Prédication du 8 mai 2022

de Dominique Hernandez

Paix à vous !

Lectures : Esaïe 2, 1-5 et Jean 20, 19-23

Lectures bibliques

Esaïe 2, 1-5

1 Paroles d’Esaïe, fils d’Amots, ce qu’il a vu au sujet de Juda et de Jérusalem.

2 Dans la suite des temps, la montagne de la maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes ; elle s’élèvera au-dessus des collines, et toutes les nations y afflueront.

3 Une multitude de peuples s’y rendra ; ils diront : Venez, montons à la montagne du SEIGNEUR, à la maison du Dieu de Jacob ! Il nous enseignera ses voies, et nous suivrons ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, de Jérusalem la parole du Seigneur.

4 Il sera juge entre les nations, il sera l’arbitre d’une multitude de peuples. De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, de leurs lances des serpes : une nation ne lèvera plus l’épée contre une autre, et on n’apprendra plus la guerre.

5 Maison de Jacob, venez, marchons à la lumière du Seigneur !

Jean 20, 19-23

19 Le soir de ce jour-là, qui était le premier de la semaine, alors que les portes de l’endroit où se trouvaient les disciples étaient fermées, par crainte des Juifs, Jésus vint ; debout au milieu d’eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous ! 
20 Quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent de voir le Seigneur. 
21 Jésus leur dit à nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. 
22 Après avoir dit cela, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit saint. 
23 A qui vous pardonnerez les péchés, ceux-ci sont pardonnés ; à qui vous les retiendrez, ils sont retenus.

Prédication

C’est la première parole du Christ ressuscité à ses disciples dans l’évangile de Jean : Paix à vous. Il s’adresse à des disciples rassemblés dans un endroit bien fermé, parce qu’ils ont peur des juifs écrit l’évangéliste. La scène est située à Jérusalem, la ville de la paix, celle évoquée par le prophète Esaïe dans une vision qui montre les peuples de la terre convergeant vers la ville pour y entendre la Parole de l’Éternel.
Les jours des disciples à Jérusalem sont bien différents de ceux indiqués par Esaïe. Ce sont des jours sombres, marqués par la violence, par la mort en croix de Jésus de Nazareth, par la peur de subir cette même violence. Des jours sombres, d’ailleurs Jean écrit que c’est le soir. La nuit tombe, l’obscurité se répand, les ténèbres dominent. Le soir, c’est le temps où l’on ne voit plus, ni dans l’espace ni dans le temps : on ne voit plus où l’on est, ni où on va, ni ce qui est là, ni ce qui vient. La nuit du monde comme celle où beaucoup de nos contemporains se sentent, et peut-être nous-mêmes nous sentons, plongés, environnés de ténèbres, de menaces, étreints d’angoisses, de frayeurs, d’anxiété, et coincés, enfermés dans une peur difficile à maîtriser. Les portes sont verrouillées et Jean n’écrit pas que ce sont les disciples qui les ont fermées, ce qui nous fait comprendre, et ce peut être une expérience, que la peur peut nous emprisonner sans que nous le voulions. Nous ne choisissons pas toujours d’être enfermés, d’être empêchés de cheminer ou de nous épanouir. Peur des juifs selon l’évangéliste, mais ce qui joue là n’a rien à voir avec un regard négatif sur le judaïsme (Jésus était juif) : cette peur est peur d’une menace portée par ceux qui se livrent à l’usage de la force, de la violence, du pouvoir et des armes qui ne sont pas seulement des épées et des lances, des missiles et des drones.
Les disciples se sont mis à l’abri, un peu, un temps, mais de ces abris-là il faut toujours sortir à un moment et s’exposer au danger. La peur peut conduire à fuir, à chercher un lieu à l’écart, à s’extraire du tumulte comme elle peut à son tour conduire à la violence, dérivant en haine de ce qui fait peur, de ce qui font peur. Comment cela peut-il s’arrêter ?

Cependant, ce soir-là, c’est aussi le soir du premier jour de la semaine écrit Jean. Le premier jour de la semaine, c’est le premier jour de la Création, le jour où la lumière advient au travers des ténèbres, ainsi que nous le lisons dans le premier chapitre de la Genèse. Et le Ressuscité survient au milieu du groupe des disciples enfermés, reclus, confinés dans leur peur. Et avec lui, la paix fait irruption : paix à vous. Ce n’est pas un souhait comme le laisse entendre la formule traditionnelle : la paix soit avec vous. La paix est là, vraiment là, dans cette présence qui se joue des murs et des portes closes. Le Christ vivant est venu à leur aide, à leur secours, il est venu les sauver parce que les disciples eux-mêmes ne pouvaient rien faire, coincés dans la peur comme ils l’étaient. Nous ne pouvons pas toujours échapper tous seuls à ce qui nous enferme, aux peurs qui nous étreignent. Il faut alors que le secours nous vienne d’autres personnes ou même d’ailleurs que de ce monde, de la transcendance qui donne sens à l’ensemble et qui alors se fait proche.
Paix à vous, ce n’est pas la fin d’un conflit entre des adversaires, ce n’est pas une paix à négocier, à signer par un traité qui pourrait être bafoué.
C’est la paix intérieure d’un être libéré du poids de la peur et de la haine, libéré du passé qui pèse, libéré de la faute qui enchaîne. Car de ces disciples, certains avaient fui, avaient renié, s’étaient tenus à distance du procès et de la croix. Le Christ n’exprime aucun reproche, aucune condamnation. Il ne leur en veut pas mais les retrouve, là où ils sont, là où ils en sont. Une reprise de présence et d’amour pour laquelle les disciples n’ont pas à faire l’effort de le rejoindre : c’est lui qui vient. C’est toujours lui qui vient, passant les murs et les portes closes, à l’intérieur de nos obscurités, de nos confusions, de nos ambiguïtés et de nos limites, comme un murmure qui chuchoterait au creux de l’âme : « tu n’es pas perdu, tu n’es pas fini ». C’est une paix comme un pardon, comme une délivrance, une paix comme une guérison, comme une grâce. Cette paix est œuvre divine, œuvre de restauration, de recréation, de résurrection d’humanité.

Il n’est pas d’autre paix que celle qui commence en soi-même, qui dénoue les liens intérieurs de la peur, de la rancune, de la honte.
Le prophète Esaïe le disait déjà à sa manière. Car la paix qu’il évoque ne commence pas par la transformation des armes en outils. Elle commence par l’écoute de la Loi, la Torah, c’est à dire ce que l’Éternel veut enseigner, ce dont il veut instruire son peuple et tous les peuples. Il ne s’agit pas de la somme de prescriptions au sujet de ce qu’il faut faire ou ne pas faire, au quotidien ou dans des circonstances particulières. La Loi, la Torah, la Parole divine ne visent pas à la soumission de l’être mais à son édification, et même à son élévation, pas vers un sur-être augmenté, mais vers l’humanité véritable, l’humanité en plénitude qui est ainsi à la fois une promesse, un don, un horizon, un chemin.
C’est bien ce qu’a fait Jésus de Nazareth, avec la samaritaine et l’aveugle de naissance, avec le paralytique à la piscine de Bethesda et la femme adultère, et en lavant les pieds de ses disciples. Cette œuvre de restauration et d’élévation a provoqué la colère et la haine des hommes de pouvoir qui préfèrent les systèmes de domination aux dynamiques d’affranchissement.
La paix commence par l’écoute de la Parole de Dieu, qui sort de Jérusalem, parce que Jérusalem est la ville du Temple, la ville de la présence de l’Éternel. La paix de la vision d’Esaïe est la conséquence d’une transformation de l’esprit des peuples, transformation de l’esprit humain, qui sans l’aide la Parole divine ne sait pas renoncer à l’usage de la force.
Avant la destruction des armes, il faut l’ouverture de l’âme.
Alors la réconciliation et la paix sont possibles : l’Éternel sera l’arbitre d’une multitude de nations, il résoudra les différents entre les peuples, entre les personnes, c’est-à-dire que l’âme éclairée, l’esprit éveillé par la Parole divine, l’humain regarde et comprend et vit autrement son humanité et ses relations.
La centralité, le caractère essentiel de la Parole de Dieu dans la vision du prophète se retrouve dans la présence du Christ au milieu des disciples, ce Christ dont l’évangile de Jean commence par déclarer dans son premier chapitre qu’il est la Parole de Dieu faite chair. L’écoute de la Parole est le lieu de la Jérusalem d’Ésaïe, à Jérusalem et ailleurs, n’importe où.

De même que la perspective de la vision d’Ésaïe est universelle, de même la paix qui survient avec le Christ est pour tous. Car il peut y avoir différents noms donnés à la transcendance qui oriente l’existence dans la justice et la paix, et peut-être même pas de nom particulier qui lui soit donné. Il peut y avoir différentes traditions permettant de comprendre et d’entrer en relation avec cette transcendance, d’en être nourri et animé, et de devenir ainsi humain puisqu’être humain n’est pas seulement une question de biologie mais une dimension spirituelle. Le Christ est le nom donné à la puissance de transformation, restauration, recréation, résurrection de la transcendance qu’ici nous nommons Dieu, Éternel, notre Père… Mais le Christ n’est pas réservé au christianisme ni aux chrétiens. Et lorsque cet dynamique est présente dans les discussions de paix du monde, alors la paix a des chances de l’être vraiment.

La paix advient dans la présence du Christ qui libère les disciples enfermés, diminués, rétrécis dans leur peur et qui les relève dans la paix.
La Torah, la Loi, l’Évangile fondent et orientent une manière, une qualité d’être que les récits des évangiles nomment aussi Règne de Dieu. Une qualité d’être avec et pour autrui, en particulier la veuve, l’orphelin, l’étranger, le malade, l’exclu. Une qualité d’être en solidarité en respect, en fraternité, appuyée sur la justice et la paix dans la bible hébraïque, sur la grâce et la paix dans le Nouveau Testament, ou encore pour l’un et l’autre, sur l’amour.

La paix que porte le Christ ressuscité n’efface pas la crucifixion. Il montre ses mains et son côté, les marques de la souffrance et de la mort, de l’injustice et de la violence.
Et comme il y en a tant aujourd’hui, comme hier, de souffrance et de mort, d’injustice et de violence, les disciples sont envoyés, nous sommes envoyés porteurs de grâce et de paix, et portés par l’Esprit, le Souffle, l’énergie de la Création et de notre inspiration. Envoyés comme le Christ l’a été pour faire œuvre de réconciliation, de guérison, de restauration, en paix. C’est notre vocation, c’est-à-dire que nous ne sommes capables, chacun avec sa personnalité, ses moyens, et selon les circonstances.
A qui vous pardonnerez les péchés, ceux-ci seront pardonnés ; à qui vous les retiendrez, ils seront retenus. Bien sûr ! Mais ne nous trompons pas, nous sommes envoyés poursuivre auprès de nos contemporains l’œuvre du Christ qui est œuvre de pardon, de libération, d’élévation, comme il l’a accompli avec le centurion romain, avec l’aveugle Bartimée, avec Marthe, avec Pierre. Jamais Jésus-Christ n’a enfermé quiconque dans le malheur, ni privé qui que ce soit de sa présence bienfaisante, ni refusé de sauver qui le lui demandait. Nous n’avons pas nous ériger en juges.
Nous sommes envoyés pour délier, pour élargir, pour ouvrir des portes, en vivant cette paix donnée, en témoins de la Parole fondatrice d’humanité, de l’Évangile de grâce, de l’aube du premier jour dans la nuit du monde.