Prédication du 1er novembre 2020
de Dominique Hernandez
Le retour, le repos, le calme et la confiance
Lecture : Esaïe 30, 12-18
Lecture
Esaïe 30, 12-18
12 A cause de cela, ainsi parle le Saint d’Israël : Puisque vous rejetez cette parole, que vous mettez votre confiance dans la violence et dans les détours, et que vous les prenez pour appuis,
13 cette faute sera pour vous comme une brèche menaçante qui fait un renflement dans une muraille élevée — en un instant, tout à coup, elle s’écroule.
14 On la brise comme on brise la jarre des potiers ; on la met en pièces, on ne l’épargne pas, et ses débris ne laissent pas un morceau pour prendre du feu au foyer ou pour puiser de l’eau à la citerne.
15 Car ainsi parle le Seigneur, l’Éternel, le Saint d’Israël : C’est dans le retour et le repos que vous serez sauvés, c’est dans le calme et la confiance que sera votre force. Mais vous ne l’avez pas voulu !
16 Vous avez dit : « Non ! nous fuirons à cheval ! » C’est pourquoi vous fuirez. — « Nous monterons des coursiers rapides ! » C’est pourquoi vos poursuivants seront rapides.
17 Comme un seul homme, mille fuiront quand un seul les rabrouera ; quand cinq vous rabroueront, vous fuirez, jusqu’à ce que vous restiez comme un mât au sommet de la montagne, comme une bannière sur la colline.
18 C’est pourquoi le SEIGNEUR attend pour vous faire grâce, c’est pourquoi il s’élèvera pour avoir compassion de vous. Car le SEIGNEUR est un Dieu de justice ; heureux tous ceux qui l’attendent !
Prédication
Ce jour est un jour très dense. Il porte notre joie d’être ensemble, mais cela nous sera impossible durant plusieurs semaines. Il porte l’incertitude pour les temps qui viennent, la colère, la frustration, l’angoisse au sujet de la santé, des liens d’affection, des conséquences pour l’emploi du confinement et de ses impacts économiques et sociaux, pour nous, pour nos proches, pour tant de personnes. Il porte la douleur pour les victimes de l’attentat de la basilique de Nice. Il porte l’incompréhension, la violence des réactions, la peur de la menace terroriste. Il porte tout ce que nous ne maîtrisons pas, et aussi notre volonté de résister aux forces de désintégration et de destruction de l’être et de l’humanité. Il porte aussi la mémoire d’une protestation, celle de Martin Luther il y a plus de cinq siècles et la dynamique qui en a jailli et qui est encore agissante aujourd’hui.
Lorsque le prophète Ésaïe s’adresse au peuple d’Israël, celui-ci se trouve dans une situation précaire, menacée, un temps de guerre, de bouleversements politiques, un temps de violence où chacun peut sentir l’angoisse lui serrer la gorge, où chacun ne voit qu’obscurité en regardant l’avenir proche.
Ésaïe lance un appel : Ainsi parle l’Éternel Dieu, le saint d’Israël : c’est dans le retour et le repos que vous serez sauvés, c’est dans le calme et la confiance que sera votre force. Beaucoup ont dû penser que le prophète avait perdu la tête : « parler de calme, de repos alors que tout s’effondre ! Quel est ce doux rêveur ? Comment penser au repos quand la tempête menace ? Comment parler de calme devant un déchaînement de violence ? Y a-t-il un autre choix que de réagir à cette violence quand elle surgit et vous attaque, un autre choix que de répondre dans le même registre ? Y a-t-il un autre choix que de fuir lorsqu’on a peur, lorsqu’on n’est ni très fort, ni puissant ? »
C’est justement ces apparences d’évidences ce que le prophète met en question. Comment trouver une attitude libre et responsable ? Une attitude qui ne soit pas réaction en miroir à la violence, réaction guidée par la peur, la colère ou la vengeance.
Une attitude libre et responsable, responsable d’une réponse qui ne soit pas rétrécie à une réaction. Car ce qui menace la liberté c’est de croire ou de faire croire qu’il n’y a pas d’autre réponse que le rapport de force ; c’est de croire ou de faire croire que la mort est le but de l’existence et donc ce qui est le plus important ; c’est de croire ou de faire croire qu’il faut fuir, que ce soit à cheval ou dans les distractions ou dans l’indifférence.
Ésaïe désigne la violence et la peur comme étant les deux dimensions toujours associées dans lesquelles la vie est étouffée, deux dimensions dans le plan desquelles toute autre dimension est aplatie, ratatinée, que ce soit la liberté, la responsabilité, et aussi la spiritualité cette dimension d’intériorité et d’approfondissement de l’être.
Devant ces deux dimensions étouffantes, Ésaïe en appelle au Seigneur, l’Éternel, le Saint d’Israël : trois titulatures pour trois aspects, trois modes de relations, trois dimensions de Dieu, trois dimensions qui, elles, ouvrent un espace, un espace qui permet le déploiement de la vie des vivants.
Le Seigneur, c’est Adonaï en hébreu, un mot dont la racine signifie le fondement, le socle, la base.
L’Éternel, c’est YHWH : celui qui se fait connaître, celui qui vient à la rencontre.
Le Saint d’Israël : l’expression désigne celui qui passe l’alliance avec les hébreux pour leur bénéfice, pour faire d’eux un peuple.
Dans l’espace ainsi ouvert, Ésaïe pose 4 points cardinaux : le retour, le repos, le calme et la confiance entre lesquels se tisse une relation vive et vivifiante où passent le salut et la force.
Pour aujourd’hui, dans le vacarme de la violence et dans les grondements des peurs, pour notre dernier culte avant plusieurs semaines, voici de quoi résister, de quoi espérer, de quoi vivre malgré ce que nous avons à supporter, à endurer.
4 points cardinaux pour demeurer dans l’espace de vie : le retour, le repos, le calme et la confiance. Quatre mots ordinaires, d’une grande simplicité mais qui ont du poids d’être ainsi posé dans l’appel du prophète, vibrants de la gloire du Dieu sauveur. Simplicité, mais pas de la simplicité d’une recette à appliquer ; plutôt la simplicité qui porte à méditer car ce sont des mots qui exigent du temps, des mots qui ne se satisfont pas de l’injonction à l’immédiateté, ou plutôt qui y perdent leur saveur et leur valeur.
Le premier mot, c’est « retour » et il n’y a pas de destination explicite. Il s’agit du mot qui dans la Bible hébraïque est souvent traduit par « conversion » : retourner vers Dieu. Pourtant Ésaïe ne précise rien, alors nous pouvons penser. Il peut s’agit du retour pour retrouver l’orientation, l’orient, le soleil, la lumière qui se lève dans l’obscurité.
Il peut s’agir du retour pour retrouver du sens quand tout semble se disloquer, s’éparpiller.
Il peut s’agir du retour pour retrouver l’essentiel, l’essentiel de la vie, l’essentiel de ma vie, ce qui rend ma vie vivante.
Ésaïe pose le retour contre les détours tortueux, pervers qui caractérisent les comportements adhérant aux rapports de force, aux manipulations, aux mensonges. Le prophète désigne le retour contre les dispersions, les désintégrations et cela pose la question : qu’est-ce qui nous délite ? Qu’est-ce qui nous altère ? Qu’est-ce qui pousse à l’oppression d’autrui, aux raisonnements trompeurs, aux illusions mensongères ? Contre ces détours, ces détournements d’être, Ésaïe inscrit le retour vers l’essentiel, c’est-à-dire vers ce qui construit et maintient l’intégrité du cœur, de l’âme, de l’être.
Un retour comme un cheminement intérieur, comme celui du fils perdu avant qu’il ne reprenne le chemin de la maison de son père. Un retour aussi comme un retour à la réalité, ouvrir les yeux pour regarder autrement et pour retrouver du courage, le courage d’être même si tout pousse au découragement. Un retour comme un réveil de la conscience qui s’arrache aux simplifications destructrices, aux slogans ravageurs, aux postures menaçantes.
Ce que fit Martin Luther en son temps face aux dérives d’une Église plus soucieuse de sa gloire de puissance et de pouvoir que de la gloire de Dieu qui est d’aimer. Le Réformateur a opéré un retour vers la Bible, vers les Écritures, l’hébreu, le grec, le texte. Il est revenu vers l’Évangile de la grâce, de la liberté et de la responsabilité. Alors peut-être, pour nous aujourd’hui, un retour comme une réforme, nos réformes personnelles à renouveler pour décoller notre vie de la peur, nos pensées des endoctrinements, notre foi de ce qui la pétrifie.
Retour vers l’essentiel, vers ce qui rend la vie vivante, car le reste est secondaire. Et dans tout ce qui est proposé ou imposé, tout ne rend pas la vie vivante. Car la vie vivante est une vie en relation, inscrite dans des réseaux de relations que nous ne choisissons pas toujours et que nous ne maîtrisons pas souvent, mais c’est ainsi être vivant. Et même dans des conditions éprouvantes, difficiles, la vie peut toujours être vivante, disposée et disponible à autrui.
Le deuxième mot point cardinal, c’est le repos. Comme un pas de côté qui décale des pressions, des injonctions, des émotions, de l’immédiateté, de la réaction permanente imposée par l’accélération des rythmes et des informations. Le repos, comme un shabbat pour se retrouver soi-même, et retrouver le lien à l’essentiel et prendre le temps de le cultiver, de même que le lien aux autres. Ce n’est pas le mot shabbat qui est employé par Ésaïe ; le repos dans ce texte est un terme profane, et nous pouvons y entendre qu’il n’est pas réservé aux croyants, qu’il est indispensable à tous et qu’il importe de le préserver pour autrui, pour chaque humain afin qu’il puisse demeurer humain.
Un écho au repos se fait entendre au psaume 62 : Mon âme se repose en Dieu seul, c’est de lui que vient mon salut. Nous avons besoin de repos pour cultiver notre dimension spirituelle, quelle que soit la manière dont nous la cultivons, afin qu’elle puisse nous imprégner dans les heures d’activité et d’action, dans chaque heure du quotidien.
Le troisième mot, c’est le calme. Il s’agit même plus précisément de faire le calme. C’est-à-dire de prendre le temps de s’appuyer sur un fondement stable dans le tourbillon du monde et de l’existence, un fondement comme un écho à Adonaï. C’est-à-dire que ce fondement de calme, pour le calme, est posé en chacun, qu’il est possible de s’y appuyer pour faire face à l’agitation intérieure provoquée par la violence et par la peur. A partir de cet appui, de ce noyau de calme en nous, nous pouvons faire face et résister afin que violence et peur n’envahissent pas notre être et ne le réduisent pas dans leurs seules deux dimensions qui étouffent la vie. Faire face et les dépasser car dans le calme qui s’articule à la paix, même si le mot choisi par le prophète n’est pas shalom, dans ce calme et par lui, les relations ne sont plus soumises aux réactions de violence et de peur. Il s’agit alors de faire le calme aussi entre nous et ceux que nous croisons, ceux que nous côtoyons, hors des rapports de force, des manipulations, des ruses, des mauvais coups. Et devenir ces artisans, ces ouvriers de paix que Jésus déclare « heureux » dans les béatitudes, heureux et enfants de Dieu.
Enfin le quatrième mot cardinal : la confiance. Et là encore ce n’est pas le mot pour dire la foi, mais celui, ordinaire, commun de la confiance interpersonnelle, et qui comporte cette condition de la confiance qu’est l’absence de crainte. Absence de crainte car si la mort est la fin de la vie, elle n’en est pas le but qui est de vivre justement. Absence de crainte également car la valeur de ma vie ne réside pas dans ce qu’autrui pense et dit de moi, ni dans ce que je pense et dis de moi-même. Lorsque nous croyons que la valeur de notre vie vient d’ailleurs que de nous-mêmes ou d’autrui, nous pouvons vivre en homme ou femme de confiance et faire confiance. Nous pouvons inspirer de la confiance et remplir de confiance nos relations : moi, toi, nous, et Dieu, le Dieu de l’alliance qui nous fait confiance.
Dans l’espace ouvert, entre quatre points cardinaux, passent le salut don de Dieu et la force qui vient en nous. Pas la force des guerriers, ni celle des héros. Pas la force que chacun peut obtenir en exerçant ses capacités et compétences. Ni celle des outils que chacun peut se procurer (les chevaux et les chars rapides dans le texte d’Ésaïe). C’est une force qui n’est pas celle de la puissance et encore moins de la toute-puissance, ni celle du pouvoir ni celle de la richesse.
Elle est la force de la vie, des battements, de la pulsation de la vie dans l’être. La force de la confiance et du calme, du repos et du retour vers l’essentiel, vers Dieu exhorte Ésaïe. Un Dieu qui après avoir été désigné par trois titulatures de fondement, de rencontre et d’alliance, est caractérisé de trois manières : par la justice, par la grâce et par la compassion. « Fondement, rencontre et alliance », ou « Justice, grâce et compassion », trois dimensions qui déploient l’espace où l’existence est possible, celle de chacun de nous, se tenant au retour, au repos, au calme, à la confiance,
malgré la violence et la peur, à travers les peines et les épreuves,
pour aujourd’hui et dans les temps qui viennent, jusqu’à ce que nous puissions nous retrouver à nouveau ensemble, et encore après.
Ceci est vrai.
Amen