore un Commandement dont la valeur éthique est évidente.
Mais… Quand Jean Valjean vole un bout de pain, parce qu’il n’a pas d’argent, est-ce un péché ? Le péché n’est-il pas plutôt dans un système qui opprime les gens, les affame et les contraint à voler ?
Il ne s’agit pas que de littérature. Au XIXème siècle, et je ne sais pas si Hugo en a eu connaissance, une femme avait volé de la nourriture pour nourrir ses enfants. Le Tribunal l’a relaxée, sur la base juridique de « l’état de nécessité ». Il n’y a pas infraction si l’infraction permet d’éviter un dommage ou un trouble à l’ordre public plus grave, en l’espèce mourir de faim. Elle a donc été relaxée, et les médias de l’époque ont salué la décision du « bon juge »… ce qui fait plaisir.
J’ai eu à connaître de deux cas semblables : dans ces deux cas, une femme avait volé de la nourriture, parce qu’elle était entièrement démunie. Les deux Tribunaux saisis les ont relaxées sur la base de la jurisprudence du « bon juge ». Le Procureur a fait appel. On ne va pas autoriser les « misérables » à manger sans payer ! Ce procureur ne s’appelait pas Javert. La Cour les a quand même condamnées, à des peines symboliques. Elles avaient volé, l’une quelques kilos de viande, l’autre du saumon fumé et du Champagne… Les pauvres ne seraient-ils autorisés à ne voler que du pain, rassis de préférence ?

9 : Tu ne feras pas de faux témoignage

Alors, là… Je dois avouer que je n’ai rien à dire pour relativiser ce Commandement. Le faux témoignage, en ce qu’il peut envoyer un innocent en prison, est inacceptable.
Encore peut-on objecter qu’il est de « pieux mensonges » et que la politesse nous fait parfois déguiser nos pensées. « Cette soirée était charmante, et le repas succulent »… Mais cela ne relève pas vraiment du « faux témoignage contre le prochain ».

10 :  Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain …

Voici encore un Commandement problématique. Il semble faire doublon avec l’interdiction du vol. Cela dépend de ce que l’on entend par « convoiter ». S’agit-il de l’intention de voler ? C’est peu vraisemblable. Et il y a le faux témoignage entre le vol et la convoitise. On doit plutôt comprendre « envier », « jalouser ».
La jalousie est un vilain défaut dit-on. Mais nous vivons maintenant dans un système capitaliste libéral. Et vouloir acheter la même voiture ou la même maison que son voisin, c’est un puissant moteur pour travailler, produire, contribuer à la croissance économique du pays. C’est plutôt positif.
On cite souvent la phrase de François Guizot, ministre de Louis-Philippe – et il était protestant : Enrichissez-vous ! Le meilleur aiguillon n’est-il pas justement de « convoiter » ?
C’est un peu matérialiste, pas très chrétien, mais en dehors des biens matériels, vouloir faire aussi bien que les autres, est-ce condamnable ?

CONCLUSION

Que reste-t-il de ces paroles éternelles, absolues, censées avoir été écrites par le doigt de Dieu ? Pas grand chose. Des Commandements un peu dépassés, voire oubliés et méprisés, ou devant supporter des exceptions notables.
Je ne pense pas que quiconque croit encore que cela s’est passé comme dans le film de Cecil B. DeMille : un trait de feu (le doigt de Dieu) gravant dans la pierre Sa divine volonté. C’est qu’en outre, il y a deux versions, peu différentes mais différentes quand même, dans l’Exode et dans le Deutéronome. Dans une nouvelle version cinématographique, « Exodus », on voit seulement Moïse graver au burin sous la dictée d’un ange.
On en retient la leçon qu’il ne faut pas prendre la Bible au pied de la lettre. La Bible, ce n’est pas directement la Parole de Dieu. C’est la façon dont les hommes d’il y a bien longtemps ont compris cette Parole et l’ont retranscrite au cours d’un petit millénaire, selon les circonstances culturelles et socio-économiques qu’ils connaissaient.

Et surtout … Il reste les deux Commandements que les paroissiens de Spong ont « ajoutés » au Décalogue : l’amour pour Dieu et pour le prochain. Ces deux Commandements sont les plus grands, et tous les autres en découlent, le rappelle Jésus (Matthieu), et ils résument tous les autres, le précise Paul (Romains). Si on aime son prochain, en effet, on ne le tue pas, on ne le vole pas, on ne le dénonce pas injustement. Et les Commandements sont respectés …
Vous avez peut-être remarqué que les Dix Commandements sont des interdits : Tu ne travailleras pas le samedi, Tu ne tueras pas … Mais il y a une exception Tu honoreras ton père et ta mère … C’est la seule.
Les deux Commandements « additionnels » sont, eux, positifs « Tu aimeras .. » Cela permet d’élargir la consigne. Cela veut dire : Tu aideras les pauvres, les SDF qui meurent dans nos rues, les malades, les prisonniers, les étrangers qui se noient en Méditerranée… » Ces commandements induits ne figurent pas dans les dix « canoniques ». Mais ils figurent dans le message du Christ.
Je dois révéler une supercherie : Je vous parle depuis 20 minutes de dix Commandements et de deux autres. Notez que ce n’est pas à l’impératif, mais au futur. Ce ne sont pas vraiment des Commandements, ce sont des promesses, des annonces. « Décalogue » signifie précisément « dix paroles ».
Dieu ne nous donne pas des Commandements, des ordres. Il nous annonce, il nous promet ce que nous allons faire. Il le fait parce qu’il a foi en nous. L’homme est une espérance de Dieu, disait Charles Wagner. Grâce à cela, au-delà du caractère faussement immuable des textes bibliques, grâce à cette conviction et à l’amour du prochain, nous pouvons approcher en respectant les annonces de Jésus la plénitude de Dieu, nous devenons à l’image de Dieu, à l’imitation de Jésus-Christ; nous avons le courage d’embrasser la vie, de faire croître l’amour. Mais ce n’est pas pour respecter un Commandement, un ordre. Nous le faisons parce que nous sommes humains. Ainsi nous serons proches du divin et encore plus humains.