Prédication du 29 mars 2020

Petit culte vidéo (enregistré pendant le confinement)

de Dominique Hernandez

Veilleur, où en est la nuit ?

Lectures : Esaïe 21, 11-12

Prière

Éternel Dieu, je veux te dire merci pour ce temps de culte, pour la prière dans laquelle je peux être simplement tel que je suis.
Je veux te dire merci pour tout ce qui a été donné cette semaine de bonté, de solidarité, d’attentions et de dévouements.
Je veux te dire merci pour l’amitié, la fraternité, l’humanité manifestées sur toute la terre au-delà des différences et des séparations, et malgré les épreuves.
Je veux te dire merci pour la communion qui me réunit avec ceux qui te cherchent, ceux qui t’appellent, ceux qui t’écoutent, et tous ceux que tu rassembles dans l’Église du Christ.

Alors je veux aussi te dire ce qui m’inquiète, ce qui me pèse, ce qui m’oppresse, 

ce confinement qui va durer
le souci pour ceux que je ne peux plus voir
la peine devant les décès
la peur aussi devant l’incertitude, devant la pandémie qui se répand, et devant les tentations de l’égoïsme, de la résignation, de la démission.

Je veux te dire que j’ai besoin d’aide, de compassion, de pardon, de confiance ; ton aide, ta compassion, ton pardon, ta confiance.

Amen

Amis, l’Évangile est une bonne nouvelle, la bonne nouvelle que rien, ni la mort ni la vie, ni le passé ni le présent ni l’avenir, ni hauteur, ni profondeur ni aucune puissance qui soit, rien ne peut nous séparer de l’amour que Dieu nous a manifesté en Jésus le Christ.

Alors nous pouvons compter sur cet amour, sur sa fidélité, pour aujourd’hui, pour chacun des jours qui viennent.

Lecture

Esaïe 21, 11-12

11 Sentence sur Douma. On me crie de Séir : Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où en est la nuit ?
12 Le veilleur répond : Le matin vient, et la nuit aussi. Si vous voulez interroger, interrogez ! Revenez, oui, venez !

Prédication

Veilleur, où en est la nuit ?
Dans ces jours d’épidémie et de confinement, nous voudrions bien que quelqu’un puisse nous dire : c’est bientôt fini, encore un peu de temps…
Un peu comme la vigie d’un navire qui avertit que la terre est proche avant que ceux qui sont sur le pont puissent en deviner la trace sur l’horizon.
Ou comme au livre d’Esaïe, le guetteur, la sentinelle, le veilleur dans la nuit guette les signes de l’aube, du jour qui vient et dissipera l’obscurité. Parce que la nuit semble toujours menaçante, elle affecte les sens : on ne peut voir ni qui vient, ni ce qui vient, et les bruits qu’on entend sont inquiétants.

Nous vivons des jours, un temps comme une nuit, des ténèbres composées de l’addition de plusieurs niveaux d’obscurité

  • Celle de l’incertitude de savoir quand cela prendra fin. C’est tellement difficile à supporter l’incertitude, de ne pas savoir.
  • L’obscurité de la situation économique, la précarité, la crise déjà en cours dans les économies des entreprises, des états.
  • L’obscurité des discours de catastrophe, messages et images qui diffusent angoisse, méfiance, voire haine.
  • L’obscurité de la menace de la maladie : vais-je être, suis-je déjà contaminé ? Et ma famille, mes amis ? Ceux que je connais qui sont malades, est-ce que ce sera bénin ou grave ? Et je ne peux pas les visiter, je ne peux pas être visité…
  • L’obscurité de la mort, parce que cette limite de la condition humaine est soudain devenue visible, sensible. Parce que la distance et l’absence accentuent les douleurs du deuil.
  • L’obscurité de la peur alimentée par les discours de catastrophe, par la peur de la maladie ou de la mort.

Nous ne savons pas ce qui va arriver demain.
Bien sûr, l’épidémie s’arrêtera, le confinement prendra fin, nous ignorons quand.
Où en est la nuit ? Veilleur, où en est la nuit ? En sommes-nous encore au début ? ou au milieu ? L’aube avec sa tendre lumière ne paraît pas encore.

Pourtant l’obscurité, les ténèbres, c’est aussi un temps de commencement. Le premier chapitre de la Genèse, chant de création qui n’évoque pas le commencement chronologique de la Création mais son principe, son essence profonde et véritable, Gen 1 le chante magnifiquement :
Gn 1,1-4 : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était un chaos, elle était vide ; il y avait des ténèbres au-dessus de l’abîme, et le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux. Dieu dit : qu’il y ait de la lumière. Et il y eut de la lumière.
Le prologue de l’évangile de Jean reprend le thème de la lumière et de la parole pour la lumière, vers la lumière, la parole de lumière :
Jn 1,1-5 : Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu. Elle était au commencement auprès de Dieu. Tout est venu à l’existence par elle et rien n’est venu à l’existence sans elle. Ce qui est venu à l’existence en elle était vie, et la vie était la lumière des humains. La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres n’ont pas pu la saisir.
Ainsi, pour ces textes bibliques, et d’autres encore, l’être humain, vous, moi, l’être humain déjà été visité d’une clarté, d’une clarté qui éveille au plus profond de l’être le désir de devenir humain. Et c’est en la reconnaissant, en l’accueillant en conscience et en foi que les croyants, les amis, les disciples du Christ témoignent, prolongent, incarnent, offrent cet amour, Parole, lumière qui sont de Dieu, qui sont Dieu.

Et pourtant l’appel retentit : veilleur, où en est la nuit ? Celui qui appelle ne voit pas de douceur d’aube poindre dans l’obscurité. Il ne distingue pas d’altération à la profondeur de la nuit. Et il redouble son appel, signe d’anxiété, d’impatience, et d’espérance aussi, car il espère autre chose que la nuit, il attend qu’elle s’efface pour laisser place à un nouveau jour.
Le veilleur répond : le matin vient.
On pourrait dire : oui bien sûr, le matin vient toujours après la nuit, c’est l’expérience basique de l’alternance des jours et des nuits. Mais pourquoi alors faudrait-il un veilleur pour dire que le matin vient si tout le monde le sait ?
On pourrait dire : mais oui bien sûr, le matin vient toujours après la nuit, comme le beau temps après la pluie et ainsi va la vie. Mais là encore, pas besoin de veilleur pour annoncer le matin, tout le monde a à sa portée cette réserve de proverbes pour faire glisser dans une formule bien tournée ce qui se passe, au risque de l’enliser dans un « déjà vu », un « toujours pareil » qui ne laisse plus aucune place à la nouveauté, à l’inédit, à l’inouï, au devenir.

Le matin vient. Il n’est pas dit que le veilleur, du haut de la muraille, de la tour, de l’arbre, du rocher, de son lieu de veille, voit de ses yeux l’obscurité commencer à faiblir et à sombrer devant une nuance de rose qui poindrait à l’horizon. Peut-être que le veilleur ne voit rien de cela, mais qu’il discerne cependant des lueurs, des lueurs d’une autre lumière que celle du jour qui vient, mais qui font signes pour le jour qui vient.
Le veilleur se tient dans l’obscurité de la nuit. C’est peut-être Esaïe dans son sombre siècle rempli de bruits de menace et guerre. C’est peut-être celui ou celle qui en un temps d’épreuve, dans la nuit, prête attention à ces lueurs qui ne sont pas celle de l’aube.
Quelqu’un qui ne se contente pas de la nuit, qui ne se résigne pas à l’obscurité et qui croit de tout son être que les ténèbres n’auront pas le dernier mot. Quelqu’un qui au cœur de la nuit croit que l’aube viendra parce que lui voit les lueurs qui parlent de l’aube.

Dans ces jours sombres qui sont les nôtres, sombres peut-être comme une nuit, il est des lueurs, des visages, des paroles, des textes qui touchent au cœur et animent le désir du jour à venir. Pas seulement que la nuit prendra fin, mais le désir du jour à venir et c’est ce désir qui aide à traverser la nuit, qui aide à aller au bout de l’obscurité.
Tant que la nuit reste nuit, ces lueurs, ces éclats y insèrent autre chose que la nuit et la nuit en est transformée.
Pour le veilleur d’Esaïe, le veilleur Esaïe, la lueur est celle de l’alliance divine à laquelle il exhorte le peuple de revenir, l’alliance divine qui convoque l’existence autant à la liberté qu’à la responsabilité mais toujours dans la confiance.
A la suite d’Esaïe, ces lueurs dans la nuit sont celles des témoignages déposés dans les Écritures, autant d’expériences transmises, pas des faits objectifs, mais des témoignages qui touchent dans l’intimité du cœur, dans l’humilité et la fragilité de l’humain, les nôtres.
Ces lueurs sont également avivées par les témoins que nous avons côtoyés, que nous connaissons et qui, dans les nuits passées, nous ont permis de les traverser en nourrissant la confiance et l’espérance, en nous permettant de retrouver le désir du matin, le désir du demain, le désir du devenir.
Écritures et témoins, qui transmettent des expériences vécues, singulières et pourtant offertes à d’autres, à tous ;
Écritures et témoins qui désignent une communion dans laquelle chacun peut trouver place ;
Écritures et témoins, porteurs de souffle et de paroles, qui font surgir les lueurs de confiance et d’espérance.

Le veilleur, Esaïe, une autre personne ne fait pas de prédiction pour annoncer quand la nuit prendra fin, de quelle manière, avec quel roi, quel chef… Mais le veilleur porte un cri d’espérance qui perce dans la nuit, qui perce la nuit

malgré les résignations devant l’impuissance, résignations qui portent au désespoir,
malgré les discours des analyses même bien étayées,
malgré l’instauration de rapports de peur et de force. 

Le matin vient, et la nuit aussi, dit le veilleur, pour qu’on ne se fasse pas d’illusions, mais aussi, mais surtout, pour proclamer l’alliance créatrice, l’alliance fidèle du Dieu qui, lui, renonce à la force, à la violence et à prendre toute la place, l’alliance du Dieu sauveur, qui sauve non en supprimant la nuit ou les épreuves, mais qui sauve afin que, dans la nuit et les épreuves nous ne perdions pas notre humanité, notre être-vivant, la clarté posée sur chacun au commencement.

Le matin vient et déjà, dans la nuit, brillent les lueurs. Puissions-nous les discerner, 

pour recevoir et, insuffler, chacun là où nous sommes, nos domiciles ou nos lieux de travail, la responsabilité, l’inventivité, la créativité 

afin de rester présents, vigilants, veillant, et disponibles au souffle de l’Esprit qui porte en nous l’amour de Dieu pour nous et pour le monde.

Alors dans la nuit, ce n’est pas la peur qui nous envahira, qui nous gouvernera, mais la confiance et l’espérance en Celui qui, en Jésus-Christ, est venu nous rejoindre dans les nuits les plus profondes de l’humanité et ne nous y abandonnera pas.

Amen