Prédication du 26 mars 2023
Culte court pour l’AG de l’association cultuelle
de Dominique Hernandez
Sel de la terre et lumière du monde
Lecture : Matthieu 5, 13-16
Lecture biblique
Matthieu 5, 13-16
13 C’est vous qui êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens.
14 C’est vous qui êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
15 On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le porte-lampe, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16 Que votre lumière brille ainsi devant les gens, afin qu’ils voient vos belles œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.
Prédication
Vous êtes sel de la terre, vous êtes lumière du monde.
Aucun disciple, aucun groupe de disciples ne peut décider de devenir sel et lumière. Cette déclaration de Jésus est justement une déclaration posée sur les disciples et la foule qui l’écoutent. C’est une parole à entendre et non à prétendre, à recevoir et non à brandir.
Il ne s’agit pas non plus de culpabiliser de ne pas se trouver soi-même sel de la terre et lumière du monde, que ce soit par incompétence, manque de foi ou désir de passer inaperçu ; ni de culpabiliser celles et ceux dont on pense qu’ils ne sont ni très brillants ni très salants.
Ne pensons pas non plus à une possible manipulation des Écritures pour prendre le pouvoir sur qui que ce soit, les autres qui ne sont pas disciples ou pas assez, pas plus qu’à une raison valable d’exclure qui que ce soit.
Une fois mis de côté quelques éléments de ce que cette parole n’est pas, nous pouvons essayer de l’interpréter, conscients que sel et lumière sont des métaphores si riches dans les Écritures que nous n’en ferons pas le tour aujourd’hui.
Gardons du sel sa fonction de rehausseur de goût. Les disciples sont donc déclarés rehausseurs de goût, c’est-à-dire qu’ils mettent en valeur, qu’ils intensifient le goût de la terre, la terre comme lieu de vie commune, c’est-à-dire que les disciples sont capables, là où ils sont, de rendre meilleure la terre comme lieu de vie commune.
De même, pour la lumière du monde, les disciples sont déclarés lumière qui éclaire, c’est-à-dire grâce à laquelle il devient possible distinguer ce qui est là, ce qui vient, comprendre ce qui se passe, trouver un sens, repérer un horizon, discerner un chemin.
Autant dire que par cette parole, les disciples sont donnés à la terre et au monde, comme sel et lumière, ni pour diriger, ni pour juger, ni comme tenants d’une religion avec ses dogmes, ses rites, ses constructions de sacré, mais comme don qui ne peut s’imposer et est offert afin de rendre la vie commune meilleure. La terre et le monde en ont besoin, entre fadeur des vies indifférentes et des vies dépourvues d’horizon et du large, obscurité des injustices, des violences, et des idolâtries. Les disciples sont donnés à d’autres qu’eux-mêmes parce qu’il est possible de vivre autrement le fait d’être vivant, le quotidien, les relations.
Les paroles de Jésus ne sont ni déclaration d’identité ni prescription de pouvoir, mais dynamique d’existence.
Jésus signale deux écueils pour cette dynamique : que le sel ne sale plus et que la lumière soit placée sous un boisseau.
Le sel qui ne sale plus, littéralement, le sel qui devient fou, ce n’est déjà plus du sel. Le sel qui perd sa capacité à saler, ce peut être ne pas croire que je suis sel capable de rehausser le goût de la terre et de rendre meilleure la vie commune, ou encore se détacher de ce qui me fait sel. Car être sel, ce n’est pas de mon fait, ce n’est pas ma volonté, ce n’est pas mon objectif, c’est le don de Dieu à tous.
Être sel c’est être donné à la terre, et être sel, c’est donné, c’est un don reçu dans la compréhension, dans l’accueil de l’Évangile tel que Jésus l’a traduit dans les versets précédents avec les Béatitudes : Heureux les pauvres en esprit, et ceux qui pleurent, et les doux, et ceux qui ont faim et soif de justice, et ceux qui sont compatissant et ceux qui ont le cœur pur, et les artisans de paix, et ceux qui sont persécutés pour la justice et à cause du nom de Jésus.
Croire Jésus, ce n’est pas se prendre pour le sel de la terre ou la lumière du monde, c’est entrer dans cette dynamique-là parce qu’on y a discerné une compréhension de l’existence hors des mérites et performances mais relevant, relevée dans la confiance en Dieu, dans sa justice, c’est-à-dire dans l’esprit du don, de la gratuité et de la générosité.
Être sel et lumière, ce n’est pas une exhortation, c’est la conséquence de l’existence humaine recréée dans la grâce.
Ce qui explique alors que ce qui menace la lumière, c’est le boisseau, pas un seau ou un pot comme certaines traductions le donnent à lire. Un boisseau, c’est une unité de mesure, pour déterminer la dose de référence, et là où il y en a plus, et là où il y en a moins, et pour faire des comparaisons. Il n’y a pas plus à chercher à briller qu’à mesurer si d’autres brillent plus ou moins que soi. La mesure empêche de briller parce que la lumière est gratuite et généreuse. S’il est vrai que nous associons plus souvent la lumière à Dieu, avec le Ps 27 : l’Éternel est ma lumière et mon salut et au Christ qui dit dans l’évangile de Jean : Je suis la lumière du monde, nous n’aurions pas idée de mesurer la lumière que Dieu et le Christ sont. Et c’est cette lumière-là qui brille dans les disciples, lumière divine, lumière de Christ qui n’est pas circonscrite en un lieu mais portée par chacun, en chacun. Il n’est donc pas nécessaire de déployer une folle énergie pour briller, car il nous arrive bien d’être épuisés, ballotés, angoissés, boiteux, doutant.
La dynamique d’existence du sel de la terre et de la lumière du monde ne s’inscrit pas ailleurs que dans le quotidien Il n’est inutile et dommageable de chercher à mesurer quelle quantité de sel chacun représente dans le plat, le pain commun et quotidien ou de mesurer quelle est la luminosité de chacun dans l’obscurité du présent.
Être sel de la terre et lumière du monde, cela nous est donné, et c’est bien un être qui est donné, pas un faire.
Ah mais si, il est question de faire, quand même ! de belles œuvres !
Que votre lumière brille ainsi devant les gens afin qu’ils voient vos belles œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.
Les belles œuvres ne sont pas des bonnes œuvres ou des bonnes actions. Ce n’est pas la même chose, belle et bonne, bon et beau dans le Nouveau Testament. Ce n’est pas simplement pour changer de qualificatif que les évangélistes et Paul utilisent tantôt l’un tantôt l’autre et il est bien dommage que les traductions aplatissent souvent en mettant du bon partout et en entraînant tout du côté de la morale. Nous pouvons décider de faire de bonnes œuvres, mais pas de faire une belle œuvre. Une belle œuvre n’est pas non plus une œuvre esthétique. La beauté pour Matthieu est toujours la beauté de la gratuité, de la générosité, de la grâce du Père qui est dans les cieux. Une belle œuvre est donc celle qui rend visible, qui rend sensible le divin qui œuvre en celui ou celle qui œuvre. Nous sommes tous destinés à briller, à saler et à faire de belles œuvres.
Laisser Dieu nous faire briller, laisser Dieu nous faire devenir sel, laisser Dieu transformer notre être, c’est ce que nous venons faire lorsque nous venons ici, lorsque nous partageons avec d’autres ce qui nous fait vivre, lorsque nous nous retirons dans le secret de notre chambre pour prier, lorsque nous disposons notre être intérieur à Celui qui nous donne de devenir sel de la terre et lumière du monde.