Prédication du 26 avril 2015

de Philippe Vollot

Le fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu

Lectures : Ezechiel 34, 11-16, Luc 19, 1-10

Chants : Psaume 8, 1-2-3-4-5-6 (Ton nom, Seigneur est un nom…) ; 249, 1-2-3 (Sur ton Eglise universelle…) ; 41-04, 1-2-3-4 (Grand Dieu, nous te louons…)

Cette affirmation « le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » trouve souvent place dans la liturgie après la confession des fautes, parmi les paroles de pardon, mais on en oublie sa signification profonde, et l’on passe à côté de la Parole vivante du Christ pour aujourd’hui.

Ce matin, cette phrase retrouve sa place comme conclusion du texte qui lui a donné naissance, elle nous parvient dans son contexte et pourrait bien alors prendre vie et s’enraciner en nous à travers cette aventure qui nous fait rencontrer Zachée.

Zachée, ce pourrait être un contemporain âgé d’une cinquantaine d’années, avec une position sociale en vue. Issu d’une famille chrétienne, il aurait été baptisé et aurait fait sa communion. C’est un homme auquel il est arrivé pas mal de choses dans la vie professionnelle comme dans la vie personnelle, et il joue un rôle important dans des milieux financiers où les scrupules sont souvent faibles, et les profits élevés. Et la richesse lui donne toute la prestance d’un rang social envié, que sa petite taille ne lui aurait pas permis d’atteindre sans le prestige que confère l’argent.

A cause de cette disgrâce physique, mal vécue à une époque où tout le monde doit être jeune et beau, et à cause même de sa réussite financière qui suscite pas mal de jalousie et de critiques, notre ami se sent probablement mal aimé des milieux bien pensants comme des milieux défavorisés. C’est donc un homme mal vu de ses semblables, un homme pas très recommandable.

A l’époque du Christ, c’est exactement la même chose.

Zachée est certes de la descendance d’Abraham, mais il est aussi et surtout chef des collecteurs d’impôts au service de l’occupant romain. Autrement dit, il collabore avec l’ennemi et a construit sa fortune au détriment du peuple juif dont il est issu. C’est dire que c’est un homme sans scrupule, sans amour pour les autres, et que sa notoriété tient exclusivement à sa richesse. Et si son statut social lui permet sans nul doute d’être reconnu, il ne lui permet pas d’être aimé.

Et cette immense solitude qui réside en lui explique certainement pourquoi Zachée, piqué par la curiosité de voir ce Jésus dont on parle tant, autour duquel se rassemblent des pauvres, des malades, des blessés de la vie, grimpe dans un sycomore sans crainte des moqueries, ni de la haine d’une foule qui le déteste.

Et de la fraîche spontanéité de cette escalade surgit l’inattendu, la joie, la conversion.

Mais la question qui nous vient à l’esprit, c’est de savoir si cette rencontre qui a eu lieu entre Jésus et Zachée est avant tout une leçon de morale. Si la fameuse parole « le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » est la simple conclusion d’un retour à l’honnêteté. Et si la place que nous lui assignons après une confession des fautes est la meilleure pour elle.

Je dois vous avouer que cette interprétation moralisante me laisse quelque peu perplexe, car cette histoire n’a rien de moral au sens classique du terme, bien au contraire. En effet, nous sommes en présence d’un homme riche et malhonnête, qui ne cherche pas à voir Jésus pour dialoguer avec lui, mais en présence d’un homme qui est guidé par un simple mouvement de curiosité.

Et bien c’est précisément chez cet homme que le Christ prend le risque de s’inviter, au détriment immédiat des pauvres et des affligés qui le réclament, alors que Zachée lui, n’exprime aucun repentir.

Décidément, l’Evangile nous surprendra toujours, tant nous sommes habitués par la liturgie, dimanche après dimanche, à entendre le pardon de nos fautes après que nous les ayons reconnues.

Mais à travers cette interrogation, aussi légitime soit-elle, sommes-nous bien des enfants de la Réforme ? Avons-nous bien compris le sens profond du message évangélique ? Reprenons pour ce faire chaque étape de notre texte.

Tout d’abord le regard de Zachée, qui cherchait à tout prix à voir qui était ce Jésus qui défrayait tant la chronique.

Il est frappant de constater l’importance du croisement de ces regards. Regard curieux de Zachée sur Jésus. Regard amusé et attendri de Jésus sur cet homme qui a bravé le ridicule.

Et c’est dans cette rencontre inattendue des regards que tout se noue. Que Jésus-Christ voit en Zachée, qu’il connaît de réputation, non plus un collecteur d’impôts collaborateur de l’occupant, mais avant tout un fils d’Abraham, un homme comme les autres.

Ainsi, Jésus nous appelle à voir en chaque être humain, non pas un individu défini par son statut social et ligoté par son passé, mais une personne, créée par Dieu à son image, un être libre qui, même s’il a mal agi, demeure toujours capable du meilleur pour peu que nous l’aidions à le découvrir en lui, plutôt que de l’accabler de reproches.

Zachée fait d’ailleurs une démarche très audacieuse : il se place sur le trajet d’un homme qui n’a rien de commun avec lui… Mais une réponse immédiate et directe est tout de suite donnée à sa curiosité, une réponse qui est également une demande. Jésus, en dépit de toutes les convenances, s’invite chez lui.

Et non seulement Zachée ne se dérobe pas devant cet homme étrange qu’il n’aurait pas songé une minute à inviter de peur d’être accablé de critiques et confronté à un refus public, mais en plus il assume avec une joie qui fait plaisir à voir.

Et c’est dans le même mouvement, sans reprendre souffle, que Zachée lance une phrase étonnante, qui traduit une conversion radicale et va très loin sur le chemin d’un engagement.

Maintenant, en face de l’envoyé du Seigneur, en face du Christ, il s’engage à donner la moitié de sa fortune aux pauvres. Pour ceux qu’il a abusés, quatre fois plus, ce qui est bien davantage que ce que la Loi ordonne.

La curiosité puis la joie de Zachée sont sans réserves, comme celles d’un enfant. Sa montée sur le sycomore, son regard attentif, sa hâte à redescendre pour recevoir Jésus chez lui, sa spontanéité, décrivent l’homme qu’il est devenu : un homme nouveau, un homme libéré de son péché par la parole de Jésus s’invitant chez lui.

Zachée vit maintenant intensément et découvre la joie de donner à foison. Il n’est plus esclave de ses biens, car il est transporté d’allégresse par le don du pardon que Dieu lui fait à travers Jésus son Christ.

Cet homme qui s’est libéré de sa faute grâce à sa rencontre avec Jésus, et qui sacrifie librement et joyeusement une partie de ses biens, doit être un exemple pour chacun d’entre nous.

« Le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu »

Cette belle affirmation, je dirai donc non, pas après une confession de nos fautes, mais plutôt dans une confession de foi, comme une certitude, comme l’inauguration d’une vie nouvelle, comme l’assurance que Dieu nous a aimés le premier.

Avec cette rencontre de Zachée et de Jésus, on a en effet largement dépassé une leçon de moralité et de simple retour à l’honnêteté.

Une histoire morale aurait été une invitation lancée par Zachée à Jésus, que celui-ci aurait acceptée après que notre homme eût reconnu ses fautes et se fût engagé à verser quelqu’argent aux pauvres et à rembourser ceux qu’il avait volés.

Mais nous aurions été alors dans une théologie selon laquelle il faut faire de bonnes actions pour être sauvés. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que cette vision des choses n’est pas la nôtre.

Pour nous, protestants, c’est l’inverse.

Nous ne faisons pas le Bien pour que Dieu nous sauve et nous pardonne dans une espèce de marchandage sordide, mais parce que nous savons qu’Il nous a déjà sauvés et pardonnés, et que nous voulons Lui manifester notre reconnaissance et être les témoins de Sa grâce à travers le Bien que nous faisons.

C’est parce que l’Eternel est à l’initiative de ce pardon que nous ne nous méritons pas, que nous essayons en permanence de nous convertir au Bien en paroles et en actes.

De même c’est parce que Jésus a pris l’initiative de s’inviter chez Zachée, que celui-ci s’est engagé en paroles et en actes.

Zachée était malhonnête dans les affaires d’argent ? Et bien il devient plus qu’honnête dans les relations humaines. Il construit concrètement le Royaume de Dieu en donnant au-delà de ce qu’exigerait la simple justice.

Jésus de Nazareth provoque cette conversion radicale en répondant à son regard curieux par un regard bienveillant, en s’invitant chez lui contre toute convenance, en s’invitant chez quelqu’un de mal vu des disciples et des pauvres, des infirmes, et des éclopés de la vie.

Mais les riches et les gens malhonnêtes n’ont-ils pas également besoin d’un regard gentil, d’une parole aimable et sincère, pour se sauver de leur attachement obsessionnel à l’argent ?

Jésus a invité Zachée à effectuer ce choix par une parole, une parole inattendue : « hâte-toi de descendre, car il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison ».

Zachée répond librement à cette invitation, se hâte de descendre de son arbre, et accepte avec joie de recevoir Jésus chez lui, au grand mécontentement de la foule qui le suit et qui murmure, comme nous l’aurions certainement fait : « il est allé loger chez un homme pécheur ! »

C’est alors que Zachée se tenant devant le Seigneur s’engage à remettre aux pauvres la moitié de ses biens, et à rembourser au quadruple ceux auxquels il a pu faire tort.

Et Jésus déclare alors devant les assistants médusés par tout ce qui vient d’arriver : «  le salut est entré aujourd’hui dans cette maison parce que celui-ci aussi est un fils d’Abraham. »

Le Christ souligne ainsi, à travers cette formule, que rien n’est jamais perdu, qu’il demeure possible à tout moment, de revenir sur le chemin du Bien. Dans le présent, aujourd’hui même, il est possible de renoncer à ses erreurs, de faire quelque chose de bien, à condition d’en prendre la décision, tout de suite.

En effet, à trop vouloir soupeser, à trop vouloir réfléchir, on ne vit qu’à moitié, on ne vit qu’en partie, on se ronge peu à peu, on vivote dans la tiédeur si souvent dénoncée par le Christ qui nous dit : « Quand vous parlez, dites oui ou non ; tout le reste vient du Malin. »

Mais si l’on sait les discerner et les saisir, il y a beaucoup de moments proposés par le Seigneur, beaucoup de passages possibles du Mal au Bien, de passages du renfermement sur soi-même à l’ouverture vers les autres, là où s’enflamme l’existence, cette existence où le Christ est venu réellement, et vient encore chaque jour chercher et sauver ce qui était perdu, c’est-à-dire ce qui était loin de Dieu, et loin des autres.

C’est sur le chemin du retour, comme le fils perdu retrouvant le chemin de la maison de son père, que le Christ veut nous placer, non pas seulement sur la voie qui se limiterait à un repentir stérile, mais sur celle qui s’ouvre sur une vie nouvelle.

En fait, il y a beaucoup de distances à parcourir, de fossés à franchir, de séparations à effacer d’avec Dieu, d’avec les autres, d’avec nous-mêmes.

Beaucoup de blessures de la vie peuvent nous tenir à distance. Mais contre tout ce qui nous divise au plus profond, Jésus est celui qui met fin à la séparation, qui efface cette distance, et qui comble les fossés, parce que son amour infini nous cherche sans relâche.

Sachons donc toujours être disponible comme Zachée. Il faut être comme lui curieux de Jésus, prêt à l’accueillir, accepter qu’il s’invite chez nous, le laisser entrer dans notre cœur et dans notre esprit. Sachons toujours aussi être bienveillant avec les autres comme le Christ l’a été, et toujours il nous aidera à nous sauver là où nous nous étions perdus et à retrouver le bon chemin, celui de la Foi, de l’Espérance et de la Charité.

Amen