Prédication du 25 avril 2021

de James Woody

Le jour de l’insurrection est arrivé

Lecture : Jean 5, 1-18

Lecture biblique

Jean 5, 1-18

1 Après cela, il y avait une fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem.

2 Or, à Jérusalem, près de la porte des Moutons, il y a un bassin qui s’appelle en hébreu Bethzatha, et qui a cinq portiques.
3 Sous ces portiques étaient couchés une multitude de malades, d’aveugles, d’infirmes, d’estropiés.

5 Là se trouvait un homme malade depuis trente-huit ans.
6 Jésus le vit couché et, sachant qu’il était déjà là depuis longtemps, il lui dit : Veux-tu retrouver la santé ?
7 Le malade lui répondit : Seigneur, je n’ai personne pour me mettre dans le bassin quand l’eau est agitée ; pendant que, moi, je viens, un autre descend avant moi.
8 Jésus lui dit : Lève-toi, prends ton grabat et marche !
9 Aussitôt l’homme retrouva la santé ; il prit son grabat et se mit à marcher. Or c’était le sabbat ce jour-là.
10 Les Juifs disaient donc à celui qui avait été guéri : C’est le sabbat ; il ne t’est pas permis de porter ton grabat !
11 Il leur répondit : C’est celui qui m’a rendu la santé qui m’a dit : « Prends ton grabat et marche ! »
12 Ils lui demandèrent : Qui est l’homme qui t’a dit : « Prends et marche ! »
13 Mais celui qui avait été guéri ne savait pas qui c’était, car Jésus s’était esquivé ; en effet, il y avait foule en ce lieu.
14 Après cela, Jésus le trouve dans le temple et lui dit : Eh bien, tu as retrouvé la santé ; ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire.
15 L’homme s’en alla dire aux Juifs que c’était Jésus qui lui avait rendu la santé.
16 C’est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus : parce qu’il faisait cela pendant le sabbat.

17 Jésus leur répondit : Mon Père est à l’œuvre jusqu’à présent, et moi aussi je suis à l’œuvre.
18 C’est pourquoi les Juifs cherchaient d’autant plus à le tuer, non seulement parce qu’il annulait le sabbat, mais parce qu’il disait que Dieu était son propre Père, se faisant ainsi lui-même égal à Dieu.

Prédication

Chers frères et sœurs, j’ai prévu de vous parler du péché. Je caresse l’espoir que, tout à l’heure, lorsque vous rentrerez chez vous et qu’on vous demandera sur quoi a porté la prédication, vous puissiez dire : « sur le péché » à quoi on vous rétorquera « et alors, qu’est-ce qu’a dit le prédicateur ? » et là, dans un mouvement de grande inspiration puissiez-vous dire autre chose que : « il est contre ». 

Ce qui m’intrigue, dans ce passage biblique, c’est que Jésus dise à l’homme qui a été guéri de ne plus pécher. En quoi cet homme péchait-il jusque là ?

1. Puni pour son péché

On se demande rarement quel était le péché de l’homme, jusque là, parce qu’on a en tête que la maladie a nécessairement un rapport avec le péché. Si l’homme est malade, c’est parce qu’il a péché, c’est parce qu’il a fauté. Un peu plus loin dans l’évangile de Jean, au chapitre 9, certains se demanderont si un homme est aveugle de naissance parce qu’il a péché ou parce que ses parents ont péché. Cela rejoint le livre de Job, un homme qui souffre et auquel ses amis ne trouvent rien de mieux à lui dire que s’il est dans cet état misérable, c’est parce qu’il a dû faire quelque chose contre Dieu, c’est parce qu’il a dû pécher – autrement dit qu’il l’a bien cherché. Dans ce cas, le péché, ce serait l’infraction à la loi de Dieu et, par conséquent, toute infraction, toute transgression de la loi, qu’elle soit directement la loi de Dieu ou qu’elle en soit une émanation. C’est une vision de la religion digne d’un état policier qui traquerait en permanence le moindre écart par rapport à la loi et qui nous sanctionnerait.

La maladie comme justice rétributive, la maladie comme juste punition par Dieu des fautes qu’on a commise, c’est une idéologie qui n’a pas été encore retirée de toutes les mentalités. Et bien des personnes culpabilisent à cause de leur état de santé car elles pensent que c’est de leur faute, que c’est une sanction divine pour des torts dont on serait l’auteur. S’il est vrai que nous pouvons être à l’origine de certaines de nos maladies parce que nous n’avons pas pris les précautions nécessaires pour nous protéger contre un virus, ou tout simplement contre le froid ou contre le soleil, l’idée selon laquelle une faute morale serait toujours sanctionnée par une punition divine qui se traduirait notamment par une maladie, n’est pas ce que les auteurs bibliques tels Jean cherchent à nous faire comprendre.

C’est vrai avec l’aveugle de naissance, c’est vrai avec cet homme qui git au bord de la piscine de Béthesda. Que croyez-vous qu’ait fait cet homme alors que, justement, il ne peut rien faire. Comment aurait-il pu commettre un délit ou un crime, comment aurait-il pu mal agir alors que, justement, il est tout à fait incapable d’agir. Il n’est même pas fichu de se mettre sur ses jambes pour se jeter dans l’eau au moment où l’eau est agitée.

Et pourtant, en lui demandant de ne plus pécher, Jésus indique implicitement que cet homme péchait. Alors, quel est donc le péché, pour Jésus, si ce n’est pas le mal que nous faisons ?

2. Puni pour ses manquements

Peut-être pourrions-nous comprendre que le péché, du point de vue de Jésus, c’est le fait de ne rien faire. Contrairement au légalisme qui reproche de faire de mauvaises choses, c’est-à-dire des choses contraires à la loi, c’est l’activisme qui serait en jeu. Autrement dit, le péché serait de ne pas en faire assez, de ne pas être assez actif. Le reproche serait de ne pas faire tout ce qu’il faut faire. Le péché serait de ne pas être dans l’action jour et nuit, 24h sur 24.

Voilà un autre sujet intéressant de culpabilisation qui, au passage, continue à faire de la foi chrétienne une morale qui, dans ce cas, utilise les mêmes ressorts que le légalisme, mais avec un vernis différent. Au lieu de reprocher de mal faire, on reproche de ne pas suffisamment bien faire. À la peur de mal faire est substituée la peur de ne pas faire assez bien ou de ne pas faire assez. C’est encore plus redoutable parce que cela devient une exigence infinie qui est proprement insupportable. L’activisme chrétien conduit à devoir sacrifier sa vie, sa personnalité, ses rêves, ses plaisirs, ses intérêts personnels, sur l’autel du bonheur du prochain qui doit toujours passer devant nous.

C’est la culpabilisation qu’on utilise pour presser les gens comme des citrons et les utiliser jusqu’à épuisement au service d’une cause, d’une institution, d’un projet, d’une ambition. C’est la dictature du « faire ». C’est la culpabilisation qu’on utilise à grand renfort de « Dieu ne cesse pas d’agir », nous ne pouvons donc pas faire la moindre pause ni prendre un peu de temps pour nous, ce qui n’est pas autre chose qu’un dévoiement de la réponse de Jésus dans ce passage. Ici Jésus récuse qu’on puisse lui reprocher de bien agir le jour de sabbat pendant lequel tout travail est interdit, justement parce que Jésus récuse une approche légaliste. Jésus considère qu’il y a plus grand que la loi en conséquence de quoi il ne va pas s’empêcher de bien faire si un dispositif légal indique que ce n’est pas le moment de bien agir. Le sabbat est fait, justement, pour nous rappeler qu’il ne faut pas verser dans l’activisme, qu’il ne faut pas sacrifier sa vie au travail, qu’il ne faut pas devenir esclave du travail, mais qu’il faut demeurer libre de ses engagements.

Le péché n’est donc ni du côté du légalisme qui reprocherait les actes mauvais, ni du côté de l’activisme qui reprocherait l’insuffisance des actes de bonté, légalisme et activisme qui sont les deux faces de la morale à laquelle on réduit parfois la religion.

3. Puni pour son manque d’Évangile

Quand Jésus dit à l’homme : « lève-toi », c’est l’un des verbes du Nouveau Testament pour dire la résurrection, egeiro, « lève-toi » et surtout « réveille-toi », sors de ta torpeur. Et plutôt que de parler de résurrection, mieux vaudrait parler d’insurrection car c’est à l’intérieur de l’homme que quelque chose est réveillé par la parole de Jésus. 

Du point de vue de Jésus, le péché de l’homme ne réside pas dans ce qu’il fait ou ne fait pas. Le péché de l’homme réside dans sa vision faussée. Cet homme s’excuse d’être encore malade parce qu’il y a toujours quelqu’un qui lui passe devant en conséquence de quoi il ne peut jamais être guéri. Mais guéri de quoi, au juste ? Le texte grec dit qu’il était asthénique, cette faiblesse généralisée qui ne s’estompe pas avec le repos. Cet homme était asthénique, du coup il était normal qu’à chaque fois quelqu’un lui passe devant. C’était normal, puisqu’il était asthénique. Il faut le comprendre. 

Jésus l’a compris, mais il n’a pas considéré cela comme une fatalité à laquelle il fallait se soumettre, contrairement à cet homme, justement, qui, lui, s’était résigné. Il s’était tellement résigné qu’il était arrivé au bout de sa vie. C’est ce que dit astucieusement le rédacteur en nous indiquant que l’homme était malade depuis 38 ans. 38 ans, c’est le nombre d’années que le peuple hébreu passa dans le désert jusqu’à ce que meure la génération des adultes sortis d’Égypte. 38 ans, c’est l’indication d’une traversée du désert qui va déboucher sur une mort imminente s’il ne se passe rien de neuf.

Or il se passe quelque chose. Jésus vient bousculer les mauvaises habitudes et dire à l’homme ses trois vérités : non seulement tu es capable de te lever, mais tu es capable de prendre ton lit de souffrance à bras le corps, et aussi capable d’aller ta propre route et de rejoindre la terre promise – dont le temple est ici la métaphore. 

Le péché de cet homme, le péché du point de vue de Jésus, c’est une représentation tronquée de soi-même, une vision atrophiée de ce que nous sommes fondamentalement, de ce que nous sommes capables de vivre. Le péché, c’est une compréhension de nous-mêmes qui n’est pas informée par l’Évangile qui révèle notre dignité infinie, une dignité qui tient à notre propre filiation à Dieu, notre dignité qui est donc sans condition et sans date de péremption. Jésus ne fait rien d’autre que de rappeler à cet homme qu’il a été créé à l’image de Dieu, comme tout un chacun, en conséquence de quoi il n’a pas à rentrer dans ces combines de pouvoir qui maintiennent les gens dans une vision dégradée d’eux-mêmes ou dans une vision superstitieuse de la vie. Il est d’ailleurs intéressant de s’intéresser de près à l’histoire de ce passage biblique car nos traductions françaises qui s’efforcent de nous donner le maximum de texte selon la bonne logique activiste qui veut le maximum, ne nous disent pas que le verset 4 n’est pas original au sens où il ne figure pas dans les manuscrits les plus anciens. Au départ, il n’y avait pas d’ange qui descendait pour agiter l’eau de sorte que le premier serait guéri. C’est un ajout postérieur qui n’a pas rendu service au texte primitif qui indiquait que les croyances de l’époque laissaient entendre qu’il fallait être le premier arrivé quand un ange agiterait l’eau pour être guéri, pour être sauvé d’une vie qui n’en était plus une. Mais au départ il n’y avait ni ange, ni élitisme divin qui sélectionnerait uniquement le major de promotion.

La bonne nouvelle dont Jésus est témoin, dans ce passage, peut se dire avec une formule théologique : ce n’est pas parce que nous sommes capables de nous en sortir dans la vie que Dieu nous aime. C’est parce que Dieu nous aime que nous sommes capables de nous en sortir dans la vie. Et le péché, c’est de ne pas y croire, c’est de ne pas faire confiance à cette affirmation adressée à chacun d’entre nous : tu es capable d’entrer en terre promise, sans condition, sans mérite particulier. 

Comme les explorateurs israélites qui eurent le sentiment que c’était impossible pour eux d’entrer en terre promise parce qu’ils étaient trop faibles par rapport aux habitants qui habitaient déjà en Canaan, nous pouvons nous sentir trop faible pour faire quoi que ce soit de notre vie, à la manière de cet homme, à la piscine de Bethesda, qui se contente de regarder l’histoire lui passer sous le nez en permanence. Il a tellement bien intégré l’idée que c’était un incapable, que c’en est devenu sa religion, sa profession de foi. Il ne croit pas en Dieu qui est amour. Ce qu’il croit c’est qu’il est incapable, qu’il est nul. Et du coup il s’inflige sa propre condamnation, qui est de dépérir comme la génération sortie de la maison de servitude, qui avait été humiliée par le pharaon qui voulait la liquider de peur qu’elle ne prenne trop de place dans son pays. Alors les hébreux s’étaient mis à croire qu’ils ne valaient pas mieux que mourir. Ils s’étaient habitués à cette image déplorable d’eux-mêmes. Comme cet homme qui est à l’image de nous tous lorsque nous avons trop bien intégré les discours négatifs qui nous sont servis.

Mais retentit cette parole qui révoque ces logiques de culpabilisation qui ruinent notre humanité. Retentit cette parole qui relève celui qui se croit sans force, mais qui n’est pas sans puissance de vie. Ce sont toutes ces paroles qui nous remettent debout en nous-mêmes (François Clavairoly), ce sont toutes ces paroles qui restaurent notre âme, ce sont toutes ces paroles qui rétablissent notre vérité profonde et cachée en Dieu, dira l’apôtre Paul, ce sont toutes ces paroles qui nous ressuscitent pour reprendre la traduction la plus connue de ce verbe egeiro qui signifie « éveiller ».

S’il y a visiblement résurrection au sens strict aux yeux de tous, il y a surtout insurrection dans l’être de cette personne qui rompt avec ses mauvaises habitudes, avec ses mauvais plis. Surge ! dit la traduction latine car il s’agit bien de s’insurger contre un ordre des choses qui est totalement contraire à la perspective de l’Évangile. 

Il y a pour nous une parole d’Évangile pour nous sortir de notre léthargie, de notre asthénie, de nos mauvaises habitudes, de notre inclination à nous résigner devant un ordre des choses qui n’est ni juste ni satisfaisant. Il y a pour nous une parole d’Évangile capable de susciter notre insurrection, notre capacité de résistance face à un ordre établi qui nous maintient dans un état de sidération et d’impuissance, nous rendant incapable de la moindre révolte contre les phénomènes qui nous privent de nos degrés de liberté. 

Depuis Jésus, le jour de l’insurrection est arrivé. Insurrection contre les légalismes qui brident les initiatives qui encouragent la vie. Insurrection contre l’activisme qui décourage les meilleures volontés. Insurrection en faveur de ce qui rend chacun capable de mener sa vie en toute liberté.