…Mais vous qui dites-vous que je suis ?…

Par Lina Propeck

Chaque texte de Lina Propeck est l’évocation d’un récit biblique connu de tous. Aussi peu de mots suffisent à tracer la scène en autant de vignettes.
 

Mais …. où courent-ils tous ?

Vers le lac ! Tous courent sur ce chemin taillé dans le roc, ils parviennent à la rive, se poussent, se bousculent les uns, les autres, s’arrêtent. II revient ! Le Maître a guéri un homme dominé par la folie, là-bas, de cet autre côté du lac. Mais là-bas, il a également rencontré la foule. Une foule qui lui a demandé de s’éloigner d’eux, parce qu’ils étaient saisis d’une grande crainte devant la guérison de cet homme dûment enchaîné jusque là (Luc 8, 37). Et le voici de retour. Assis à l’avant de la barque, il regarde les bateliers qui halent la barque sur le rivage puis il se lève, descend sur la grève et voit, s’avançant vers lui, la foule. A nouveau la foule. Masse humaine. Tous savent la guérison survenue de l’autre côté du lac et la frayeur des Géraséniens qui s’en est suivie. Mais, eux, habitants du rivage galiléen du Lac de Tibériade, eux n’ont pas peur. Tous veulent le voir. Tous veulent l’approcher, l’enserrer, le toucher. Toucher cet homme étrange.

Et c’est alors qu’elle s’est approchée n’est-ce pas ?

Oui, c’est alors. Elle, l’impure dont le sang toujours s’écoule. Elle, l’exclue de la société que nul n’approche ni ne touche car qui la touche est contaminé jusqu’au soir (Lev. 15, 19). Oui c’est alors que, tremblant que l’un ou l’autre la reconnaisse, serrant sur elle voile et manteau, oui c’est alors que l’impure est entrée dans la foule. Elle s’est glissée, a dominé sa peur, s’est avancée plus encore, s’est avancée derrière lui, ne murmurant que ces mots du langage courant : saisir la frange du vêtement. Ces mots de l’obédience à Dieu. De sa main, l’impure frôle le craspedon, la frange traditionnelle qui ourle le manteau du Maître. Alors est venu le Temps autre. S’arrête. S’arrête immédiatement le flot du sang. Guérie. Cette femme est guérie.

Mais, à cet instant, n’a-t-il pas dit à ses disciples : « Qui m’a touché ? Quelqu’un m’a touché. Oui, je sais qu’une puissance est sortie de moi.» ?

Étonnement légitime car la vue, le toucher, tout ce qui fait habituellement son humanité est absent de cette guérison. Dans ce transfert d’énergie de lui à l’impure, il se vit canal d’une puissance. Puis retournement de sa conscience, il contacte la nature divine de cette puissance, partage avec la femme cette connaissance et l’intègre à la réalisation de ce miracle : Ta foi t’a sauvée (Luc 8, 48). De même il a dit au démoniaque Retourne dans ta maison et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi (Luc 8, 39).

Mais lui …. qu’a-t-il perçu de lui ?

Sans doute ne comprend-il que peu à peu l’ampleur de son Destin. Ainsi qu’a-t-il su de ce titre Fils de Dieu qui lui aurait été conféré en présence de Myriam sa mère ? Sans se l’attribuer à proprement parlé il utilise le titre Fils de l’homme lequel dans la culture hébraïque désigne la figure messianique (4 Esdras 13). Mais s’il a conscience d’une intimité mystique avec Dieu, il y associe l’homme ordinaire et ne se montre que porteur d’une exigence dynamique qui invite à l’action.

Mais dès lors, pour nous, quel est-il ?

Rapprocher le premier chapitre de la Tora du récit de la Passion ferait peut-être émerger une direction car, au célèbre : Elohim dit : nous ferons Adâm à notre réplique (Genèse 1, 26) le fulgurant Voici l’homme (Jean 19, 5) ne résonne-t-il pas comme un lointain écho ? Et Pilate, objet du destin, n’aurait-il pas désigné à l’humanité le nouvel Adam, seul «Homme authentique» ?

 

Références

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