Chronologie et Christologie

par Didier You
Prédicateur laïc
et membre du Foyer de l’Âme

Le Nouveau Testament contient 27 textes, attribués à 9 auteurs présumés (en réalité, ils furent plus nombreux). Et ils furent rédigés sur une soixantaine d’années, de 50 à 110 environ.

On se doute que des textes aussi nombreux rédigés en une période d’intense bouillonnement intellectuel, sur un fond d’événements historiques notables, ne peuvent être parfaitement cohérents. On peut parier que Paul, s’il avait lu le 4ème Évangile, aurait été ébahi.

Autre difficulté : les éditions de la Bible ne présentent pas ces livres dans l’ordre chronologique. Et donc, on lit Paul à travers le prisme des Évangiles.

Si nous remettons un peu d’ordre chronologique, on s’aperçoit que sur le fondement même du christianisme, la christologie, il y a des différences énormes notamment sur le moment où Jésus a été « élevé » au statut de Christ. Le terme « élevé » a l’avantage d’être plus neutre que « sanctifié » ou « incarné ».

Paul

Paul écrivit ou dicta ses épîtres environ de 50 au début des années 60. Ce sont les écrits chrétiens les plus anciens. Au tout début de l’Épître aux Romains, on lit : « Il (cet Évangile de Dieu) concerne son Fils, né de la descendance de David selon la chair, et déclaré Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de sainteté par sa résurrection d’entre les morts : Jésus Christ notre Seigneur ». Le sens est clair : Jésus est « élevé » et devient Christ lors de la Résurrection.

Évidemment, on sait que Paul ne connaît presque rien, ou ne s’en soucie pas, du ministère terrestre : rien sur les miracles, les paraboles, l’enseignement de Jésus. Juste le récit de la Cène, qui sera repris dans les synoptiques.

On a presque l’impression que, pour Paul, Jésus n’est Christ que parce que Dieu l’a ressuscité pour manifester Sa grâce et Son amour pour l’humanité. Le Jésus « historique » l’indiffère.

On trouve pourtant, parce que rien n’est simple, au chapitre 2 de l’Épître aux Philippiens des versets d’un accent johannique : « Lui dont la condition était celle de Dieu… s’est dépouillé lui-même en prenant la condition d’esclave, en devenant semblable aux hommes, … jusqu’à la mort, la mort sur la croix. »

En quoi Jésus était-il de condition divine de son vivant, Paul n’en dit rien.

Marc

Marc écrit, sans doute à Rome, dans les années 60, époque de la première persécution par Néron. Son but, en racontant la « vie de Jésus », est sans doute de redonner du courage aux chrétiens en montrant la puissance divine du Christ. Mais, comme, au contraire de Paul, il raconte une histoire, il lui faut bien « élever » Jésus dès le début. Et le début pour Marc, c’est le baptême de Jean. Marc, comme Paul, n’a aucune connaissance de la Nativité et de la naissance virginale. D’où le récit du baptême, le premier rapporté, qui sera repris et développé par Matthieu, et Luc (Jean l’ignore sciemment).

On voit que Paul et Marc sont résolument « adoptionnistes » : Jésus est le Fils de Dieu, par adoption, par élection, et non pour avoir été engendré par l’Esprit. Ironie : ces deux auteurs canoniques sont donc des « hérétiques »depuis le Concile de Nicée !

Matthieu et Luc

Les Évangiles selon Matthieu et selon Luc ont été rédigés dans les années 70-80, soit après la destruction du Temple de Jérusalem par Titus. Cet événement a bouleversé le monde juif, et aussi le monde chrétien. On a parfois l’impression que ces deux évangélistes cherchent à « récupérer » les Juifs déboussolés. Encore plus que Marc, ils inscrivent Jésus dans une perspective messianique juive, grâce à des parallèles avec Moïse (massacre des innocents, fuite en Égypte et retour) ou avec Élie (l’Ascension et la Pentecôte).

Et surtout avec une nouveauté, les deux récits de la Nativité, rattachant Jésus aux prophéties d’Ésaïe (la naissance virginale) et de Michée (naissance à Bethléhem). Mais cette fois, Jésus, annoncé par l’Esprit Saint à Marie et Joseph, est donc « élevé » au moment de sa conception. Il est Christ dès avant sa naissance, d’où l’épisode raconté par Luc, de la Visitation, lorsque Jean, dans le sein de sa mère Élisabeth, tressaille d’allégresse à l’approche de Marie, elle aussi enceinte.

Jean

C’est dans la dernière décennie du siècle que le 4ème évangile est achevé. La préoccupation de Jean n’est plus du tout la même que celle des synoptiques. La rupture avec le Judaïsme est bien avancée. D’où quelques versets qui seront exploités dans le cadre de l’antisémitisme chrétien. Et d’où aussi quelques explications sur les rituels juifs pour éclairer les lecteurs Gentils.

Comme l’on sait, à la lecture du fameux prologue, Jésus est la Parole (le Verbe, le Logos) incarnée. Il est donc Christ dès le commencement. Ce n’est pas encore le dogme de la Trinité, mais on s’en approche. Le Christ est donc antérieur au monde, aux Juifs … Il est en tous cas divin dès l’origine. On a remarqué que Jésus, dans le 4ème évangile domine parfaitement les situations. C’est même lui qui envoie Judas le dénoncer (« Ce que tu fais, fais-le vite »), alors que selon Luc, « Satan entra dans Judas ».

Ces divergences, ces contradictions ne doivent pas étonner ni inquiéter.Ces cinq auteurs (au moins), ont tenté d’exprimer selon leurs visions, leurs objectifs et leurs connaissances propres, leurs expériences personnelles, ou recueillies oralement, de témoins directs, de la personnalité extraordinaire de Jésus.

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