Le transhumanisme est-il un humanisme ?

Un article de Vincens Hubac

Certains voient le transhumanisme comme l’avenir de l’humain, une promesse que portent en elles les technologies modernes. D’autres perçoivent ce même transhumanisme comme une utopie. Des sectes s’en emparent pour faire leurs publicités comme les Raëliens qui avaient annoncé le clonage d’un être humain… Charlatanisme ? Science ?… Quoiqu’il en soit, le transhumanisme est bel et bien là même si en France en 2014 on a encore un peu de mal à l’accepter, mais dans les pays anglo-saxons, USA en tête, au Japon, en Corée, il s’impose comme un courant de pensée majeur du 21e siècle.

« Le Transhumanisme », la « singularité » ou encore « l’homme augmenté » désignent un même mouvement qui doit conduire l’humanité au post-humanisme au-delà d’un point de non-retour – le point de singularité – terme emprunté à l’astrophysique. Le point de singularité étant le moment où on perd le contrôle d’un objet envoyé dans l’espace.

Le transhumanisme projette d’améliorer l’être humain en augmentant ses facultés intellectuelles, mentales, physiques grâce aux sciences modernes, les nanotechnologies, l’informatique et robotique, les sciences cognitives et les progrès dans la maîtrise des gènes. Une pharmacopée est adaptée elle aussi au projet. On assiste donc à l’émergence d’une nouvelle humanité où l’homme et la machine seront en symbiose (les cyborgs) et ceci dans un laps de temps très court (30 à 50 ans) auquel le transhumanisme prétend (notons que l’espèce humaine depuis l’homo habilis a déjà un passé de 3 millions d’années !). Depuis que nos ancêtres ont taillé une première arme en pierre jusqu’à aujourd’hui, la technique, la science et la puissance de l’homme n’ont fait que progresser. De manière très lente au début, puis de plus en plus vite jusqu’à aujourd’hui où la progression est géométrique, rapide et ouvre les perspectives du transhumanisme. Mais la puissance et ses rêves ne sont pas sans conséquences. Les anciens dans leur sagesse avaient soulevé la question. Deux mythes sont assez intéressants à revoir : Prométhée d’une part et Adam et Ève d’autre part… Le mythe de Prométhée nous dit que les dieux avaient remis à Prométhée le soin de parachever la création. Le frère de ce dernier – Epiméthée – demande à Prométhée la possibilité de réaliser ce projet. Epiméthée dote ainsi chaque animal de qualités qui lui permettent de vivre : course, natation, reproduction, etc… Mais, quand il arrive à l’homme, Épiméthée (l’imprévoyant) a tout distribué ! Plus rien pour l’homme qui reste nu. Pour corriger cela, Prométhée volera aux dieux la puissance qu’il donne à l’homme… Hélas Prométhée sera puni, enchaîné à son rocher et condamné à avoir le foie mangé par un aigle. Quant aux hommes, les dieux leur envoient Pandora et sa fameuse boîte d’où sortiront bien des problèmes limitant la puissance des humains… Pour les grecs, le rêve de toute puissance est dangereux et nous dit que cette puissance absolue, celle des dieux, est inaccessible.

Le mythe d’Adam et Ève, dans une culture très différente de celle des grecs, nous dit la même chose : après avoir acquis la connaissance du bien et du mal, Adam et Ève sont chassés du jardin d’Eden pour leur éviter d’avoir accès au fruit de l’arbre de la vie qui, leur donnant l’immortalité avec le bien et le mal, aurait fait d’Adam et Ève des êtres comme Dieu. La volonté de puissance et de perfection éloigne l’homme de Dieu (c’est la définition théologique du péché). Le problème est que cette volonté a des résultats catastrophiques : «Abel est tué par Caïn… Ce meurtre illustre le danger qui guette les humains. Le 20e siècle où bon nombre de dictateurs se sont pris pour des dieux illustre hélas l’exactitude de vue que contiennent ces mythes…

Le transhumanisme, qui vise à créer une humanité nouvelle et immortelle, toute puissante grâce à la technologie ferait bien de réfléchir à la sagesse des anciens, ce qui ne signifie pas qu’il faille «jeter le bébé avec l’eau du bain » et rejeter tout progrès scientifique… Avant d’aborder les questions de fond que posent le transhumanisme et le post-humanisme, un détour par l’origine de ce mouvement nous permettra de mieux le comprendre, puis quelques exemples pris dans l’actualité nous permettront dans un deuxième temps d’aborder les questions de fond que pose le transhumanisme.

L’origine du transhumanisme

L’être humain n’est pas très gâté par la nature : s’il peut faire beaucoup de choses : nager, courir, grimper aux arbres, etc… il n’est pas spécialisé dans un domaine ou un autre de tel sorte qu’il est vulnérable. Cette vulnérabilité est aggravée par le fait que le nouveau né humain est un prématuré : pendant des mois, sans l’aide d’adultes qui le prendraient en charge, il mourrait rapidement. Ces faiblesses sont en fait des forces si le défi est relevé. Le propre de l’homme sera donc de chercher un surcroît de puissance nécessaire à sa survie, ce sera aussi la transmission, l’éducation qui permettent de transmettre le savoir dans un milieu protégé. Dans un autre ordre d’idée, l’homo habilis il y a 3 millions d’années fabrique ainsi une « hache» en pierre taillée. C’est une technique qu’il faut maîtriser, cela demande du temps, un minimum d’imagination, un pouvoir d’abstraction car il faut imaginer l’objet. En d’autres termes, c’est l’émergence de l’intelligence qui permettra, par ses qualités, de fabriquer un objet nécessaire pour «augmenter» l’être humain. Mais cette augmentation de la puissance permet de maîtriser, puis de dominer la nature. Dès lors l’homme peut rêver de devenir l’égal des dieux ou de Dieu, ce que les mythes décrivent. L’orgueil de l’homme est inscrit dans son histoire, la puissance et sa recherche se retrouvent dans bien des comportements humains. Dans le transhumanisme l’homme qui a éternellement lutté pour repousser ses propres limites se voit dominant le monde par la technique, créateur d’une nouvelle humanité et… il se voit éternel !

Plus près de nous, le New Age a ouvert le voie dans les années 70-80. Le projet du New Age vise aussi à «augmenter» l’être humain par les drogues comme le LSD qui «élargit la conscience», les expériences extrêmes qui repoussent les limites du possible ou encore par des projets sociétaux inspirés d’Ivan Illich, Marcuse, Schumacher, Marilyn Ferguson. Dans le New Age, l’écologie tient une place importante (cf. le Cercle des poètes disparus, le Grand Bleu, etc.…). Le rêve du New Age rejoint aussi le rêve de science-fiction. La littérature et le cinéma, des revues comme Planète (années 60) ont préparé le terrain parfois avec talent (cf. l’œuvre d’Isaac Asimov). Familiarisé avec la science fiction et devant l’avancée de certains rêves comme la conquête de l’espace et l’homme sur la lune en juillet 69, l’être humain peut accueillir facilement les idées de «l’homme augmenté».

Plus près de nous, c’est la pression écologique qui a posé le transhumanisme comme une nécessité pour sauver l’espèce humaine. Les participants du transhumanisme sont partis de l’idée que le monde serait invivable dans quelques décennies à cause de la pollution, en conséquence il devient nécessaire de modifier l’être humain pour qu’il puisse subsister dans ce nouvel écosystème. Il faut donc augmenter ses capacités de résistances et d’adaptabilité. Une autre réponse à la pollution extrême, c’est la fuite hors de la terre vers d’autres planètes mais là aussi au moins deux problèmes redoutables se posent : comment s’adapter sur une autre planète et comment réaliser des voyages qui prendront des mois, voire des années, si on les réalise? Augmenter les capacités physiques et mentales de l’humain est encore la réponse à la question posée. Notons ici que la simple curiosité qui caractérise l’espèce humaine peut expliquer l’attrait qu’elle manifeste pour l’espace, sans parler de l’aventure, des défis, et des retombées politiques, militaires et économiques dont les projets spatiaux sont partout.

Le dernier point qui explique l’origine du transhumanisme, c’est l’attitude des Etats-Unis et du Président Clinton en particulier. Ses discours reflètent encore « l’esprit de la frontière » : reculer les limites de l’horizon. Kennedy l’avait précédé pour la conquête spatiale. Mais par-dessus tout Clinton est très clair : les nouveautés technologiques en informatique, génétique, robotique, neurosciences sont telles que les Etats-Unis doivent les maîtriser pour rester la première puissance économique et militaire du monde. Les conséquences ont été immédiates, de la Silicon Valley au MIT., la recherche et les applications concernant les nouvelles technologies ont fait un bond impressionnant : aujourd’hui toutes les universités américaines ont un département dans ce domaine !…

Notons enfin que l’homme augmenté fait corps avec son environnement en particulier par la robotique qui modifie non seulement le cadre de vie, mais aussi l’esprit de ceux qui utilisent cette robotique qui n’est plus seulement celle des robots industriels des années 70-80 mais qui occupe maintenant l’espace privé des individus. La RFID (Radio Frequency IDentification) rend les objets « intelligents » : ainsi un pot de yaourt peut commander pour le consommateur des yaourts à son goût dès qu’il n’en reste plus qu’un seul dans le réfrigérateur ! Les objets intelligents sont des objets « programmés »par des pièces électroniques, des capteurs, pour réagir à leur environnement ou aux ordres qu’on peut leur donner depuis un ordinateur ou un Smartphone !… Beaucoup de gadgets ici, mais un marché mondial qui intéresse tous les domaines de la société… même l’érotisme est très en pointe sur ce sujet.

On l’aura compris, la singularité (l’homme augmenté) est de l’ordre de l’actualité.

I- Le transhumanisme, une question d’actualité

Si bien des gens n’ont pas encore conscience de ce qu’est le transhumanisme, beaucoup pensent qu’il s’agit d’un rêve ou d’une utopie. Pourtant le transhumanisme est bien actuel. Depuis une vingtaine d’années le transhumanisme avance à la fois de manière fulgurante et discrète. Le clonage de la brebis Dolly qui préfigure le clonage de cellules humaines, voire d’humain, reste en 1996 un bon repère ainsi comme on l’a vu les discours du Président Clinton à peu près contemporains.

Le transhumanisme avance de manière discrète et étonnante à la fois car derrière chaque découverte pratique et utile se produit en fait une accumulation très rapide de ces découvertes qu’on ne peut remettre en cause.

Retour en arrière !… Il y a 30 ans, les élèves avaient sur leurs bureaux des livres, des cahiers etc. … Aujourd’hui, ils ont un ordinateur, véritable mémoire annexe mise à leur disposition à tel point que beaucoup d’élèves ne voient plus la nécessité d’apprendre et d’exercer leur mémoire puisque la machine est là pour ça (le problème qui se pose ici est que pour utiliser une masse de données il faut, quand même, en savoir un minimum !). En 1970 lors des études supérieures, on avait les premières calculettes qui remplaçaient la règle à calcul : les 4 opérations, logarithme, racine… etc. Aujourd’hui chacun peut avoir dans sa poche un ordinateur portable, téléphone voire maintenant objet intelligent qui peut délivrer un diagnostique médical sur la santé du propriétaire dudit ordinateur. L’émergence des objets « intelligents » qui réagissent au milieu dans lequel ils sont ou « obéissent » à des données qui leur sont envoyées est un marché mondial en plein essor. Les implants (en particulier les implants du cerveau), les prothèses de plus en plus sophistiquées, les greffes, la microchirurgie, les liftings nous transforment profondément et rapidement sans compter la pharmacopée qui, par exemple, contribue à faire des athlètes des hommes hors du commun… Le domaine du sport est un domaine dans lequel le transhumanisme trouve un laboratoire intéressant. Préparation physique scientifique, psychologique et dopage tout aussi dénoncé qu’accepté, permettent de faire des sportifs des gens qu’on ne rencontre pas encore dans la rue mais qui ont des capacités physiques très augmentées : on voit rarement des hommes taillés comme des rugbymen du XV de France ou des hommes capables de monter plusieurs cols pyrénéens à la vitesse des coureurs du tour de France.

Que penser d’Oscar Pistorius le coureur sud-africain -et de ses émules- qui, amputé des deux jambes au-dessous du genou, réalise grâce à des prothèses des performances supérieures ou égales à celles des athlètes « normaux ». Inquiet des risques de contagions, certains athlètes songeant à se mutiler pour avoir des prothèses performantes, le Comité Olympique s’est saisi de cette question ! Dans un même ordre d’idée on ne peut qu’être surpris par Aimée Mullins, Top Modèle américaine, classée parmi les 100 plus belles filles du monde, qui est elle aussi amputée des deux jambes et qui se réjouit d’avoir une douzaine de paire de jambes de rechange. Les prothèses artificielles articulées, capables de reproduire les mouvements des membres qu’elles remplacent, même ceux très compliqués des mains, sont devenues assez courantes. Mais surtout apparaissent en laboratoire ou à titre expérimental des prothèses qui obéissent au cerveau ! Cette recherche avance beaucoup à cause des blessés de la guerre en Irak (et ailleurs) qu’il faut appareiller. Aujourd’hui un tétraplégique peut diriger par la pensée un ordinateur lequel transmet ses ordres à différentes machines !… Tous les domaines de l’existence sont touchés en fait. Les armées bien sûr sont en plein dans le transhumanisme (drones, exosquelettes, pharmacopée, greffes, etc.…). Les techniques d’embauche, de gestion et de production, tout le domaine médical, les techniques de communication bien évidemment sont touchées et atteignent notre quotidien.

Le monde qui entoure l’« homme augmenté » évolue avec lui, on l’a vu, la robotique au Japon, en Corée et aux USA (très en avance sur l’Europe dans ce dernier domaine), la communication, la mondialisation, la RFID, les lentilles, montres, vêtements « intelligents » (comme ces tissus qui sont conçus pour porter en eux-mêmes de quoi donner les premiers soins en cas de blessure ou ceux « programmés » pour donner des sensations de caresses… à partir d’un Smartphone…). La vie quotidienne est envahie par une foule d’objet, beaucoup sont de l’ordre du gadget mais l’ensemble modifie l’humain profondément. Par exemple, des débats sur la procréation, l’interruption de grossesse, le mariage pour tous (même avec des robots !), l’émergence de la spiritualité, on le verra, vont dans le même sens ainsi que la question de l’euthanasie. Une nouvelle approche de l’humain s’exprime là.

Actualité en plein aussi par la progression très rapide de la singularité, suivant la loi de Moore qui soutient l’idée d’une dynamique de découvertes qui inter-réagissant et s’enchaînant les unes aux autres avec une progression géométrique (2, 4, 8, 16…). La loi de Gabor joue aussi à fond : elle indique que tout ce qui peut être fait, tôt ou tard la science le réalise (on peut rêver d’aller sur Mars… on ira un jour !). Enfin une troisième loi joue aussi : c’est l’accélération de l’histoire : la révolution néolithique a mis quelques milliers d’années, la révolution de la Renaissance quelques siècles, depuis le machine à vapeur seulement deux siècles, le transhumanisme… quelques décennies. Nous sommes aujourd’hui en plein dans une révolution industrielle hautement technologique.

Les projets les plus étonnants sont déjà dans les laboratoires. Dans le domaine des neurosciences bien sûr, de la pensée qui commande la machine, qui se transmet d’homme à homme, dans le domaine de l’esprit qui est enregistré sur un ordinateur : c’est l’uploading qui se pratique déjà sur des rats… A quand pour l’homme ? Intéressant et inquiétant le projet SPAUN d’IBM, c’est-à-dire la création d’une intelligence artificielle : un ordinateur qui dispose de 2,5 millions d’équivalent neurones ! Il reconnait des signes, peut corriger des erreurs, peut mémoriser et reproduire etc.… avec une certaine autonomie… Les robots les plus perfectionnés commencent à réaliser ces performances… Notons qu’un cerveau humain a 100 milliards de neurones… Mais déjà, le chemin est tracé…Utopie… ? Voire ! Qui en 1900 aurait pensé que l’aviation et les chars permettraient de gagner la guerre ou comme le souligne un chercheur américain : qui pensait en 1950 que l’homme irait sur la lune ? Simples questions parmi tant d’autres. Aujourd’hui on est en mesure de cloner l’être humain. Si on clone des cellules à des fins thérapeutiques, aucun docteur Knock n’a jusqu’ici cloné un être humain (ce qui est du reste interdit).

La loi de Moore est impulsée par des puissances et des moyens financiers considérables : tous les grands Etats sont intéressés par l’« homme augmenté ». On l’a vu pour les USA, mais le Japon, par exemple, à la démographie vieillissante et très xénophobe, développe la création de robots androïdes pour aider les personnes âgées. Aux USA, sur le terrain de la NASA dans la Silicon Valley, a été créée l’Université de la Singularité en 2008 par Google, la NASA, Nokia, le département d’état US etc.… Cette université ne recrute que des super diplômés… De quoi rêver… Mais les autres universités ont aujourd’hui emboité le pas… La Suisse aujourd’hui projette de lancer un programme de recherche dans les neurosciences qui créerait 10 000 emplois. Dans le monde au moins 5 millions d’emplois sont générés par la singularité. On n’est plus dans le rêve du New Age ou dans les prémonitions de G.H.Wells, Aldous Huxley ou Isaac Asimov, on est dans la loi de Gabor.

Les visionnaires de la « singularité » nous promettent même au-delà du point de singularité. Un post humanisme où l’homme sera tellement augmenté, perfectionné… qu’il vivra plusieurs siècles ou sera même immortel comme le soutiennent des penseurs comme Rey Kurweil ou Dmitri Ytskov (milliardaire russe) qui veut créer un avatar par phase successives : vers 2025 il pense pouvoir transplanter dans un robot un esprit humain puis vers 2035 transplanter un esprit humain artificiel pour arriver vers 2045 à un avatar humanoïde…

Créer ainsi des machines indépendantes ou en osmose complète avec l’homme (les cyborgs), créer des robots de toutes sortes, manipuler l’humain… Tout cela est passionnant et utile dans bien des cas. Mais c’est aussi inquiétant et certainement pas sans problème tant il est vrai que l’approche micro sociétale est intéressante, nécessaire pour ceux qui en bénéficient (les prothèses, exosquelettes par exemple), mais au niveau macro sociétal des questions de fond se posent auxquelles on ferait bien de prêter attention.

On ne transforme pas la nature de l’humain sans conséquence.

II – Les questions que pose le transhumanisme

L’ampleur prise par les biotechnologies, la nanotechnologie, l’informatique, les sciences cognitives et la robotique, la rapidité de l’évolution de transhumanisme posent évidement des problèmes multiples et complexes. Le mirage des avancées positives incontestables ne doit pas nous éviter toutes réflexions à ce sujet.

Ne reproduisons pas notre quasi absence de réflexion autour du New Age !

Nous aborderons cinq groupes de questions dont les réponses se recoupent bien évidement.

Questions :

  1. Politiques
  2. Economiques
  3. Ethiques
  4. Philosophiques
  5. Religieuses.
1-Questions politiques

Il y a dans le transhumanisme une idéologie de dictature : celle du rêve de l’homme parfait voire immortel ! Nous avons hélas connu cela en particulier avec le nazisme. L’homme augmenté va définir automatiquement un homme sous augmenté, ou banal, hors de la norme définie par la techno science. Cette « sous humanité » (entre guillemets !) peut être celle qui refusera le transhumanisme ou qui ne pourra pas suivre cette évolution de l’humain. La techno-science est aussi un système totalitaire qui applique des décisions fondées sur des critères scientifiques indiscutables, la science étant elle-même très fractionnée et étant perçue comme indiscutable, vraie, elle ne pense pas aux conséquences que des découvertes cumulées dans différents domaines peuvent avoir sur la société.

Et dans le domaine d’une société dominée par les technosciences qui va fixer les normes ? Aujourd’hui la puissance des communications et ses impacts est telle que l’article de J. Ellull écrit à la fin de la seconde guerre mondiale et intitulé (non sans scandale !) « Hitler a gagné la guerre » est bien d’actualité car le troisième Reich a fonctionné grâce à la propagande… A quoi assistons-nous aujourd’hui si ce n’est à une propagande mondiale orchestrée par Google et Cie?…

Comme beaucoup de systèmes élaborés par l’humain, il y a une sorte d’utopie qui rappelle la société communiste ou l’état stationnaire de J.S.Mill prédisant des sociétés futures parfaites. Mais là aussi, malgré des intentions positives, les décisions prises peuvent être dangereuses et conduire à des systèmes politiques très coercitifs. Les grandes armées du monde qui s’intéressent évidement à l’homme augmenté et aux techniques de surveillance et de manipulation devraient nous alerter.

Heureusement, bien des courants transhumanistes posent la question de la démocratie ainsi Technopod en France. Bien des transhumanistes restent cependant optimistes grâce au développement des réseaux connectés et de la communication permettant un espace mondial d’information, de liberté. Reste qu’au bout du compte, on peut poser sérieusement la question : « si un robot dirigeait le monde ? ». Question inutile bonne pour la science-fiction ! Voire… Que penser des robots qui aident les services du personnel pour recruter et sélectionner des candidats dont l’entreprise a besoin?… Mais dans le cadre de la robotique, les tenants du transhumanisme insistent bien : c’est l’homme qui dirige la machine.

2-Questions économiques

Evidemment les questions économiques sont intimement liées aux questions politiques… C’est un énorme business. Le rapport Clinton officialise l’appui de l’état américain à ces activités. Développement de la puissance US, du prestige, de l’économie. Le transhumanisme a un effet d’entrainement sur la croissance. Toutes les technologies modernes sont concernées avec des sociétés comme Google, IBM mais aussi une multitude de Start up et d’entreprises pharmaceutiques. Il se développe là la logique capitaliste fondée sur l’innovation et la fuite en avant. La création d’emplois est continue et importante comme on l’a vu en Suisse où s’élabore un projet de recherche en neuroscience créant 10 000 emplois. Les états, les multinationales, les laboratoires de recherche n’investissent pas des milliards pour rien. A qui va profiter cette croissance ? Aux états les plus riches, Etats-Unis en tête… Mais à l’intérieur de ceux-ci ? A l’heure actuelle, les manipulations pour avoir un enfant, fille ou garçon, aux yeux bleus ou marron… coûtent entre 30 et 50 000 dollars… Qui peut s’offrir cela ? Il en est de même pour les greffes, chirurgie esthétique, implants…

Une chose est sûre, malgré une baisse de bien des coûts due aux économies d’échelle et à la production de masse, l’homme augmenté coûtera quand même assez cher même si certains gadgets restent accessibles pour tous.

Enfin il ne faut pas négliger le coût de la spirale scientifique sur l’environnement en particulier. Comme trop souvent, on règle les problèmes générés par la science par un peu plus de science !

3-Questions éthiques

Le monde du transhumanisme, en plein essor, ne se pose pas pour l’instant des questions d’ordre éthique ! Nous sommes là dans un monde de la concurrence à l’échelle mondiale, de la rationalité dans le domaine de la recherche (et non pas du rêve) et de l’efficacité. Le transhumanisme s’appuie sur le désir de l’homme, désir amplifié et suscité par les médias qui hypertrophient l’égo. Etre un être augmenté aux performances inégales ne peut être que fascinant pour l’individu. Un comportement egocentrique pose rarement les questions quand ? Comment ? Jusqu’où ? Pour qui ? etc. Les manipulations génétiques restent un sujet des plus délicats de même que la pose d’implants sur le cerveau grâce aux nanotechnologies et aux progrès des neurosciences visant à augmenter telle ou telle faculté du cerveau comme la mémoire, la rapidité de l’apprentissage, etc.… Tout l’enseignement risque d’être bouleversé sans parler du développement de l’informatique et des techniques de communication.

Dans un monde hyper connecté où les hommes sont appelés à être augmentés on se demande ce que peuvent devenir les relations à l’autre ? Une infinité de relations de par le monde mais combien d’amis véritables, de confidents etc. ?

Quelle société fondée sur quel type de famille, l’avenir nous réserve-t-il quand on sait qu’on pourra changer de sexe et que la longévité « augmentée » de plusieurs décennies (ou plusieurs siècles) impliquera plusieurs partenariats successifs sans parler des robots androïdes qui remplaceront le partenaire dans la relation amoureuse aussi bien physiquement que sentimentalement. Se pose aussi le problème des enfants et de la manière dont ils vont venir au monde….

La gestion du temps et de l’ennui mérite aussi réflexion. Le transhumanisme écrase le temps entre l’éternité de la vie (ou une durée très longue), l’immédiateté et une évolution ultra rapide. Pas ou peu de temps pour la contemplation, la réflexion. L’extraordinaire des découvertes dévalue le quotidien. Déjà les sports extrêmes les plus extravagants et dangereux sont de plus en plus prisés. L’homme augmenté cherche aussi à augmenter ses loisirs, c’est une course sans fin qui rend obsolète une occupation ou un produit sitôt qu’il arrive sur le marché (cf. les téléphones portables par ex.). L’ennui est dû aussi à la standardisation qui crée la monotonie, depuis des années le décor urbain nous le montre (une grande surface ici ou là-bas est toujours la même) et le monde virtuel même s’il est prometteur reste virtuel.

Enfin les questions juridiques sont complexes, par exemple quel statut pour les fermes d’embryons, les manipulations génétiques, le clonage. Même question pour les robots « pensants » ou (et) androïdes. Comment définir les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant quand on choisit son sexe que l’on vit greffé et en symbiose (interface) avec des machines…

La notion d’être humain risque d’être bouleversée. Une éthique de responsabilité est ici nécessaire. Attention au frère de Prométhée, Epiméthée (celui qui pense après) et à la boite de Pandore…

4-Questions philosophiques

Les problèmes philosophiques que pose la singularité sont multiples. Parmi celle-ci la question ontologique est sans doute la plus importante. Qu’est ce que l’homme ?… Ici l’homme est réifié, placé dans le prolongement du règne animal (auquel il appartient bien sûr) mais sans voir les spécificités : conscience, âme, réflexion, goût pour l’abstrait, sentiments, etc. …qui font l’humain. De fait, voyant l’homme comme un « objet » qu’on peut améliorer, tout devient possible. Ici le corps dissocié de l’esprit a une grande importance et permet l’émergence des cyborgs, de la robotique, etc… Comment définir un être humain dans la mesure où il pourra choisir son sexe au cours d’une vie de plusieurs siècles ? Le culte du corps et du paraître (body building par ex.) est un signe qui ne trompe pas. Mais paradoxalement ce corps peut être dissocié de l’esprit par l’uploading (l’esprit de quelqu’un pouvant être enregistré sur un ordinateur)… En fait quel est l’homme ainsi formaté par la science ? Quelle conscience peut-il avoir de lui-même si sa peau est arrangée, s’il porte en lui-même des greffes, s’il a été modifié génétiquement?… Un cyborg est-il un être humain? Qu’en est-il des machines qui pensent: rétroaction, principe d’indépendance dans les prises de décision?… Et les robots androïdes?

Liée à l’ontologie, le problème de l’eugénisme, de la liberté, de la perfection définie par la science est très lourd. Les manipulations génétiques, l’observation du fœtus permettent d’éliminer ce qui n’est pas conforme à la norme définie par la technoscience. Ici, le hasard est évacué, or le hasard c’est l’évolution de la liberté, l’aventure de la vie, la variété, d’où la question de l’altérité dans une société formatée par la science (ce que dénonce la science fiction).

Toutes ces questions viennent du fait que l’outil qui a prolongé le corps et augmenté les capacités de l’humain n’a pas jusqu’ici transformé l’être humain « de l’intérieur »: les implants, la pharmacopée, les greffes, l’interface homme-machine transforment véritablement l’humain. Le projet transhumaniste nous conduit au post-humanisme, c’est à dire à l’émergence d’une nouvelle forme de l’humain et de l’intelligence.

Dans le transhumanisme tel que nous le vivons et tel qu’il se profile, la notion du temps est bouleversée. La longévité, voire « l’immortalité » promise font nettement reculer l’horizon de la mort ou la modifie. Or la mort et la souffrance sont essentielles pour vivre: Dire notre finitude évidemment, nous pousser à vivre et à choisir, donc à optimiser nos choix de vie par manque de temps. Ce même manque de temps nous fait aussi éviter l’ennui et la monotonie et au final donne du sens à la vie. On peut dépasser la mort en laissant quelque chose aux autres en donnant la vie ou en vivant une expérience… Dans le transhumanisme, la mort n’est plus vue comme un événement naturel, mais elle est médicalisée, vue comme une maladie à vaincre, il en est de même de la sénescence ces questions sont typiques de la singularité et de la réification de l’humain.

Paradoxalement, face à l’éternité promise, le transhumanisme manque de temps et vit dans l’immédiateté et la course aux innovations. Le temps est littéralement écrasé. En fait la finitude de l’homme actuel l’oblige à gérer le temps qu’il a à vivre, les choix qui s’imposent à lui ne peuvent se faire sans un minimum de recul et de réflexion. La finitude nous donne le temps de penser. L’éternité, ou la longévité, n’a pas cette faculté, elle se vit dans l’immédiateté. Le consumérisme et l’ennui sont accentués dans une société robotisée où l’homme est dépossédé de plus en plus de sa faculté d’agir et de faire.

Enfin la confusion entre le virtuel et le réel ne peut pas être sans conséquence sur la perception, l’imaginaire.

5- Questions religieuses

La question est double: le retrait de Dieu et l’idolâtrie.

Le retrait de Dieu n’est pas une nouveauté dans nos sociétés et l’Église en porte une part de responsabilité. En développant les théologies de la mort de Dieu, du Tout Autre, du Transcendant, on a éloigné Dieu du monde (ou pris acte de cet éloignement)…

L’homme de la singularité devient (ou prétend être) le créateur d’un homme nouveau. Et cet homme par sa longévité prévue dans le post-humanisme vivra jusqu’à 1000 ans et par l’uploading ou la cryogénisation touchera de manières différentes à l’immortalité. Créateur et immortel : l’homme remplace Dieu… C’est Adam qui va jusqu’au bout de la transgression. Cet Adam restitué dans son état premier d’innocence et d’éternité comme le soutiennent certains transhumanistes. Quoiqu’il en soit, Dieu est expulsé, l’espérance n’est plus ce qu’elle était ! Le Salut passe ici par la science. La promesse est l’homme nouveau parfait et immortel, il y a une forme de messianisme autocentré sur l’homme post humain. Ici l’espérance dans la mort (et donc celle du Christ) disparait. Le savoir remplace la grâce. L’interface Dieu-homme fait place à l’interface homme-machine. La transcendance et l’altérité sont ici malmenées. Problème grave car l’altérité homme-Dieu pose celle des hommes entre eux. La norme scientifique et la rationalité gomment l’altérité et changent les relations humaines : beaucoup de copains (et de contacts sur le net, par ex.), et peu d’amis. Beaucoup de relations sexuelles et partenaires, et peu d’amour. Beaucoup de messages, peu de paroles.

La religion est vidée de sa substance pour faire place à une spiritualité hédoniste : combien de ceux qui font une retraite spirituelle chez les franciscains ou les bouddhistes ou encore sur la route de Compostelle croient encore en Dieu ? Pas de transcendance dans la religion transhumaniste (en dehors des sectes) mais une religiosité diffuse à la manière du New Age. A moins que l’idolâtrie scientiste ne fonctionne comme une nouvelle religion. En fait, le transhumanisme apparait comme une idolâtrie. Projection d’un rêve humain, résultat d’une souffrance ou d’un manque ; l’idole prend la place de Dieu. On adore l’idole et à travers elle, c’est l’homme tel qu’il rêve d’être qui s’auto-adore. Fascinante, l’idole exerce sa puissance attractive et captive l’homme, lui prend tout jusqu’à sa vie. Par exemple : plus on est pauvre, plus on souffre de la pauvreté, plus on rêve d’être riche et puissant, plus on sacrifie le peu qu’on a à l’idole du jeu (tous les gagnants ont joué disait un slogan publicitaire)… et plus on perd !… La science fonctionne comme une idole dans la pensée transhumaniste. Elle permet une société parfaite où la maladie, dégénérescence, violence n’existent plus, elle n’est jamais remise en cause, sacralisée, elle a les clefs de l’avenir. La science préside au dernier stade de l’humanité. Peut être que le positivisme d’Auguste Comte y trouverait son compte, mais ce n’est pas sûr ! Face à cette idolâtrie où le jeunisme et le narcissisme occupe une place de choix, où est la liberté de l’homme (surtout quand on voit la force de persuasion des sociétés qui tiennent en leurs mains le pouvoir de la communication dans le monde) ? Pourtant il est écrit : « Je t’ai libéré de la maison de servitude » (Exode 20). Le Sabbat donne du temps, de la sagesse et du recul. Liberté, sagesse et temps sont nécessaires pour combattre la force des pulsions liées au désir d’éternité et de toute puissance de l’homme moderne et de l’homme de la singularité… Evidement, face au retrait de Dieu et de l’idolâtrie on peut craindre le repli intégriste et ses excès….

Quelles réponses ?

Certains transhumanistes ont conscience du danger et regardent du côté de Teilhard de Chardin (un des théologiens apprécié du New Age !) La noosphère –sphère de l’Esprit- étant une vision du post-humanisme, grâce aux progrès des communications, de même le Christ- évoluteur pourrait être récupéré ici après quelques arrangements… La théologie du Process où Dieu est en interface avec le monde et « évolue » avec le monde peut aussi ouvrir des perspectives intéressantes… D’autres réponses peut être plus familières sont à notre disposition : ainsi la théologie de la non puissance, de la Kénose. Dieu s’abaisse en Jésus-Christ, renonce à la puissance. Jésus qui fait dire à Pilate « voici l’homme » vit, souffre, meurt. Il prêche, prend le temps de prier… Tout le contraire de l’homme du transhumanisme. Or, c’est par le Jésus de l’histoire que passe la Révélation, une Révélation fondée sur l’amour (agapè) qui ne voit certainement pas l’homme comme une chose qu’on puisse bricoler (sauf pour des raisons thérapeutiques). L’anthropologie biblique ne dissocie pas le corps de l’esprit, l’homme forme un tout.

Un corps avec un esprit chosifié n’est pas un humain de même qu’un esprit sur un support informatique n’est pas un homme. Qui peut soutenir que le corps et l’esprit liés intimement n’inter-réagissent pas ensemble et permettent à l’être humain de porter au cœur de son existence l’hypothèse de l’existence de Dieu et l’espérance dont le message biblique est porteur ? Si la science aujourd’hui nous dit de manière extraordinaire la réalité du monde, elle ne dit pas la vérité qui est d’un autre ordre. Pilate, homme politique, ayant la puissance militaire, pragmatique, pose la question : « Qu’est ce que la vérité ? ». La techno-science ferait bien de se poser la même question.

Conclusion

Ne pas rejeter le transhumanisme d’un revers de main. La techno-science au service de la médecine accomplit des miracles et la modernité reste positive. L’homme depuis 3 à 2 millions d’années a toujours innové et s’est augmenté sans cesse. C’est une des caractéristiques de l’humain. Mais il ne faut pas accepter car trop de problèmes cruciaux se posent comme on l’a vu : ce qui au niveau micro sociétal est positif (une greffe cardiaque, ou un portable par ex.) peut poser au niveau macro sociétal des problèmes insolubles. En fait, dialoguer et accompagner sont nécessaires pour éviter que la machine domine l’homme ou le « machinise ». Il faut éviter de perdre ce que l’humanisme de la Renaissance nous a laissé : la dignité de l’homme, son unicité, sa culture, sa liberté. Revisiter « les humanistes » et nos expressions du religieux semblent plus que jamais nécessaires. L’avenir de l’humanité, si elle est aux mains de la science l’est tout autant aux mains de la pensée philosophique, artistique et religieuse.

Revue Foi et Vie, décembre 2014 

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