Qu’est-ce que le protestantisme libéral ?

Charles Wagner

Ferdinand Buisson, Charles Wagner,
Libre pensée et protestantisme libéral,
préface d’André Gounelle,
Van DIeren, 2022, p. 61-63

Échange de lettres entre Ferdinand Buisson et Charles Wagner

 

Est-ce à dire que nous n’ayons pas de doctrine, que nous ne soyons pas tous prêts à exposer nos convictions ? Nullement. Chacun de nous y est sans cesse appliqué. Mais nous ne serions plus nous-mêmes, le jour où nous aurions un corps de doctrine officiel. Nous cesserions tout aussi bien d’être libéraux, le jour où, comme un seul homme, nous aurions adopté l’ensemble des négations  que vous nous attribuez. Nous serions alors un groupe fermé de négateurs, non un groupe ouvert de croyants libres. […]

Ce protestantisme libéral, tiré au cordeau comme un jardin Le Nôtre, avec partout la même attitude négative, est une pure fiction. Les faits réels les voici : le protestantisme libéral est une tendance qui non seulement applique à la religion la méthode de libre et personnelle recherche, mais demande à ses adeptes de se conquérir, par la réflexion et l’étude, des convictions individuelles, de soumettre leurs croyances à l’épreuve perpétuelle de leur conscience et de leurs lumières nouvelles. Le protestantisme libéral, en outre, se déclare prêt à supporter les conséquences de sa méthode, c’est-à-dire une grande variété de vue parmi ses adeptes. Notre liberté ne serait qu’une servitude et un trompe-l’œil si nous avions tous les mêmes opinions. La preuve que chez nous la liberté est positive, c’est notre extraordinaire variété. […] Mais nous ne répudions aucune doctrine en elle-même, car une doctrine est, avant tout, une façon de penser. De l’extrême droite à l’extrême gauche, à travers toutes les nuances de ce qu’on peut appeler la flore théologique, nous n’excluions aucune pensée religieuse, nous reconnaissons à toute conviction sincère le même droit, et nous considérons la diversité, non comme un mal nécessaire et inévitable, à supporter en patience mais comme un grand bien. Nous sommes persuadés que les diverses catégories d’esprits, et leurs tendances, sont indispensables pour la recherche de la vérité et l’équilibre moral et religieux de l’humanité. Nous permettons à chacun de nous de prendre son bien où il le trouve et de s’enrichir de ce qui lui semble le plus favorable. Nous disons à nos frères : tout est à vous, et vous à Dieu.

La seule chose que nous n’admettions pas est le gouvernement des esprits, car il est impossible sans de constantes usurpations. Il arrive donc que les uns, chez nous, sont presque orthodoxes, alors que les autres sont d’une hétérodoxie étonnante. Mais comme personne n’est autoritaire, ils s’entendent, tout en discutant ensemble, et ils se complètent.

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