Protestantisme libéral, doctrines et Bible

Charles Wagner

Ferdinand Buisson, Charles Wagner,
Libre pensée et protestantisme libéral,
préface d’André Gounelle,
Van DIeren, 2022

Échange de lettres entre Ferdinand Buisson et Charles Wagner

 

Nous ne sommes pas des incrédules, nous autres protestants libéraux, même libéraux d’avant-garde. Nous ne sommes pas les précurseurs du néant. Nous cherchons la réalité, la vérité humaine, la clarté sainte, au-delà de toutes les doctrines. Et tout ce que nous avons brisé, c’est pour l’élargir. Est-ce le cas de parler de minimum ? Je ne pense pas. Croire au-delà de la lettre, la déborder, la dépasser, cela doit se chiffrer par un gain et non par un déficit.

(…)

Si donc nous avons laissé là, comme inférieures, certaines doctrines que nos prédécesseurs avaient tirées de la Bible, pour nous attacher à d’autres supérieures, est-ce quitter le terrain des croyances bibliques ? Est-ce déclarer que le temps est venu de fermer ce vieux livre décidément dépassé ? Nullement. Si nous avons pu nous libérer de certaines conceptions sombres, immorales, désespérantes, à qui le devons-nous ? Aux philosophes, aux savants ? Les savants nous ont appris surtout à concevoir autrement l’univers mécanique. Sur le reste, la science demeure bien courte. Et ce que nos maîtres de la philosophie moderne nous ont enseigné de meilleurs, qu’ils se nomment Spinoza ou qu’ils se nomment Kant, c’est à la Bible qu’ils le doivent. Et tous leurs successeurs les mieux qualifiés sont de ce livre les inconscients tributaires.

La clarté libératrice, dans le domaine de la pensée morale et religieuse, nous est toujours venue de là. Les vérités humaines y sont accumulées comme le soleil des âges disparus est accumulé dans les gisements de la houille.

Le livre a grandi à nos yeux. Qu’on l’appelle maintenant une bibliothèque, une littérature, une collection documentaire, au lieu de dire que Dieu l’a dicté, ce sont des opinions sur le livre. Ainsi les divers cicérones expriment divers sentiments sur les tableaux et les monuments qu’ils nous montrent. Quant à moi, je préfère laisser là le cicérone et rester seul à seul avec l’œuvre, afin qu’elle me parle. Ainsi, nous avons cessé d’écouter les divers introducteurs qui nous présentaient la Bible, chacun à sa façon. Il y en a beaucoup dont les idées nous semblent maintenant baroques. Mais le livre a encore bien des choses à nous dire. Tout un avenir dort dans ses flancs, si tout un passé s’y trouve enseveli. Et si le protestantisme libéral a franchi définitivement bien des étapes de la croyance qui sont marquées dans ce livre, il y en a d’autres qui s’y trouvent également et que nous sommes très loin d’avoir atteintes. Plus le protestantisme libéral sera biblique, et plus aussi grandiront ses forces vives, l’étendue de son action et les proportions de ses destinées. Car nulle part, dans aucun livre humain, tant de trésors d’âme ne sont amassés.

(…)

Mais tel qu’il est, et sans que nous ayons besoin qu’il soit recommandé à notre respect par des gardiens spéciaux, des scribes et des mandarins, le Livre saint nous apparaît avec des dimensions plus vastes que jamais. Débarrassé du nimbe factice dont ils le couvraient pour le glorifier, il se montre en sa magnificence semblable aux glaciers quand le nimbe des brumes se déchire.

La Bible est plus grande depuis qu’elle n’est plus ni un livre juif, ni un code, ni un pensum divin rédigé sous dictée, mais un immense patrimoine spirituel auquel toutes les civilisations de l’Antiquité, directement ou indirectement, ont apporté leur contribution. Et, pour nous sauver des traditions mortes et oppressives, nous maintenir en contact avec les traditions vivantes et libératrices ; pour nous donner du lest et de l’élan, du ressort et de la sagesse, il n’y a rien de tel.

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