Prédication du 26 mars 2017

de Didier You

Peter Cushing, les femmes de Jésus et la résurrection

Lectures : Lév 19/ 33-34, Jn 19/2320/18, Eph. 5/ 8-14

Chants : Psaume 8, Cantiques 208 et 272

 

INTRODUCTION

J’ai vu un « ressuscité ». Si, si. Je ne verse pas dans le mysticisme, ni dans le blasphème. Je parle du film Rogue One, « spin off » comme on dit à Hollywood, c’est à dire « rejeton », un épisode en marge de la série officielle La Guerre des Etoiles. L’action de Rogue One se déroule très exactement juste avant l’épisode IV, c’est à dire le premier ayant été filmé de la célèbre saga, en 1977. Il était nécessaire de faire réapparaître certains personnages de cette série officielle. Certains ne posent aucun problème puisque l’on ne voit pas leurs visages, les robots, Darth Vador. Mais les auteurs devaient aussi faire revenir Grand Moff Tarkin, le sournois gouverneur de l’Etoile de la Mort, qu’incarnait en 1977 Peter Cushing… décédé en 1994. Ils n’ont pas opté pour le choix d’un acteur vaguement ressemblant. La technique moderne a permis ce miracle. On a reconstitué par ordinateur les traits de Cushing, et on les a collés numériquement sur le corps d’une doublure. Ce n’est donc pas un montage de vieilles images, ce sont de nouvelles images créées spécialement pour ce film. Peter Cushing a donc été ressuscité virtuellement, et il a « joué » dans un film 22 ans après sa mort. Pour un comédien qui a incarné six fois le baron Frankenstein, c’est une sorte de prédestination.

Cette introduction cinéphilique pour souligner que le mot « résurrection » peut avoir plusieurs sens et je me propose de vous parler de la Résurrection de Jésus à l’approche de Pâques. C’est l’acte fondateur du christianisme, la grande Fête chrétienne, bien plus que Noël. Je vous propose de nous pencher sur les circonstances de l’événement, d’abord en étudiant les premiers témoins, ceux qui ont vu le tombeau vide, et ceux qui ont vu Jésus, avant que de nous interroger sur la signification de ces toutes premières apparitions du Ressuscité.

LES PREMIERS TEMOINS

Nous avons quatre versions plus ou moins concordantes des circonstances de la crucifixion et de la révélation de la Résurrection. Je vous ai lu la version du 4ème Evangile, attribué à Jean, la plus détaillée. Résumons.

Pour Matthieu sont présentes près de la Croix : Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et de Joseph et la mère des fils de Zébédée. Marie-Madeleine et « l’autre Marie » (donc la mère de Jacques et Joseph), le troisième jour, se rendent au tombeau, qu’elles trouvent vide. Un ange, puis Jésus leur apparaissent et les envoient porter la nouvelle.

Marc : Assistent au supplice Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques le mineur et de Josés (donc la même « autre Marie » que chez Matthieu) et Salomé, et « plusieurs autres femmes ». Les trois femmes nommées se rendent ensemble au tombeau le dimanche. Le tombeau est vide, la pierre roulée. Un ange leur apparaît, et elles s’enfuient épouvantées, sans rien dire à personne. Ça devait s’arrêter là. Dans les derniers versets de l’Evangile selon Marc (ajoutés par la suite et qui ne figurent pas dans les manuscrits les plus anciens), Jésus apparaît à Marie-Madeleine, qui va porter la nouvelle aux disciples, qui ne la croient pas, jusqu’à ce qu’il leur apparaisse lui-même par la suite.

Luc : Assistent de loin au supplice Marie-Madeleine, Jeanne, Marie mère de Jacques (donc encore la même « autre Marie »), et quelques autres anonymes. Elles viennent toutes au tombeau. Là, deux anges leur apparaissent. Elles courent porter la nouvelle aux disciples, qui ne voient là que « niaiseries » de femmes. Seul Pierre va au tombeau pour vérifier si il est vide, et il est « dans l’étonnement ».

Jean (que je vous ai lu) : Sont présents au pied de la Croix cette fois Marie, mère de Jésus, sa sœur, Marie femme de Clopas, Marie-Madeleine encore elle, bien entendu, et l’anonyme « disciple bien-aimé », le seul homme cité. Marie-Madeleine se rend seule au tombeau, voit que la pierre a été roulée. Elle va avertir Pierre et le « disciple bien-aimé », qui accourent, voient et « croient » dit le texte, et s’en vont. Après leur départ, Jésus apparaît à Marie-Madeleine seule. D’où le dialogue que je vous ai lu.

Quelques mots sur ces personnages, tous féminins, sauf un, car les 10 autres apôtres se cachent de peur des persécutions.

-La « sœur de Marie, mère de Jésus ». Elle avait donc une soeur, et Jésus avait une tante. J’avoue que je n’ai pas cherché dans les apocryphes d’autres informations sur elle.

-La mère des fils de Zébédée. C’est donc la mère des deux apôtres Jean, auteur supposé du 4ème Evangile et de l’Apocalypse, et Jacques appelé « le majeur » pour le distinguer d’un autre apôtre, Jacques le mineur, fils d’Alphée et de l’autre Marie. En bonne mère juive, elle a suivi ses fils derrière Jésus depuis la Galilée.

-Marie, la femme de Clopas : On ne sait rien de ce couple, à moins que Clopas soit aussi « Clophas » un des deux voyageurs d’Emmaüs, le seul nommé sur les deux voyageurs, à qui Jésus va apparaître peu après. Ce « Clophas » était-il accompagné de sa femme sur la route d’Emmaüs ? Peut-être est-ce elle le second voyageur ?

-Jeanne : Epouse de Chouza, intendant de la maison d’Hérode.

-Salomé : Bien connue. Fille d’Hérodiade, belle-fille d’Hérode Antipas, qui aurait dansé lascivement – et inventé le strip-tease – devant son beau-père pour obtenir la tête de Jean le Baptiste. Repentante, elle a donc rejoint Jésus.

Vous remarquerez que ces femmes courageuses représentent tous les échelons de la société.

A l’exception de Marie de Magdala, dite Marie-Madeleine, il reste donc deux « Marie » à envisager … à moins qu’il ne s’agisse de la même, la mère de Jésus et la mère de Jacques le mineur. Marie, Jacques et Joseph sont certes des prénoms courants, mais notons que Jacques et Joseph sont les prénoms de trois apôtres … et aussi les prénoms de deux des frères de Jésus. Seraient-ce les mêmes ? Ayant donc la même mère ? (Je ne dis pas cela par provocation envers nos frères catholiques).

Jacques le mineur est défini plusieurs fois dans les Evangiles comme « fils d’Alphée », et non « fils de Joseph », donc ce ne serait pas un frère de Jésus. Mais Joseph le charpentier a dû mourir assez tôt. Les Evangiles de Matthieu et de Luc, les deux seuls à le mentionner, n’en parlent plus après la Nativité. Si Joseph le charpentier est mort, il est vraisemblable et même quasi-certain selon les coutumes juives de l’époque que Marie a dû épouser le frère du défunt. Ce frère ne serait-il pas Alphée, dont Marie a eu alors les « frères et sœurs de Jésus », cités par les Evangiles. Et donc, l’apôtre Jacques le mineur « fils d’Alphée », et le jeune Joseph, seraient à la fois des apôtres et des demi-frères de Jésus. Je ne délire pas. Cette hypothèse a été soutenue par des archéologues sérieux. Jacques le mineur, fils d’Alphée, un des douze apôtres, serait donc  aussi « Jacques, le frère du Seigneur », dont parlent Luc dans les Actes et Paul dans ses Epîtres.

Et l’identité du « disciple bien-aimé » s’éclaircirait : Quoi de plus logique que Jésus, mourant sur la croix, confie sa mère à celui qui devient le fils aîné, Jacques (« Mère, voici ton fils, et toi voici ta mère ») ? Et c’est ce Jacques qui serait le « disciple bien-aimé » et l’auteur principal du 4ème Evangile, au lieu de Jean, fils de Zébédée, vraisemblablement illettré.

Cette petite enquête policière (qui était là ? qui a vu quoi ?) ne me paraît pas déplacée dans une réflexion sur la Résurrection. Je vais essayer de vous dire pourquoi.

LA RESURRECTION

On est toujours un peu gêné face aux miracles de la Bible. Même et surtout si l’on est croyant. Si Dieu a créé le monde, et les lois naturelles, pourquoi viole-t-il les lois qu’il a créées ? Il est vrai que l’explication traditionnelle, voire traditionaliste, à savoir l’Esprit Saint tirant Jésus du royaume des morts, est un peu dure à avaler pour nos esprits modernes. Les morts ne reviennent pas d’habitude.

Il y a eu des guérisons miraculeuses ? Pourquoi pas ? Jésus peut très bien avoir été un thaumaturge, un guérisseur, et la postérité a embelli ses réussites. Mais ressusciter lui-même ?

Des explications rationnelles ont été proposées. Dès les Evangiles, les « grands prêtres » supposent que les disciples sont venus voler la dépouille de Jésus. Peu vraisemblable, d’abord parce que les disciples se cachent tous pris de peur (sauf les femmes …), et parce qu’il y a des gardes postés autour du tombeau.

Explication rocambolesque soutenue par certains milieux musulmans et maçonniques : c’est un autre qui a été crucifié : Judas, Barabbas, Thomas parce que « Dydime », son autre nom signifie « jumeau », « sosie », par exemples. Guère plus crédible, les soldats romains ne se seraient pas laissés berner, et cela n’expliquerait pas que le tombeau soit vide.

Explication médicale : Jésus aurait été pris de catalepsie sur la Croix. Il faudrait alors admettre qu’après son supplice, se réveillant dans le tombeau, il aurait trouvé la force physique de rouler la pierre et s’en aller.

Ces explications rationnelles ne me satisfont pas plus. D’ailleurs, elles sont en général sans grand intérêt. Qu’importe que le Nil charrie à l’occasion des boues rouges – les Egyptiens qui le savaient n’auraient pas été effrayés ? Ce qui compte c’est le sens du récit. Ici, c’est la victoire sur la mort.

Que s’est-il passé dans le tombeau ? Je n’en sais rien et n’en dirai pas plus sur ce sujet.

Pourtant, ce jour-là, il s’est bien passé « quelque chose ». Parce qu’en effet, Jésus crucifié, c’est un échec total. La fin de l’aventure. Le Maître est mort, ses disciples sont dispersés. Pourtant, de la rencontre entre Jésus sorti du tombeau et Marie de Magdala, est né un mouvement qui a bouleversé l’histoire du monde, et qui fait que nous sommes réunis ici, 2.000 ans plus tard, en ce temple. Cette histoire est donc « vraie » par ses conséquences, ce qui ne signifie pas historiquement exacte.

Maintenant, imaginons d’autres développements après la Résurrection. Mettons-nous – modestement – à la place de Jésus ressuscité. Il aurait pu se précipiter au Temple de Jérusalem, et face à Caïphe, face à Pilate, proclamer la puissance de Dieu qui l’a fait revenir du monde des morts. Eclatant triomphe ! Ce serait dans tous les livres d’Histoire… L’humanité entière convertie en un instant !

Mais où serait alors la liberté du croyant, la liberté de croire ou de ne pas croire ? Nous sommes des « protestants libéraux », donc attachés à cette Liberté.

Non, Jésus ressuscité ne porte pas atteinte à notre liberté. Il révèle discrètement à son entourage proche qu’il est revenu. A sa mère, à son frère, à des amies  qu’il est bien là. Certains n’ont même que la vision du tombeau vide dans un premier temps. Nous sommes libres d’y croire ou pas.

Et il apparaît d’abord à des femmes, lesquelles, en raison du statut social qui est le leur à l’époque, ne sont même pas crues par les hommes, ces hommes qui eux se cachaient. Pierre a même renié trois fois le Seigneur comme vous le savez. Je vois là un parallèle à ce que l’on appelle le « mystère de l’Incarnation » dans l’humilité : Jésus naît dans un milieu modeste, dans un trou perdu de l’Empire romain, et ressuscite discrètement. Ce rôle primordial des femmes dans la révélation a été sérieusement occulté par l’Eglise, qui les a appelées « les saintes femmes » dans la Tradition et dans les inter-titres des chapitres des Bibles catholiques, pour compenser. Elles sont déjà qualifiées de « saintes ». Qu’elles ne viennent pas en plus tirer toute la gloire (aparté féministe).

Jésus ne s’impose pas comme ressuscité. Prenait-il même une autre forme humaine? La question peut se poser puisque Paul, relatant sa propre conversion dit que Jésus lui est apparu comme aux autres dont il dresse la liste. Mais il n’a jamais été dit que c’était en chair et en os.

Vous avez noté que Marie-Madeleine ne reconnaît tout d’abord pas Jésus, elle le prend pour le jardinier qui aurait emporté le corps. De même les deux pèlerins d’Emmaüs ne le reconnaissent pas tout de suite, il faudra qu’il rompe le pain. Pas plus que les sept disciples en train de pêcher aux bords de la mer de Tibériade (Jn 21), il faudra une « pêche miraculeuse » pour leur ouvrir les yeux, et pour que Jacques (si c’est bien lui dans l’ hypothèse que j’ai exposée) reconnaisse son propre frère. Il faut faire un acte positif vers Jésus, le reconnaître. Cela ne s’impose pas de prime abord. Ce n’est que pour Thomas que Jésus apparaîtra, avec ses plaies, pour qu’il croie « après avoir vu ».

Je voudrais revenir à Marie-Madeleine, qui a eu, selon Jean (ou Jacques …) le premier échange verbal détaillé avec le ressuscité, et que je vous ai lu. Elle ne le reconnaît pas. Puis il l’appelle par son nom « Marie ». « Elle se retourna et lui dit Rabbouni, c’est à dire Maître ».

Ce rôle essentiel et privilégié de Marie-Madeleine pourrait conforter certains ragots sur ses rapports avec Jésus (encore aujourd’hui …). Je me demandais pourquoi, dans un petit papier que j’avais écrit dans L’Amitié, la Tradition avait transformé Marie de Magdala en pécheresse (il n’y a rien dans la Bible en ce sens). Peut-être l’Eglise, dans sa peur de la sexualité et sa misogynie a-t-elle voulu dissiper ces ragots… Jésus en couple avec une prostituée … ? Impossible !

CONCLUSION

Pour tenter de conclure, c’est quand Jésus appelle Marie de Magdala par son nom, à ce moment précis, un dimanche d’avril de l’an 30, devant le tombeau de Joseph d’Arimathie, et qu’elle reconnaît le Maître que naît le christianisme. Car c’est la première manifestation de foi en la Résurrection, manifestation libre et non provoquée d’autorité. Jésus a appelé Marie par son nom. Il a partagé le pain à Emmaüs, il a nourri les pêcheurs malchanceux de Tibériade, il a appelé Paul par son nom, Saül, Saül qui le persécutait. Et là seulement ils l’ont reconnu.

C’est bien Marie-Madeleine la première chrétienne (le mot n’existe même pas encore). Et c’est une femme, obscure, diffamée par la Tradition.

Nous avons la « grâce ». Bien. Mais il faut aussi faire un geste, non pas respecter la Loi et les œuvres. Mais seulement une démarche simple, à savoir reconnaître derrière le jardinier du cimetière, derrière le randonneur d’Emmaüs, derrière le passant qui demande si la pêche est bonne, la présence de Jésus qui nous appelle.

Nous aussi il nous appelle par nos noms. Même si nous ne l’avons pas entendu, c’est parce qu’il nous a appelés ici ce dimanche que nous sommes là réunis autour de la Parole. Reconnaissons-le comme « rabbouni ».

Amen