Prédication du 31 octobre 2021

de Dominique Hernandez

Vivre devant…

Lecture : Deutéronome 10, 12-22 et 11,1 ; Luc 19, 1-10 (d’après la Nouvelle Bible Segond)

Lectures bibliques

Deutéronome 10, 12-22 et 11, 1

12 Maintenant, Israël, que demande de toi le SEIGNEUR, ton Dieu, si ce n’est que tu craignes le SEIGNEUR, ton Dieu, en suivant toutes ses voies, en aimant et en servant le SEIGNEUR, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme,
13 en observant les commandements du SEIGNEUR et ses prescriptions, tels que je les institue pour toi aujourd’hui, afin que tu sois heureux ?
14 C’est au SEIGNEUR, ton Dieu, qu’appartiennent le ciel et le ciel du ciel, la terre et tout ce qui s’y trouve.
15 C’est de tes pères seulement que le SEIGNEUR s’est épris, ce sont eux qu’il a aimés ; et, après eux, c’est leur descendance, c’est vous qu’il a choisis d’entre tous les peuples — voilà pourquoi il en est ainsi en ce jour.
16 Vous circoncirez donc votre cœur et vous ne vous montrerez plus rétifs.
17 Car le SEIGNEUR (YHWH), votre Dieu, est le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, vaillant et digne de crainte, qui ne fait pas de favoritisme et qui n’accepte pas de pot-de-vin,
18 qui défend le droit de l’orphelin et de la veuve, qui aime l’immigré et lui donne du pain et un manteau.
19 Vous aimerez l’immigré, car vous avez été des immigrés en Égypte.
20 C’est le SEIGNEUR (YHWH), ton Dieu, que tu craindras ; c’est lui que tu serviras, c’est à lui que tu t’attacheras, c’est par son nom que tu prêteras serment.
21 Il est ta louange, il est ton Dieu : c’est lui qui a fait chez toi ces œuvres grandes et redoutables que tes yeux ont vues.
22 Tes pères sont descendus en Égypte au nombre de soixante-dix ; et maintenant le SEIGNEUR, ton Dieu, a fait de toi une multitude pareille aux étoiles du ciel.
1 Tu aimeras le SEIGNEUR, ton Dieu, et tu garderas toujours ses observances, ses prescriptions, ses règles et ses commandements.

Luc 19, 1-10

1 Il entra dans Jéricho et passa par la ville.
2 Un nommé Zachée, qui était chef des collecteurs des taxes et qui était riche,
3 cherchait à voir qui était Jésus ; mais à cause de la foule, il ne pouvait pas le voir, car il était de petite taille.
4 Il courut en avant et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là.
5 Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, il leva les yeux et lui dit : Zachée, descends vite ; il faut que je demeure aujourd’hui chez toi.
6 Tout joyeux, Zachée descendit vite pour le recevoir.
7 En voyant cela, tous maugréaient : Il est allé loger chez un pécheur !
8 Mais Zachée, debout, dit au Seigneur : Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai extorqué quoi que ce soit à quelqu’un, je lui rends le quadruple.
9 Jésus lui dit : Aujourd’hui le salut est venu pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d’Abraham.
10 Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Prédication

Aujourd’hui est un jour avec un souvenir, un jour pour un souvenir, un souvenir qui prend une forme de célébration. Le souvenir est celui d’un geste : formellement celui de l’affichage par Martin Luther de ses 95 thèses contestant la confiscation et la marchandisation du salut sur la porte d’une église, mais plus profondément celui du geste de la Réforme, celui d’une reprise de lecture et d’interprétation qui redonna à l’Évangile une clarté, une acuité et un dynamisme ensevelis dans les replis de la religion qui s’en réclamait mais l’avait dévitalisé par l’exercice de son pouvoir. Nous nous souvenons donc aussi aujourd’hui de ce que la religion et les institutions qui lui donnent forme peuvent toujours se couper, oublier le cœur battant de leur raison d’être et transformer l’Évangile de Jésus le Christ en code pénal.
Mais évoquer Martin Luther, le réformateur allemand, c’est se souvenir de ceux qui l’ont précédé dans ce mouvement de retour à l’Évangile et à une existence évangélique : Pierre Valdo et les Vaudois au XII°s, John Wyclif et les Lollards en Angleterre au XIV°s, Jean Huss, le théologien de Bohême brûlé au XV°s. Leur souvenir est couplé à celui des autres Réformateurs, le suisse Ulrich Zwingli, le français Jean Calvin pour ne citer qu’eux.
Se souvenir du geste de la Réforme rassemble une diversité de noms, de visages, de trajectoires, de pensées, d’écrits qui nourrissent toujours bien des Églises et notre assemblée aujourd’hui.
Aujourd’hui, se souvenir ne consiste pas à faire œuvre d’historien, du moins pas seulement car la profondeur de vue des historiens, leur capacité de traduction et leur rigueur sont vraiment indispensables pour nous aider à aborder la puissance des mouvements et la qualité des transformations.
Mais aujourd’hui, 31 octobre, avec toute cette assemblée de figures prestigieuses réunie dans notre souvenir, imaginons-les quelque part dans les tribunes ou sous la verrière, nous reprenons, nous refaisons le geste du retour aux Écritures dans la fidélité à l’Évangile, comme nous le faisons chaque dimanche, et plus encore, ensemble ou individuellement.
Et nous lisons aujourd’hui ces deux textes porteurs chacun d’un « aujourd’hui » qui résonne à travers les siècles qui nous séparent de leur écriture, un aujourd’hui qui n’est pas celui de leur contexte d’écriture mais celui de leur lecture, l’aujourd’hui d’un présent renouvelé, un temps distingué, un temps mis à part. Cet aujourd’hui est un jour important, car il est un jour devant dirait Martin Luther, devant Dieu, devant le monde, devant les autres, devant soi-même. Ces deux textes en témoignent, et ils le font en imprimant dans l’aujourd’hui une bonne nouvelle.

Bonne nouvelle dans le livre du Deutéronome dont la visée est celle du bonheur d’Israël, un bonheur qui se tient dans cette « vie devant » dont le texte de ce jour déploie les dimensions : 

  • Vivre devant Dieu en craignant Dieu : la crainte de Dieu n’est absolument pas la peur de Dieu. Craindre Dieu, c’est le reconnaître comme Dieu et le respecter comme Dieu, celui sur lequel on ne peut mettre la main. C’est d’une autre manière ce que nous portons en prière lorsque nous disons : que ton nom soit sanctifié. Nous ne vivons pas devant un Dieu qui fait peur, ni devant un Dieu à redouter, ni devant un Dieu qui accable et condamne, mais devant un Dieu dont la transcendance fait barrage à l’hubris des humains, à leur propre démesure qui altère toujours leur humanité et sert toujours le malheur.
  • Vivre devant les autres à l’image de ce Dieu qui ne fait pas de favoritisme, qui n’accepte pas de pot-de-vin, qui défend le droit de la veuve et l’orphelin et qui aime l’immigré.
  • Vivre dans le monde comme étant choisi par Dieu, choisi, élu, appelé et ce n’est jamais au détriment du reste du monde, c’est une responsabilité particulière dans le monde. La responsabilité d’une fidélité, d’une éthique, d’un témoignage que tout appartient à Dieu, ciel, ciel du ciel, terre et tout ce qui se trouve, c’est-à-dire qu’il est question là d’une qualité particulière de vie sur terre, vivre avec, vivre ensemble.
  • Vivre devant soi enfin, le cœur circoncis, sans se montrer rétif : c’est-à-dire en ayant répondu au choix de l’Éternel par le choix de l’Éternel comme boussole d’existence, comme lumière de vie, comme fondement d’être, de tout son être.

Bonne nouvelle aussi dans le récit de Luc, la rencontre de Jésus avec Zachée, un jour de bonheur pour le chef des collecteurs d’impôts : aujourd’hui, il faut que je demeure dans ta maison ; aujourd’hui le salut est entré dans cette maison. C’est toute l’existence de Zachée qui est bouleversée, transformée par cette parole qui brise mauvaise réputation, préjugé, jugement, par les autres et par lui-même, tout ce qui l’écrasait, le rapetissait, le réduisait en pécheur. La joie de Zachée, c’est la joie de celui dont la vie se révèle soudain d’une extrême dignité, devant Dieu, devant les autres, devant lui-même, parce que Jésus l’a vu et l’a fait descendre de son arbre.
Bonne nouvelle, Évangile qui fait comprendre que le Dieu de Jésus-Christ est aussi un Dieu qui cherche l’homme, la femme, les humains, un Dieu qui cherche, en Dieu dont l’amour et la grâce disent notre dignité malgré le péché et malgré la mort. Le salut qui entre dans la maison de Zachée est le salut du Dieu qui ne fait pas favoritisme et qui n’accepte pas de pot-de-vin, et qui se préoccupe de Zachée dans sa faiblesse, sa fragilité d’homme mal considéré.
En quelque sorte, Jésus, à Jéricho, interprète le texte du Deutéronome. Avec Zachée, Jésus est fidèle au Dieu d’Israël contre la religion et ceux qui transforment la foi en morale et la promesse en condition. A Jéricho, Jésus fait œuvre de réforme, manifestant sa liberté à l’égard de sa propre réputation, à l’égard de celle de Zachée, et l’égard de l’interprétation de la loi qui fait de l’obéissance la condition du salut.
Une liberté dans l’Esprit, c’est-à-dire disjointe de l’intérêt personnel, disjointe de la quête d’indépendance et d’autonomie qui dérive si souvent en orgueil destructeur et en arrogance écrasante.
Une liberté qui assume les liens, ce qui relie les uns aux autres et conduit à relire idéologies, systèmes et institutions et leurs dérives de discrimination et de contrôle des personnes.
Dans sa fidélité au Dieu libérateur, Jésus va à la rencontre de tous, y compris ceux qui sont négligés, ceux qui sont méprisés, sans jamais actionner le levier de la peur mais en offrant, en ouvrant l’accès à la vie vivante.

C’est la fidélité à Dieu qui conduit Martin Luther, par exemple à s’opposer à la pratique des indulgences qui ne sont que marchandages et manipulations de Dieu et des autres.
C’est la fidélité à Dieu qui conduit Ulrich Zwingli à réformer l’Église de Zurich afin que, par exemple, aucun clerc ne puisse prendre le pouvoir sur les croyants.
C’est la fidélité à Dieu qui conduit Jean Calvin, par exemple à exhorter les protestants de Genève et de France à se dé-préoccuper de soi pour se soucier d’autrui.
Leur fidélité à l’Évangile dont le nom est Jésus-Christ, nous nous en souvenons, et elle encourage la nôtre, aujourd’hui, celle de nos Églises, et la nôtre individuellement.
Parce qu’aujourd’hui et chaque jour, nous nous souvenons de cette bonne nouvelle du bonheur que Dieu veut pour nous et pour tous, un bonheur qui n’est pas la satisfaction mais un bonheur qui est bénédiction comme celui que Jésus déploie dans les Béatitudes : Heureux les pauvres en esprit, et ceux qui pleurent, ceux qui sont doux, ceux qui ont faim et soif de justice, ceux qui sont compatissants, ceux qui ont le cœur pur, et les artisans de paix et ceux qui sont persécutés pour la justice. Un bonheur qui est d’être vivant devant Dieu, devant les autres, devant le monde, devant soi.
Aujourd’hui et chaque jour, nous nous souvenons, pour prendre infiniment au sérieux 

ceux qui sont perdus dans les dédales de la consommation,
ceux qui sont pris dans les filets de la prédation, des femmes, des enfants, et tous les damnés de la terre,
et ceux qui sont jugés par des critères mondains sociaux, moraux ou religieux.

Nous nous souvenons, non pour rester bloqués dans nos échecs et nos manquements, mais pour demeurer attentifs à la puissance créatrice manifestée à Pâques.
Nous nous souvenons, pour protester, malgré les incertitudes, les crispations, les malaises et les fragilités générées par la pandémie, les crises climatique et économique, de l’extrême dignité inconditionnelle de chaque être humain.

Aujourd’hui nous nous souvenons, en partageant la Cène, que nous sommes reliés les uns aux autres par la compassion, par la solidarité et premièrement par le don qui nous est fait à tous.
Nous nous souvenons que Jésus le Christ n’a jamais dit à ses disciples qu’ils étaient meilleurs ou supérieurs aux autres mais qu’il appelle ceux qui sont perdus, blessés, chargés à vivre de la vie vivante, la sienne, qu’il partage infiniment.
Nous sommes aujourd’hui les hôtes de la table de Jésus-Christ, celui qui est don en partage de ce qui fait vivre, de ce dont nous avons besoin pour vivre et qui ne vient pas de nous, ni de nos qualités ni de nos efforts. C’est ce que nous rappellent le pain et le vin, comme ils nous rappellent aujourd’hui et chaque jour ceux qui manquent de pain, de vin, de force, de consolation.
Partager la Cène, c’est faire mémoire de la volonté de Dieu qui, en Christ n’attend que d’être accueilli chez nous, en nous afin de soigner, guérir, transformer, réformer, re-former notre existence en éclat d’Évangile.