Prédication du 15 septembre 2019

Va vers toi

de Dominique Hernandez

Lectures : Genèse 12,1-9

Lectures

Genèse 12,1-9

Dieu appelle Abram à quitter son pays

1 Le SEIGNEUR dit à Abram : Va-t’en de ton pays, du lieu de tes origines et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai.
2 Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai ; je rendrai ton nom grand, et tu seras une bénédiction.
3 Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te maudira. Tous les clans de la terre se béniront par toi.
4 Abram partit, comme le SEIGNEUR le lui avait dit, et Loth partit avec lui. Abram avait soixante-quinze ans lorsqu’il quitta Harrân.
5 Abram prit Saraï, sa femme, et Loth, son neveu, avec tous les biens et les gens qu’ils avaient acquis à Harrân. Ils partirent pour Canaan, et ils arrivèrent en Canaan.
6 Abram traversa le pays jusqu’au lieu de Sichem, jusqu’au térébinthe de Moré. Les Cananéens étaient alors dans le pays.
7 Le SEIGNEUR apparut à Abram et dit : Je donnerai ce pays à ta descendance. Abram bâtit là un autel pour le SEIGNEUR qui lui était apparu.
8 Puis il leva le camp pour se rendre dans la montagne, à l’est de Beth-El ; il dressa sa tente entre Beth-El, à l’ouest, et le Aï, à l’est. Il bâtit là un autel pour le SEIGNEUR et invoqua le nom du SEIGNEUR (YHWH) .
9 Abram repartit, en se rendant par étapes vers le Néguev.

Introduction

par les jeunes de dernière année de KT
après la lecture du texte biblique

Dans le texte hébreu de Genèse 12, quand l’Éternel s’adresse à Abram, il n’est pas écrit seulement « Pars » ou Va-t-en » ou « Va hors de… ».
Il est écrit en hébreu : « Va pour toi » ou « va vers toi ».

Mais comment aller vers soi ?
Ne suis-je donc pas là où je suis ? Ne suis-je donc pas qui je suis ? D’où est-ce que je pars ?
Par où passer pour aller vers moi ?

Prédication

La Bible est un livre de voyages : elle en raconte au fil de ses récits, pas seulement pour Abram, pas seulement ceux de l’apôtre Paul, ou ceux de Jésus de Nazareth sur les routes de Galilée, Judée et un peu au-delà. 

La Bible est un livre de déplacements et pas seulement géographiques : d’exode en exil, de fuite en retour, de conversion en retournement.

La Bible est un livre de passage : de l’oppression à la liberté, de l’esclavage au service, de la peur à la confiance, de la mort à la vie.

La Bible est un livre d’aventures, c’est-à-dire un livre où des hommes et des femmes s’aventurent dans des lieux nouveaux, inconnus, étrangers, rencontrant des hommes et des femmes nouveaux, inconnus, étrangers, avec curiosité, courage et confiance, ce qui n’empêche pas les préjugés, les peurs et les erreurs.

La Bible est un livre de découvertes, découvertes de relations entre les humains et Dieu, et découvertes des variations de ces relations.

Avec tout cela, la Bible est un livre de sens, directions et significations, un sens possible à l’existence.

C’est bien ce dont parle l’Éternel à Abram : va vers toi, d’ici à là-bas.

Dieu ne lui dit pas « Viens vers moi » comme s’il fallait faire l’effort ou trouver le bon chemin pour de le rejoindre. C’est Dieu qui rejoint Abram là où il est et il l’envoie non vers un lieu où Dieu serait plus ou mieux, mais vers lui-même, un Abram qui n’est pas encore celui auquel Dieu s’adresse. Dieu envoie Abram vers Abram, il envoie l’humain vers lui-même et c’est sur ce chemin que Dieu se tient toujours. L’aventure consiste en un devenir qui n’est ni un rêve ni une ambition ni une construction planifiée à l’avance et suivie d’étape en étape. 

Abram a 75 ans lorsque l’Éternel l’invite à ce voyage. Ce n’est pas tout jeune, surtout pour vous, catéchumènes ! D’une part vous n’avez pas à attendre un âge respectable pour vous sentir concernés, et d’autre part, il n’y a pas d’âge, un nouveau départ est toujours possible, il n’est jamais trop tard et c’est tout de même une bonne nouvelle…

Va vers toi, d’ici à là-bas. 

Là où se tient Abram lorsqu’il entend l’appel de l’Éternel, ce qu’il va quitter, c’est son pays, sa famille, la maison de son père. A l’autre bout du voyage, il trouvera la terre que l’Éternel lui fera voir, un avenir de grande nation et un nom que l’Éternel rendra grand. Ce voyage, c’est un élargissement, une mise au large, à la fois un agrandissement et une libération.

Abram est appelé à partir de ce qu’il considère comme sien : sa terre, sa famille, la maison de son père, et qui en même temps le limite, pour aller vers ce qui ne lui appartient pas. Un chemin pour se déprendre de ce qui le définit vers ce qui est à recevoir de l’Éternel et qui ne correspond pas à ce qu’il aurait trouvé chez lui. 

Chez lui, à Haran, dans la maison de son père,

  • il y a des terres et des biens à partager avec tout ce que cela comporte de rivalités et de convoitises possibles, 
  • il y a une absence de descendance puisque sa femme est stérile, et 
  • il y a un nom un peu lourd à porter car Abram, le nom choisi par son père signifie « père élevé » : de quoi provoquer jalousie et ressentiment ou déception et culpabilité de n’avoir pas été à la hauteur !

Son pays, c’est-à-dire son lieu sur la terre, plus sa famille, c’est-à-dire le lieu où il est né, plus la maison de son père, c’est-à-dire le lieu où il a grandi, cela ne fait pas d’Abram l’homme qu’il est appelé à devenir. Cela ne fait de personne l’humain qu’il ou elle est appelé(e) à devenir. Il en est de même pour chacun de nous, et pour vous en particulier, catéchumènes, qui en êtes encore au matin de votre vie. Il ne s’agit pas d’ingratitude. Il s’agit d’une dynamique d’identité, d’une identité qui n’est ni crispée ni figée mais qui est identité en mouvement. D’ailleurs Abram ne reniera pas ses origines. Plus tard, plus loin dans le livre de la Genèse, quand il cherchera une épouse pour son fils Isaac, c’est vers Harân, vers la maison de son frère qu’il enverra son serviteur trouver l’épouse d’Isaac : ce sera Rebecca. Le pays d’origine, la famille, la maison du père, c’est comme une bulle, dont il faut sortir, ni par fuite ni par rupture mais en réponse à un appel, à une vocation, à un désir, à une confiance.

La promesse que Dieu lui fait, ce devenir tout autre de la destinée d’Abram dans sa bulle, prendra forme dans le voyage, un voyage qui durera toute sa vie, même lorsqu’il aura vu ce pays promis, Abram/Abraham restera itinérant, nomade, un araméen errant. Le seul terrain qu’il achètera sera le champ où se trouve la grotte pour inhumer Sarah. Pour lui-même, pour son existence, lui suffiront les départs et les arrivées, les tentes, les autels élevés sur les lieux des haltes, et surtout les relations nouvelles, différentes de celles de « son pays, sa famille, la maison de son père », des relations surprenantes et parfois éprouvantes. 

Relations avec d’autres humains, inattendus, étrangers et Abram étant lui-même pour eux un étranger, un passant, un migrant. 

Relation également avec l’Éternel qui l’a appelé, qui l’a invité au voyage, qui lui a demandé de partir. Abram bâtit un autel lors des étapes de son voyage, des autels pour invoquer Dieu : pas pour offrir des sacrifices ou demander quelque chose, et pas non plus pour imposer l’Éternel là où il s’arrête, mais pour prier, littéralement « appeler le nom de l’Éternel » : simplement, mais tout est là pour la foi, se rendre présent à Dieu, se mettre à son écoute. Un Dieu qui se révèlera surprenant, un Dieu qui s’adaptera aux différentes situations dans lesquelles se trouvera Abram/Abraham pour maintenir sa bénédiction et sa promesse. Il faut dire qu’Abram (Abraham) est aussi 

  • un homme qui a peur qu’on le tue pour prendre sa femme qui est très belle, 
  • un homme qui pense que des étrangers ne peuvent pas connaître Dieu, 
  • un homme qui, pris à partie dans des difficultés et jalousies familiales ne garde pas toujours le sens de la justice pour préserver sa tranquillité… 

Dieu s’adapte, pour que la vie se répande. Cette dynamique instaurée prendra le nom d’alliance.

Car il s’agit bien de cela : que la vie s’épanouisse. La vie, fruit de la bénédiction et de la promesse. La vie d’Abram, celle de Saraï, celle de Lot, celle de ceux qu’Abram rencontrera. A l’époque de la mise en forme du récit, alors qu’une partie du peuple d’Israël est en exil à Babylone et que l’autre voit sa terre occupée par l’envahisseur perse, ce récit transmet l’espérance d’un avenir pour des exilés loin de leur terre et pour ceux qui restés sur la terre de Judée doivent supporter l’occupation de leur pays. L’espérance ne rend pas passif, elle transforme une situation de crise, d’obscurité, de manque, en un présent, une résistance, une protestation, un service, puisque tout n’est pas fini. 

Va vers toi, je te bénis, deviens bénédiction, dit l’Éternel à Abram. 

Adossées l’une à l’autre, promesse et bénédiction ouvrent un avenir même là où il n’y avait qu’une impasse, un horizon barré. Un avenir qui n’est pas ordonné par la convoitise, la rivalité et la jalousie c’est à dire à la négation d’autrui, mais qui est orienté vers l’épanouissement des vivants. La terre que Dieu fait voir n’est pas un espace nécessitant des postes de douane et des passeports. C’est une terre d’accueil, de rencontres et de partages, un espace où l’on est élargi sans écraser les pieds de qui que ce soit, une terre où l’on n’a pas besoin d’avoir des ennemis. 

Car dans la promesse et la bénédiction, il ne s’agit pas seulement de Dieu et de celui qu’il bénit, les autres y sont aussi associés, toutes les familles de la terre dit l’Éternel à Abram.  Une bénédiction, ce n’est jamais pour soi tout seul.

La bénédiction par laquelle se termine un culte ne constitue pas une fin en soi, mais elle signifie une invitation pour les heures et les jours qui suivent le culte, à faire passer la bénédiction, à agir et parler comme bénédiction, en devenant porteur de bénédiction pour autrui. Une bénédiction, c’est le commencement d’un élan, d’une circulation de bénédiction : de bien dit sur autrui. Cela passe à travers des choses très simples et quotidiennes. Par exemple, dire bonjour à quelqu’un, ce n’est pas seulement une formule de politesse, c’est aussi une manière de dire : que ce jour soit bon pour toi. Cela engage ! Bonjour, c’est-à-dire : je te considère comme une personne bénie par Dieu alors je vais tâcher de ne pas te gâcher ce jour. De même qu’on dit parfois « Adieu » pour dire au-revoir ou même bonjour ; cela signifie que la personne et le temps qui vient,  dans la rencontre ou la séparation, sont remis à Dieu, le Dieu qui bénit, le Dieu de la vie. 

Va vers toi : le voyage passe par les rencontres où passe la bénédiction. Ce n’est jamais un voyage en auto-suffisance, un chemin d’individualisme, mais un voyage où le soi qui devient se noue toujours à d’autres, pour un temps ou pour longtemps. 

Et puis Abram ne part pas seul : il emmène sa femme Saraï, son neveu Lot, ses serviteurs et servantes. Le voyage ne se fait pas en solitaire, dans l’isolement. Un voyage de vie, d’existence, c’est un voyage en commun, même si parfois il y a des séparations, comme celle de Lot et Abram un jour où les rivalités reprendront le dessus.

Aujourd’hui, il y a des personnes qui cheminent avec toi…, toi… pas seulement vous 3 ou 4 ensemble, pas seulement avec les catéchètes et la pasteure. Il y a une Église, Église, un mot qui signifie : ceux qui sont appelés, et qui répondent.

Ceux qui sont appelés et qui répondent, comme Abram appelé a répondu, en se mettant en route, en sortant de leur bulle, sans savoir grand-chose, sans tout comprendre, mais en répondant à cet appel à devenir eux-mêmes en aventure, en découverte, en rencontres, en séparation et en relations, et surtout en confiance.

Car si Abram/Abraham est appelé père des croyants, ce n’est pas à cause de son obéissance, c’est à cause de sa foi, de sa confiance en l’appel à vivre, à devenir lui-même vivant, béni et bénissant. 

Peut-être que le catéchisme participera à votre chemin d’existence, qu’il fera résonner pour vous quelque chose de l’appel à devenir. Dans le mot catéchisme il y a une racine grecque qui signifie la résonance. Et peut-être, ce n’est pas une incertitude, c’est une possibilité offerte, gratuite, pour partager un bout de chemin, des découvertes, des rencontres et des bénédictions. Bonne route !

Amen