Prédication du 22 décembre 2019

L’annonce de la douceur

de Dominique Hernandez

Lectures

Esaïe 7, 10-17
Un enfant va naître qu’on nommera Immanou-El

10 Le SEIGNEUR dit encore à Achaz :
11 Demande un signe au SEIGNEUR, ton Dieu, soit dans les profondeurs du séjour des morts, soit dans les lieux les plus élevés.
12 Achaz répondit : Je ne demanderai rien, je ne provoquerai pas le SEIGNEUR.

13 Esaïe dit alors : Ecoutez, je vous prie, maison de David ! Ne vous suffit-il pas de lasser la patience des hommes, que vous lassiez encore celle de mon Dieu ?
14 C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : la jeune fille est enceinte, elle mettra au monde un fils et l’appellera du nom d’Immanou-El (« Dieu est avec nous ») .
15 Il se nourrira de lait fermenté et de miel quand il saura rejeter ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon.
16 Mais avant que l’enfant sache rejeter ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon, la terre des deux rois qui t’épouvantent sera abandonnée.
17 Le SEIGNEUR fera venir sur toi, sur ton peuple et sur ta famille, des jours tels qu’il n’y en a pas eu depuis le jour où Ephraïm s’est éloigné de Juda — le roi d’Assyrie.

Matthieu 1, 18-25
La naissance de Jésus

18 Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit saint.
19 Joseph, son mari, qui était juste et qui ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la répudier en secret.
20 Comme il y pensait, l’ange du Seigneur lui apparut en rêve et dit : Joseph, fils de David, n’aie pas peur de prendre chez toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient de l’Esprit saint ;
21 elle mettra au monde un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.
22 Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par l’entremise du prophète :

23 La vierge sera enceinte ; elle mettra au monde un fils et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous.
24 A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui.
25 Mais il n’eut pas de relations avec elle jusqu’à ce qu’elle eût mis au monde un fils, qu’il appela du nom de Jésus.

Prédication

Dimanche 22 décembre : dernier dimanche avant Noël, quatrième dimanche de l’Avent, et dimanche dernier nous étions déjà dans la célébration de cette fête avec les enfants de l’école biblique, du catéchisme, avec les louveteaux et les éclaireurs. Malgré tout ce que ces jours-ci portent de colère, de fatigue, d’énervement, d’incertitude, de déceptions, de violence, ce sont aussi des jours imprégnés d’une attente et d’une espérance. Il ne s’agit pas seulement d’attendre une célébration en Église, en famille ; il ne s’agit pas d’espérer une année nouvelle proche qui serait meilleure. Mais ces jours remettent particulièrement en perspective la dynamique de l’Évangile. Et même à travers la résignation, l’agressivité, la démission, la culpabilisation qui assombrissent et étouffent les existences et les sociétés, et auxquelles hélas des religieux participent, la dynamique de l’Évangile est une dynamique de reconnaissance et de gratitude, de libération et de relèvement.
Cette dynamique ne s’impose pas, jamais. Elle est visible, lisible, sensible à travers des textes, textes de la Bible, et à travers des signes comme celui dont témoignent les textes de ce jour.

C’est un signe que le prophète Esaïe donne au roi Akhaz, alors que le royaume de Juda se trouve sous la menace d’une guerre. A peu près en 735 av JC, l’empire assyrien domine le Proche Orient, une domination violente qui ne laisse que deux possibilités aux petits royaumes : la soumission à l’Assyrie avec paiement d’un lourd tribut ou la résistance armée. Mais pour résister à la puissance assyrienne, il faut se coaliser à plusieurs. C’est ainsi que le royaume d’Aram et le royaume d’Israël au nord s’allient et veulent entraîner avec eux le royaume du sud, Juda, dont le roi penche plutôt vers la négociation avec l’Assyrie. Alors pour obliger Akhaz roi de Juda à se joindre à eux, le roi d’Aram et le roi d’Israël commencent par marcher contre Juda. Akhaz se retrouve dans une position délicate… Alors le prophète Esaïe, dont le nom signifie « Dieu sauve » l’exhorte à demander un signe à Dieu. Akhaz est imbu de lui-même et ne fais pas confiance, comme s’il lui était possible de se tirer d’affaire tout seul.
Esaïe lui transmet quand même un signe et ce signe c’est que la jeune fille est enceinte, elle mettra au monde un fils qui sera nommé Emmanuel ce qui signifie : Dieu avec nous.
Un signe, même un signe de Dieu transmis par un prophète, ce n’est pas une garantie que tout va s’arranger. Un signe, c’est la marque de Dieu qui ne se désintéresse pas des péripéties, des affres des humains. Ce n’est pas forcément un événement extraordinaire. L’arc en ciel est un signe : celui de l’alliance avec les êtres vivants. Le sabbat est un signe : celui de l’alliance avec le peuple hébreu.
Le signe indiqué par Esaïe, c’est celui d’une naissance proche, le signe d’un nouveau-né.

Au VIII°s avant Jésus-Christ, quel est cet enfant dont la naissance est signe de l’Éternel, signe au sujet de l’Éternel pour un peuple menacé par la guerre ? Pour ce qui concerne la maison d’Akhaz, c’est à dire la maison de David car Akhaz est descendant de David, il s’agit très certainement de la naissance d’un fils à ce roi qui jusqu’à présent n’a pas d’enfant, du moins pas de fils. Effectivement, il naîtra un héritier, qui sera roi après Akhaz, le roi Ezékias, et s’il n’est pas nommé Emmanuel dans le récit biblique, c’est parce que les rois portaient couramment plusieurs noms.
Cela, c’est le niveau de l’histoire de la dynastie de David et d’Akhaz. Mais ce n’est pas tout. Car un signe est toujours à interpréter.

De cet enfant, plusieurs choses sont dites. Son nom Emmanuel : Dieu avec nous, sans verbe. Cela peut aussi bien signifier : Dieu est avec nous, que : que Dieu soit avec nous. Quand la guerre menace, il peut être rassurant de se dire que Dieu est avec nous. Beaucoup d’armées ne s’en sont pas privées. Dieu est facilement enrôlé pour des combats qui peuvent être ceux des armes ou ceux des arguments. Pour le roi de Juda, il n’est pas très surprenant que son Dieu soit avec lui : les autres peuples, les autres rois ont d’autres dieux, à part Israël. Mais pour porter ce nom sur un champ de bataille, il faudrait un guerrier, un homme fort et pas un nouveau-né.
De cet enfant, il est également dit par Ésaïe qu’il sera nourri de lait et de miel : nourriture d’abondance, nourriture de la terre promise, nourriture non de temps de guerre mais de temps de paix, nourriture de douceur. Et d’ailleurs au chapitre suivant le prophète ajoute d’autres noms à Emmanuel : conseiller merveilleux, Dieu fort, Père éternel, Prince de la paix. Le signe qu’est cet enfant n’est pas un signe pour la bataille. C’est un signe de douceur, un signe de non-violence, le signe d’un règne de justice. C’est le signe d’un oui à la vie, le signe d’un avenir.

Alors il est une autre lecture de ce passage du livre d’Ésaïe, une lecture postérieure au prophète. Celle qui a vu dans l’annonce de la naissance de cet enfant celle de la venue du Messie. C’est une lecture d’espérance pour le peuple qui attend un descendant de David qui établira un règne qui marquera la présence de Dieu avec son peuple, un règne où couleront le lait et le miel dans la paix enfin établie. L’attente messianique a ainsi nourri l’espérance d’Israël pendant des siècles, de générations en générations, à travers les aléas et les drames de son histoire.

A partir de cette autre lecture, une troisième lecture d’Ésaïe est apparue, lorsque les disciples de Jésus de Nazareth ont reconnu en lui le Messie attendu. L’évangile de Matthieu en est un témoin avec l’annonce faite à Joseph dans laquelle l’ange reprend l’annonce d’Ésaïe : l’enfant né de Marie accomplit la parole du prophète. Matthieu prend quand même quelques distances avec Esaïe. L’enfant ne sera pas nommé Emmanuel, mais Jésus, ce qui signifie Dieu sauve (comme Ésaïe), et il sauvera son peuple de ses péchés.
Nous savons que l’enfant né de Marie Jésus de Nazareth n’a pas été le Messie attendu par le peuple d’Israël. Il n’a pas secoué le joug romain, il n’est pas devenu roi à Jérusalem. Il n’a pas fait œuvre de stratège militaire ou politique. Il a manifesté, il a opéré une œuvre de réconciliation, une œuvre de paix et de justice

  • en disant : lève-toi et marche à l’homme paralysé
  • en retenant ceux qui voulaient jeter la pierre sur la femme adultère
  • en touchant les lépreux
  • en rendant la vue aux aveugles.

Il a manifesté en lui-même ce Dieu au cœur même de l’humanité, Dieu avec nous, que Matthieu reprend en fin de son évangile lorsque le Ressuscité dit à ses disciples : je suis avec vous jusqu’à la fin de monde. Et il n’est plus seulement question d’Israël, mais de la terre entière jusqu’à ses extrémités. Ni temps ni lieu ne sont privés de ce Dieu avec, ni personne, aucune existence. La naissance de l’enfant de Marie, c’est l’incarnation de la volonté de Dieu de donner aux humains de quoi faire de leur monde une terre où coulent le lait et le miel, une terre de paix et de respect, de droit et de justice.

L’annonce faite à Akhaz, l’annonce faite à Joseph, l’annonce faite à Marie dans l’évangile de Luc, le nouveau-né comme signe, l’advenue du Sauveur, c’est à nous de les reprendre encore, 20 siècles après Matthieu, en ce temps d’Avent et de Noël, pour les accueillir et les interpréter, à nouveau, aujourd’hui.
L’attitude d’Akhaz qui refuse de demander un signe, sous un prétexte faussement pieux, résonne avec tout ce qui aujourd’hui n’est qu’agitation voire cris de guerre ou hésitation voire résignation. L’attente d’un sauveur, de préférence un homme fort, perce à travers les crises et les incertitudes et elle est malheureusement parfois relayée par les religieux. Mais comment croire, que Dieu avec nous puisse faire office de cri de ralliement sur un champ de bataille où la victoire des uns attesterait de la défaite des autres ?
Deux mille ans après Jésus-Christ, en dépit de tout ce qui a été pensé et réalisé en termes de droits humains, de droits sociaux, de soins, les angoisses et les menaces pèsent sur la terre des humains et lui donnent une forme qui n’est plus très ronde et une couleur qui n’est plus très bleue.

L’enfant né de la jeune fille, nourri de lait et de miel, l’enfant né de Marie que Joseph accueille comme le sien sont le signe que Dieu n’abandonne pas, il ne se résigne pas au malheur. Ces enfants représentent un oui de vie, un oui d’avenir au cœur même de l’absurdité, du désarroi, des impasses et des peurs. Obstinément ils font signe, ils sont signes, marques d’un Dieu qui ne se lasse ni ne renonce mais qui insiste

  • sur la possibilité d’un monde autrement,
  • sur une logique de douceur et de confiance,
  • sur la vision d’une humanité délivrée de ses appétits de violence, de haine et de jalousie.

L’enfant nouveau-né ne raconte pas une histoire à l’eau de rose, un peu chamallow, mais il relaie un appel à vivre en paix et en confiance, c’est-à-dire réconcilié avec soi, avec autrui, avec Dieu. Un appel qui n’engage pas pour un plus tard, mais pour un aujourd’hui, un maintenant à recevoir.
Comme un nouveau-né ne peut que recevoir.
Comme s’il nous revenait de faire grandir en nous l’enfant déposé au creux de notre âme. Il ne s’agit pas seulement de l’enfant d’Akhaz. Il ne s’agit pas seulement de l’enfant de Marie. Il s’agit de notre propre devenir humain,

  • nourri de lait et de miel,
  • conseillé par le Prince de la paix que fut l’enfant de Marie et qu’est toujours le Christ vivant qui agit en nous,
  • orienté par Dieu avec nous, ce qui n’est pas une formule mais une histoire, notre histoire, l’histoire de chacun de nous.

Que le signe de Dieu soit un nouveau-né vient ouvrir en nous

  • une source de confiance, sans que nos faiblesses et nos fragilités soient méprisées
  • une source d’émerveillement devant le surgissement de la vie et particulièrement les surgissement inattendus
  • une source d’apaisement car c’est la confiance de Dieu en nous qui est ainsi communiquée
  • une source d’encouragement pour un devenir affranchi des déterminismes.

De cette source, nous pouvons devenir les signes, même si nous ne sommes plus des nouveau-nés, pour le monde en souffrance, en attente. Noël, c’est un appel de réconciliation, de paix et de douceur.
Heureux les faiseurs de paix car ils seront appelés fils de de Dieu.
Heureux les doux car ils hériteront la terre.

Amen