De l’humanité

Il est dans le Premier Testament un livre extrêmement dérangeant, terriblement sanglant, et conclu d’une formule particulièrement éclairante : chacun faisait ce qui lui convenait.

Le livre des Juges plonge au cœur de la violence humaine ; il est un livre de temps de crise, lorsqu’une société est profondément bouleversée, en cours de transformation, fragilisée par les ruptures ou l’absence de structures qui la tiendraient en société humaine de droits et de solidarités. C’est un livre de passage, mais d’une transition générant une instabilité dans laquelle se désintègrent les liens, s’effondrent les repères, et oui, chacun fait ce qui lui convient, selon une vision étroite, repliée sur lui-même, selon son propre intérêt et parfois sa survie.

De la fille de Jephté sacrifiée par son père sur l’autel de sa propre satisfaction et de son orgueil guerrier, à la concubine du lévite livrée par celui-ci à une horde de tortionnaires afin que sa vie à lui soit sauve au prix de sa vie à elle, en passant par Samson oscillant entre situations ridicules et manifestations de force musculaire, dans le silence de Dieu surtout invoqué à l’heure du malheur, à celle des regrets ou à celle de la victoire, le livre des Juges explore les ressorts de la violence humaine, entre autres lorsqu’elle se pare de la fausse légitimité de la vengeance.

Les trois derniers chapitres exposent le meurtre par des Benjaminites d’une femme, concubine d’un lévite, dont le corps est ensuite découpé en douze morceaux envoyés dans les douze tribus comme un appel muet mais terriblement efficace à la vengeance contre les meurtriers, sans que le lévite n’expose clairement les circonstances ayant conduit à ce drame dans lesquelles lui-même a tenu un rôle peu glorieux. Le massacre de tous les Benjaminites en représailles enclenche à son tour d’autres crises et d’autres violences, principalement contre des femmes, les plus vulnérables, et ce n’est pas étonnant n’est-ce pas ? La réparation du peuple, qui intervient en fin du livre, ne s’appuie ni sur la justice ni sur le droit, elle s’effectue au détriment d’autres populations. La paix revenue est de celles qui présagent de futurs conflits.

Dans la fureur des violences, de la vengeance, de l’enchaînement des dénis d’autrui, il ne se trouve personne pour prononcer des paroles d’avenir ni pour entrer en dialogue véritable. Les échos du livre des Juges dans l’actualité engagent à chercher, écouter, favoriser, diffuser les paroles qui aujourd’hui parlent de justice et d’humanité.

Dominique HERNANDEZ

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