Prédication du 12 juillet 2020

de Dominique Hernandez

Soumis aux autorités supérieures…vraiment ?

Lecture : Romains 13, 1-7

Lecture biblique

Romains 13,1-7

1 Que chacun soit soumis aux autorités établies ; car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu. 
2 C’est pourquoi celui qui résiste à l’autorité s’oppose à l’ordre de Dieu ; ceux qui s’opposent attireront un jugement sur eux-mêmes. 
3 Les chefs, en effet, ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas craindre l’autorité ? Fais le bien, et tu auras son approbation, 
4 car elle est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains, car ce n’est pas pour rien qu’elle porte l’épée : elle est en effet au service de Dieu pour faire justice, pour la colère, contre celui qui pratique le mal. 
5 C’est pourquoi il est nécessaire d’être soumis — non seulement à cause de la colère, mais encore par motif de conscience.

6 C’est aussi pour cela que vous payez des impôts. Car les gouvernants sont attachés au service de Dieu pour cette fonction même. 
7 Rendez à chacun ce qui lui est dû — l’impôt à qui vous devez l’impôt, la taxe à qui vous devez la taxe, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur.

Prédication

Devant ces quelques versets de l’épitre aux Romains, nous pouvons être saisis d’une sorte de vertige, peut-être d’une sorte de répulsion.
Comment Paul peut-il exhorter à la soumission aux autorités établies ?
Lui, l’apôtre de la justification par la foi seule, l’apôtre de la liberté évangélique, l’apôtre de l’amour plus grand que tout, comment peut-il accorder ces convictions à l’obéissance indiscutable aux autorités politiques ?
Comment peut-il demander aux chrétiens de Rome de se plier à une loi, et une loi autre que celle des deux grands commandements ?
Et puis pourquoi Paul a-t-il inséré cette adresse entre deux séries d’exhortations destinées à la communauté chrétienne de Rome et visant d’une part, avant ce passage, à la paix, à l’affection fraternelle, à l’hospitalité et à la solidarité mutuelle et d’autre part, à la suite de cet extrait, à l’amour des uns envers les autres ?
En écoutant ces versets, en les lisant, nous pourrions en conclure qu’il ne saurait être question de contester, de s’opposer, de désobéir aux autorités politiques car ce serait alors contester, s’opposer, désobéir à Dieu qui les a instituées. Mais où irions-nous ? Nous savons bien à quels excès ont pu conduire de telles exhortations imposées comme loi indiscutable : à courber l’échine devant l’oppression, à accepter docilement les injustices, à se taire devant des abus, à justifier un régime politique tyrannique, à renoncer à se mêler de politique.
Cela ne donne pas envie de devenir ou de rester chrétien !
Alors il est possible de se rassurer en invoquant les grandes figures chrétiennes de résistance aux pouvoirs politiques, de Dietrich Bonhoeffer s’opposant au pouvoir nazi à Martin Luther King luttant contre la ségrégation aux Etats-Unis, des Justes pendant la deuxième guerre mondiale aux pasteurs des paroisses protestantes en République démocratique d’Allemagne qui organisaient des veillées de prière dans les temples, jusqu’à ce que le mouvement prenne assez d’ampleur pour abattre le mur de Berlin.
Il est aussi possible de relire les épitres de Paul, ces versets de l’épitre aux Romains, avec attention, sans se laisser impressionner par une étiquette d’ultra-conservateur misogyne de surcroît.

Que ce soit dans la Bible hébraïque, dans les évangiles, dans le livre des Actes, les épitres, pas seulement les pauliniennes, et jusque dans le livre de l’Apocalypse, il est question du rapport entre foi et politique, rapport souvent conflictuel comme en témoignent par exemple :

les livres de Samuel, d’Esaïe ou d’Amos,

la prédication de Jésus de Nazareth  qui proclame l’advenue du Royaume, terme tout à fait politique,

la question posée au Nazaréen : Faut-il payer l’impôt à César ?

ou encore la dénonciation de l’idéologie et de la propagande du pouvoir romain par Jean de Patmos, le visionnaire de l’Apocalypse.

Paul semble éviter toute polémique… Au premier siècle, il vit sous une forme de mondialisation : l’empire romain, et la Judée n’est qu’une province parmi d’autres, soumise à la paix romaine. L’apôtre prend toujours en compte la situation des personnes auxquelles il s’dresse.
Mais au-delà de son contexte d’écriture, l’épitre aux Romains est restée un appui, un élan pour penser la foi, que ce soit pour les épitres deutéro-pauliniennes, pour l’Eglise et Martin Luther ; et le 13° chapitre a été au cœur des débats ultérieurs sur la fondation de l’autorité politique et sa critique.

Lorsque Paul écrit qu’il n’y a pas d’autorité supérieure si ce n’est par Dieu, venant de Dieu, il ne légitime en aucune manière l’empire, l’empereur, les préfets… Paul ne pointe pas particulièrement un régime politique. Il fait état de sa conviction en ce qui concerne l’autorité supérieure, le pouvoir politique. Cette conviction, c’est que le pouvoir politique a pour but d’organiser, d’ordonner, mettre en ordre la vie commune et de servir et garantir ainsi le bien commun, de tous.
La conviction de Paul, partagée par bien des auteurs bibliques, c’est que les êtres humains laissés à eux-mêmes ne sont pas capables de vivre ensemble sans conflit, sans lutte des uns contre les autres, sans se déchirer les uns les autres. Il s’agit alors de comprendre l’autorité politique comme s’opposant à la loi de la nature. Car la loi de la nature, c’est la loi du plus fort, du plus rusé ou du plus efficace. Ce peut être une personne ou un groupe de personnes ou un tout petit virus.
La foi dans le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de Jésus-Christ inscrit le croyant dans la Création, qui n’est pas la nature, au contraire. La Création ne laisse pas faire la nature, elle ouvre une orientation de pensée et d’action pour l’existence, orientation exprimée par exemple dans cette parole du Deutéronome : choisis la vie afin que tu vives en aimant le Seigneur ton Dieu, en l’écoutant et en t’attachant à lui.
S’inscrire dans l’ordre de la création produit un nouveau regard, une nouvelle compréhension ; par exemple, le virus ou la bactérie relève de la nature, mais la recherche d’un vaccin contre le virus ou d’un antibiotique contre la bactérie relève du projet de la Création, Création qui est en avant de nous, toujours à venir, toujours en devenir.

En ce qui concerne les humains, le projet de la Création, choisir la vie, c’est chercher à vivre ensemble de manière harmonieuse, respectueuse et juste les uns vis-à-vis des autres et cela requiert une organisation qui pose des limites aux plus forts, aux plus rusés, aux plus efficaces, afin que les plus faibles, les plus vulnérables, les plus démunis ne soient pas écrasés. Devant le Créateur, nous ne sommes pas destinés à subir la loi du plus fort, ni celle d’un intérêt particulier. C’est au pouvoir politique d’organiser ce cadre et de veiller sur lui afin que les rapports de forces, de quelque forme que ce soit, ne deviennent pas la règle mais que l’espace commun soit vivable pour tous. C’est pourquoi Paul affirme que l’autorité politique vient de Dieu, en ce qu’elle doit garantir le cadre de la vie commune pour tous. Ce qui vise à la justice, ce qui préserve la liberté, le bien commun, ce qui veille sur les faibles, cela vient de Dieu. Ce point de vue, de l’intérieur la Création, ne juge pas des convictions de foi des peuples ou des gouvernants, ils peuvent être chrétiens, croyants d’une autre religion ou agnostiques, ou athées. De ce point de vue, de l’intérieur la Création, le Créateur est l’instance à laquelle est référé ce qui est établi et pratiqué.
L’autorité politique, quant à elle, est l’instance d’arbitrage, d’organisation du dialogue et du débat sur la justice de la vie commune. C’est pourquoi Paul insiste sur sa nécessité, sur son bien-fondé.

L’apôtre ne s’adresse pas aux autorités politiques. Il ne donne aucun conseil, aucun avertissement, aucune éthique de gouvernement. Il ne discute même pas l’hypothèse que le pouvoir politique puisse ne pas tenir sa vocation de service du bien commun, qu’il puisse devenir un pouvoir tyrannique ou un pouvoir totalitaire, ni même qu’il puisse être soumis à un autre pouvoir, économique par exemple. Cela nous manque quand nous lisons ce passage, tant l’histoire de l’humanité abonde en exemples sinistres et atroces de pouvoirs politiques servant d’autres intérêts que le bien commun.
Paul s’adresse aux chrétiens. Plus exactement, littéralement, Paul écrit non pas : que tout homme… mais : que toute âme… ce lieu intérieur où le chrétien se tient devant Dieu, en conversation avec Dieu et avec lui-même. C’est cette âme, ouverte sur plus qu’elle-même, que Paul renvoie à la conscience. Âme et conscience sont les deux pôles qui mobilisent l’existence de chaque chrétien, sa présence dans le monde. La conscience, notre conscience, c’est ce qui nous empêche d’agir sans penser, sans réfléchir, ce qui nous empêche de vivre comme si nous étions sourds et aveugles à ce qui nous entoure.
La conscience, notre conscience, c’est notre capacité de penser et d’agir selon notre conviction profonde, une libre conviction, une conviction intimement associée à la liberté intérieure née de la confiance en la grâce. En effet, lorsque nous croyons que nous sommes au bénéfice de l’extrême bienveillance divine, nous sommes libérés du poids des regards d’autrui et des entraves des jugements portés en permanence sur nous ; et nous pouvons penser librement, en-dehors des schémas imposés.
Parce que cette liberté intérieure est un don de la grâce, dans la foi, nous comprenons bien qu’elle n’est pas indifférente à la liberté d’autrui, que nous ne pouvons goûter la nôtre sans défendre celle des autres, chrétiens ou non, parce que tous, chrétiens ou non, ont la même dignité, la même valeur devant Dieu.

Alors même si Paul reste dans l’idéal du pouvoir politique attentif au bien commun, son appel à l’âme et à la conscience représente une insistante invitation à penser plus loin que cet idéal dont nous savons bien qu’il n’est dans la réalité pas toujours idéalement exercé.
L’un de ceux qui ont pensé plus loin est Jean Calvin qui écrit dans son commentaire de l’épître aux Romains : ce n’est point pour eux que les magistrats dominent, mais pour le bien et le profit du public ; et ils n’ont point reçu une puissance démesurée mais elle est astreinte au profit des sujets… cette administration que Dieu leur a confiée regarde et concerne les sujets ; c’est pourquoi envers ces derniers ils sont aussi redevables. Jean Calvin achève également son grand œuvre, L’Institution de la religion chrétienne, par une réflexion sur l’autorité politique en envisageant très clairement la possibilité de la faillite du politique qui ne respecterait pas sa vocation. Dans ce cas, le pouvoir, le magistrat perd sa légitimité et il n’est plus question de se soumettre.
Aucune tyrannie ne peut se légitimer à partir de l’épitre aux Romains. Car la visée de la tyrannie, c’est par la force et par la peur, de remplacer Dieu comme instance de référence de la conscience.

Depuis Paul et l’épître aux Romains, les chrétiens sont appelés à la responsabilité, en leur âme et conscience. La responsabilité de se tenir dans l’espace commun à tous, d’y être présents, et d’y exercer un jugement critique à l’égard du pouvoir politique, c’est-à-dire discerner si les gouvernants respectent la vocation du pouvoir politique à servir le bien commun, dans le respect de la liberté de tous. Il ne s’agit pas de légitimer tel parti plutôt que tel autre, telle forme de gouvernement plutôt que telle autre, tel ordre moral plutôt qu’un autre. Mais il s’agit de discerner, en conscience, et de veiller à ce que l’espace commun soit celui qui permette à chacun de vivre, celui qui garantisse à chacun la liberté de vivre. C’est pourquoi ce texte est enchâssé dans les exhortations de Paul à l’attention mutuelle, à l’amour les uns envers les autres. Car l’attention et l’amour ne sont véritablement possibles que dans la liberté d’âme et de conscience, la liberté de celui ou celle qui vit non sous la loi du plus fort qui le juge en permanence, mais sous la grâce inconditionnelle, la bonté et la paix divine.

Lorsque Paul écrit : il n’y a pas d’autorité si ce n’est par Dieu, ce n’est pas une exhortation, ce n’est pas une constatation, c’est une confession de foi. Foi en un Dieu qui ne cesse de susciter la vie pour tous, foi en Jésus-Christ qui a relevé la vie pour tous, y compris celle des plus fragiles, des plus démunis et des plus exclus, jusqu’à en être tué.
Choisis la vie : l’exhortation du livre du Deutéronome est relayée par Paul au sujet du politique, et cela nous engage dans l’espace public. C’est notre vocation de croyants, de vivants,

vigilants contre la loi du plus fort,

attentifs pour que l’humain ne soit pas considéré comme une marchandise,

veillant pour que chacun puisse vivre librement.

Vraiment.

Amen