Prédication du 10 novembre 2019

Que ferez-vous pour l’avenir ?

de Dominique Hernandez

Lectures

Matthieu 6, 9-13

9 Voici donc comment vous devez prier :
Notre Père qui es dans les cieux !
Que ton nom soit sanctifié,
10 que ton règne vienne,
que ta volonté advienne — sur la terre comme au ciel.
11 Donne-nous, aujourd’hui, notre pain pour ce jour ;
12 remets-nous nos dettes,
comme nous aussi nous l’avons fait pour nos débiteurs ;
13 ne nous fais pas entrer dans l’épreuve,
mais délivre-nous du Mauvais.

Jérémie 5, 20-31
Quand l’autorité de Dieu n’est plus reconnue

20 Annoncez ceci à la maison de Jacob, faites-le entendre en Juda :
21 Ecoute, je te prie, peuple stupide, déraisonnable !
Ils ont des yeux et ne voient pas,
ils ont des oreilles et n’entendent pas.
22 Ne me craindrez-vous pas ?
— déclaration du SEIGNEUR.
Ne tremblerez-vous pas devant moi
qui ai donné à la mer le sable pour frontière,
comme une limite permanente qu’elle ne passera pas ?
Ses flots s’agitent, mais ils sont impuissants ;
ils grondent, mais ils ne passent pas.
23 Mais ce peuple a le cœur indocile et rebelle ;
ils se retirent et s’en vont.
24 Ils ne se disent pas :
Craignons le SEIGNEUR, notre Dieu,
qui donne la pluie en son temps,
la pluie d’automne et la pluie de printemps,
et qui nous garde les semaines fixées pour la moisson.
25 Ce sont vos fautes qui ont tout perturbé,
ce sont vos péchés qui vous privent de ces biens.

26 Car il se trouve des méchants dans mon peuple ;
ils épient comme celui qui pose des pièges,
ils tendent un filet et prennent des hommes.
27 Comme une cage est remplie d’oiseaux,
leurs maisons sont remplies de tromperie ;
c’est ainsi qu’ils deviennent puissants et riches.
28 Ils sont devenus gras, resplendissants,
ils dépassent toute mesure dans le mal ;
ils ne rendent pas la justice, ils ne rendent pas justice à l’orphelin,
et ils prospèrent ;
ils ne respectent pas le droit des pauvres.

29 A de telles gens, ne ferais-je pas rendre des comptes ?
— déclaration du SEIGNEUR.
Ne me vengerais-je pas d’une pareille nation ?

30 Ce qui se passe dans le pays est atterrant, terrible :
31 les prophètes parlent mensongèrement,
les prêtres exercent leur pouvoir à leur guise,
et mon peuple aime qu’il en soit ainsi !

Mais que ferez-vous pour son avenir ?

Prédication

Il est assez étonnant de lire dans un texte vieux de 2500 ans, à peu près, l’évocation de perturbations climatique dues à l’activité humaine.

Ce sont vos crimes, maison de Jacob peuple du royaume de Juda, qui perturbent cet ordre : la frontière de sable, le rivage que la mer ne dépasse pas ;

ce sont vos fautes, habitants de Jérusalem, qui perturbent ces bienfaits : la pluie d’automne, la pluie de printemps, c’est-à-dire le cycle des saisons et la possibilité des récoltes.

Au VI° s avant Jésus-Christ, à l’époque du prophète Jérémie, nulle pollution chimique à déplorer, aucun effet de serre à craindre, la notion de réchauffement climatique n’a aucune réalité. Ne faisons pas de Jérémie un écologiste avant l’heure ! Sa représentation de Dieu et celle du monde ne sont plus les nôtres : nous ne croyons pas que les malheurs qui surviennent sont des châtiments de Dieu.

Cependant, nous pouvons entendre dans ses paroles quelque chose pour aujourd’hui, en ces temps de crise écologique, et à quelques jours du synode régional de l’Église protestante unie en région parisienne dont le thème est cette année : Écologie, quelle(s) conversion(s) ?

Dès le début de son ministère, Jérémie avertit le peuple de Jérusalem : d’une part une menace vient, elle vient du Nord, de Babylone l’empire en pleine ascension, et d’autre part ce qui se passe à Jérusalem, parmi le peuple est déjà cause d’un grand malheur.

Le rôle d’un prophète n’est pas de prédire l’avenir. Le rôle du prophète est de dire ce qu’il voit, ce que signifie ce qu’il voit, et les conséquences de ce qu’il voit. Ce qui permet d’interpréter ce qui se passe, c’est l’inspiration par l’Éternel, le Dieu d’Israël, le Dieu Créateur.

Le Dieu créateur, dit Jérémie, a donné à la mer le sable pour frontière comme une limite permanente qu’elle ne passera pas, il fait tomber la pluie en ses saisons, ce qui assure les récoltes.

Ces paroles sonnent étrangement aux oreilles des hommes et des femmes du XXI°s. Comme tous les textes bibliques où la Création est affirmée, confessée, chantée, de la Genèse aux psaumes, du livre de Job à ce passage du livre de Jérémie et bien d’autres encore. Le langage mythologique n’est plus tellement familier aux oreilles modernes. Ce que la Création représente, ce n’est pas un faire, un acte de fabrication de la terre et de ce qu’elle porte : minéraux, végétaux, animaux, et humains. La Création n’est pas non plus la nature, la nature c’est à dire ce qui est là, y compris l’humain qui est là, vivant sur terre. La nature seule est terrible, ce n’est pas seulement la beauté d’un coucher de soleil ou d’un paysage de montagnes, c’est aussi la puissance destructrice d’un cyclone, l’effondrement causé par un tremblement de terre, les virus et les venimeux. La nature, c’est la loi du plus fort dans les relations entre vivants, les uns mangent les autres, il n’y a pas de répit. La nature n’est ni une mère ni un paradis, elle n’est ni à vénérer ni à détester. Elle est ce dont nous faisons partie, humains que nous sommes. Elle est ce sur quoi les humains agissent par la culture et selon leur culture, pour le meilleur ou pour le pire. Mais elle ne dit pas à l’humain ce que signifie être humain et qui est bien plus que le fait d’être en vie.

Sur cette nature qui est là, à cet humain qui est là, la Création pose une interprétation, elle donne une représentation du monde qui est autre chose que le réel et les faits, elle vient donner un sens. C’est ce que chante le premier chapitre de la Genèse avec ce Dieu qui parle et dont la Parole opère des distinctions, des séparations dans la confusion du tohu-bohu, ce Dieu dont la Parole bénit la diversité des espèces et la présence des humains : cela est bon, cela est très bon. La Parole de la Création crée du sens pour l’humain : elle lui dit qui il est dans l’ensemble de ce qui est là, elle lui dit qui il est appelé à devenir en tant qu’humain sur terre, appelé à prendre soin de la Création dans une domination éclairée, éclairée par le Bon, la bénédiction prononcée sur les éléments et leur diversité. 

Autant dire que la Création n’est par derrière, dans un temps reculé, mais qu’elle est un événement dans lequel celui qui répond à la Parole créatrice s’engage dans une démarche personnelle qui le conduit à regarder le monde et lui-même selon l’orientation donnée par la bénédiction.

Alors oui, que ton nom soit sanctifié, avec toute la gratitude de ceux qui n’ont plus à errer ni à mériter un acquiescement ni un horizon à leur existence ; que ton nom soit reconnu pour le nom qui ouvre un chemin pour la vie des vivants !

La culture d’Israël à l’époque de Jérémie est une culture agricole pour laquelle les pluies sont essentielles pour assurer la nourriture et aussi une culture pour laquelle la mer est un élément dangereux : elle s’agite, elle gronde. Dieu lui a fixé une limite rappelle Jérémie. Avec ce langage mythologique, il ne s’agit pas de croire que Dieu s’occupe du tracé des côtes, mais de comprendre que la notion de limite est fondamentale dans le processus de Création. Elle implique à la fois distinction et reconnaissance, l’altérité et à la relation. Avec la limite, est instauré un ordre, un sens, de relations. La limite indique d’une part qu’il y a une place pour chacun des éléments qui sont là, pour chacun des humains, que personne ne peut prendre toute la place. D’autre part elle permet de reconnaître les autres et d’entrer en relation avec eux selon la perspective qui s’origine dans une bénédiction pour conduire à un devenir d’harmonie.

Or ce devenir est mis en péril : Jérémie le dit avec l’image des pluies d’automne et de printemps et le cycle des saisons. Non que Dieu s’occupe de faire tourner les nuages et les vents dans le bon sens et à la bonne vitesse pour ouvrir les vannes au bon moment. Mais les pluies assurent les récoltes et les récoltes assurent la nourriture des humains. Il s’agit là d’une manière de parler de cette harmonie dans laquelle la vie des vivants est préservée, dans laquelle l’humanité de l’humain peut s’épanouir.

 Alors oui, que ton règne vienne, un règne de plénitude et d’harmonie, un règne dans lequel personne ne porte de couronne ni ne réclame de privilège, un règne de réconciliation pour la Création. 

Écoutez, proclame Jérémie, écoutez la Parole de Création !

 Il ne s’agit pas d’un son perceptible par les oreilles, mais d’un élan intérieur qui déplie le désir d’être vivant dans l’harmonie selon la bonté. Il est possible alors de ne pas être soumis aux déterminismes de la nature ni à celui des cultures, mais à porter sur soi et autour de soi un regard faisant place à l’altérité et à aux relations de reconnaissance.

Il est possible d’écouter, de ressentir, d’être attentif à la vibration intérieure de la bonté, au frémissement de l’âme, à la palpitation d’un cœur de chair compatissant, et d’œuvrer pour un monde plus habitable à partir d’un monde abîmé et souffrant. Cela est possible. Ce possible, ce peut-être, est porté par le nom de Dieu. 

Alors oui, que ta volonté advienne, qui crée un monde en état d’accueillir l’humanité avec les plus petits, les plus pauvres qui en font partie. Car il n’y a pas d’humanité sans les plus petits, les plus pauvres, les plus faibles, les plus démunis ; Jésus de Nazareth n’a cessé de parler et d’agir selon cette conviction. 

Or Jérémie le prophète le voit, l’harmonie de la Création est bouleversée, perturbée, comme si la mer franchissait sa limite, comme si les pluies ne tombaient plus au bon moment, comme si le cycle des saisons ne tournait plus. Mais ce qui est en cause, ce qui est cause du bouleversement et du malheur, c’est le dépassement de la limite par les humains. Ce sont eux qui dépassent les bornes, les bornes à l’intérieur desquelles l’harmonie peut se déployer, à l’intérieur desquelles l’humain devient véritablement humain. Ce que le prophète décrit alors, c’est une véritable déshumanisation de l’humain, quand il pense que les limites le contraignent au lieu de croire qu’elles tracent l’espace de l’existence bonne et bénie.

Il est des méchants qui tendent des filets pour prendre des hommes, comme des proies ; leurs maisons sont remplies de tromperies, c’est ainsi qu’ils deviennent puissants et riches. Jérémie voit comment, en cherchant à assurer sa vie par soi-même, à se rassurer par la réussite économique et personnelle, par l’accumulation de biens matériels, l’humain ne reconnaît plus de place pour autrui, sa relation avec lui n’est plus tissée de reconnaissance et de bénédiction. Ce n’est pas qu’il n’y a plus de récoltes, c’est qu’elles ne sont plus partagées. Ils deviennent gras et resplendissants, tandis que d’autres manquent des moyens de vivre. Qu’est-ce que le pain pour ceux qui n’en ont pas ou pas assez ? Qu’est-ce que le pain pour ceux qui l’entassent ?

Oh oui, donne-nous notre pain pour ce jour, notre pain. Donne-nous de regarder le pain comme notre pain qui est véritable pain d’être partagé entre nous, entre tous. 

Quand la domination à laquelle est appelé l’humain n’est plus comprise comme soin à apporter à la Création, aux créatures, mais qu’elle est pervertie en exercice de pouvoir et de puissance, le droit et la justice sont négligés. Car droit et justice sont les moyens par lesquels est mise en œuvre la reconnaissance d’autrui comme humain béni par le Dieu Créateur. Ils sont des expressions de la limite posée à chaque humain afin qu’il ne prenne pas toute la place. Mais dit Jérémie, ils ne rendent pas la justice, ils ne respectent pas le droit des pauvres, le droit d’être considéré avec dignité, le droit de ne pas être exploité, le droit de ne pas étouffer sous les dettes et les comptes à rendre, ne serait-ce que celui d’être là.

Oh oui, remets-nous nos dettes, comme nous l’avons fait aussi pour nos débiteurs pour que qu’ils retrouvent une place, un espace, une respiration, une voix.

Jérémie le discerne bien : la convoitise du pouvoir et de la puissance engendre la violence, celle des riches sur les pauvres, et également celle des humains sur les animaux, celle des bien-portants sur les malades, celles des hommes sur les femmes, celle des purs sur les impurs. Un pouvoir, une puissance, une violence qui sont exercés aussi par les religions et le christianisme n’y échappe pas, et les chrétiens non plus. 

C’est pourquoi la prière donnée par Jésus insiste : ne nous fais pas entrer dans la tentation mais délivre-nous du Mauvais, de la fascination de la puissance comme de la fascination du malheur, de la fatalité qui fait croire qu’il n’y a pas d’autre possibilité de vie, pas d’autre avenir. 

Qu’il soit possible d’entendre la Parole de bonté et de bénédiction, de ressentir ce souffle de bonté qui appelle, inlassablement à devenir bon pour la vie des vivants et particulièrement celle des plus fragiles. 

Que ferez-vous pour l’avenir ? demande Jérémie.

Peut-être écouter l’appel, cette brise légère qui souffle du fond des temps, du fond des textes de la Bible, du fond de l’âme, qui souffle OUI, qui souffle BON, et qui insiste.

Et peut-être répondre à l’appel. Aimer ce monde béni sans cesser de chercher à le transformer vers plus de justice et de bonté.

Répondre à l’appel, puisqu’il s’agit de répondre et non de prouver, devenir responsable, porter une réponse au Bon posé sur la diversité, au OUI posé sur chacun.

Car il n’y a qu’un appel, un appel fragile à devenir humain sur la terre et avec les autres, un appel inconditionnel à la bonté et à la justice. Un appel qui est Dieu, Dieu non comme un pouvoir souverain mais comme possibilité ouverte de la justice et de la bénédiction, Dieu non comme cause mais comme souffle qui appelle, convoque, provoque, invite, incite n’importe qui et dans n’importe quelle situation.

Que ferez-vous pour l’avenir ?

Croire que la fin d’un monde n’est pas la fin du monde

Croire que le retour en arrière n’est qu’une funeste illusion et que ce n’est pas dans le passé que se trouvent les réponses.

Croire qu’il est toujours possible d’inventer, même de bricoler sans prétention avec les moyens du bord, de créer à partir de ce qui est là même quand cela ressemble à un vaste tohu-bohu.

Croire que nous sommes capables de répondre et d’habiter de manière responsable les limites de la condition humaine et le monde qui vient.

Amen